Pierre DUPONT
Pierre Dupont (1821-1870) est un poète et chansonnier qui connut la gloire dans les années 1840.
Orphelin à quatre ans, il est élevé par son parrain curé et entre au petit séminaire, mais il s'en éloigne bien vite pour devenir ouvrier textile puis employé de banque. Il découvre bientôt sa vocation poétique et monte à Paris en 1841 dans l'espoir de s'y faire un nom. Son insuccès l'amène à se réfugier à Provins chez son grand'père. Il y fait la connaissance de l'académicien Pierre Lebrun qui détecte son talent et le protège. En 1846, sa chanson Les boeufs connaît un succès énorme et lance sa carrière.
Dupont maçon Comme on peut le voir au fichier Bossu, Lebrun avait été initié en 1809 à la loge de Provins, l'Heureuse-Alliance. On peut lire, dans le volume 1849 de la Revue maçonnique (pp. 185-7), que c'est précisément dans la même loge que :
Il n'est donc pas invraisemblable que Lebrun, après avoir lancé Dupont dans le monde littéraire, l'ait aussi introduit dans le monde maçonnique. Une fiche Bossu nous confirme que Dupont, homme de lettres à Paris, était en 1850 Apprenti à cette loge de Provins ; la même année, il fut chargé d'interroger le postulant lors de l'initiation, à l'Union fraternelle de Troyes, de son ami Ulbach (qui se montra particulièrement sensible à cette attention). On peut lire ici que, le 7 décembre 1862, le Frère Pierre Dupont complète les travaux par une de ses chansons, que l’assemblée applaudit et répète en chœur, après la Fête anniversaire séculaire de la loge lyonnaise du Parfait Silence. |
Lebrun s'affirme comme républicain et social et se montre si hostile au futur Napoléon III qu'en 1851 il est condamné à 7 ans de déportation, mais il obtient sa grâce en échange d'une déclaration d'allégeance au régime. Après cela, il ne produira plus grand chose d'important et se perdra plutôt dans une vie de bohème.
Après le décès en 1862 de son épouse très aimée, il part à Lyon mais, devenu alcoolique et misanthrope, il sombre dans la misère. A la fin de sa vie, il préférera la religion à la maçonnerie.
Un musicien d'instinct Dans son ouvrage Pierre Dupont (1854), Eugène de Mirecourt raconte (pp. 44-47) l'anecdote suivante : [Il] ... se lia très-intimement, à cette époque, avec un jeune compositeur, M. Gounod ... Entendant, un jour, chanter Dupont, qui n'avait pas oublié ses romances lyonnaises, le musicien lui trouva une voix très-sympathique, un timbre à la fois passionné et rempli de douceur, joint à une accentuation nette, qualité fort rare chez ceux qui cultivent le chant. — Où as-tu appris la musique? lui demanda-t-il. — Je ne la sais pas, répondit le poète. — Quelle plaisanterie ! — Non, ma parole d'honneur, je ne l'ai jamais apprise. — Voilà qui est singulier. Chante encore. Dupont chanta. — Quel est cet air ? — C'est un air que j'ai fait ce matin sur des paroles à moi. — Et tu ne sais pas la musique, vraiment, sans mystification ? — Pourquoi veux-tu que je mente ? — Mais, cher ami, tu as trouvé là des motifs admirables ! Recommence un peu. Gounod prit une plume et nota rapidement à mesure que Dupont chantait. La note écrite, il l'essaya au piano ; puis il regarda son ami d'un air terrifié. — Sans avoir appris la musique ! s'écria-t-il ; mais le jour où tu la sauras, tu nous dégommeras tous ! — Eh bien ! sois tranquille, je ne l'apprendrai pas. — Tu as tort. — Bah ! laisse donc ! Si j'avais là-dessus le moindre brin de science, l'amour-propre s'en mêlerait ; je ne ferais rien qui vaille. — C'est encore possible, dit Gounod. Mettez une fauvette en cage, serinez-la, elle n'a plus ses vives et pétulantes modulations. S'il te vient dorénavant une idée musicale, appliques-y des paroles, tâche de la retenir, et fais-la noter, soit ici, soit chez Parisot (NB : Parisot était un autre musicien ami de Dupont). |
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Baudelaire et Dupont Bien qu'il s'en soit paraît-il repenti plus tard, Baudelaire a écrit sur lui des choses très élogieuses dans la notice qu'il a écrite en 1851 en tête du recueil Chants et chansons de Pierre Dupont, où il commente sa chanson Le chant des ouvriers : Raconter les joies, les douleurs et les dangers de chaque métier, et éclairer tous ces aspects particuliers et tous ces horizons divers de la souffrance et du travail humain par une philosophie consolatrice, tel était le devoir qui lui incombait, et qu'il accomplit patiemment. Il viendra un temps où les accents de cette Marseillaise du travail circuleront comme un mot d'ordre maçonnique, et où l'exilé, l'abandonné, le voyageur perdu, soit sous le ciel dévorant des tropiques, soit dans les déserts de neige, quand il entendra cette forte mélodie parfumer l'air de sa senteur originelle, pourra dire : je n'ai plus rien à craindre, je suis en France ! ... Ce sera l’éternel honneur de Pierre Dupont d’avoir le premier enfoncé la porte. La hache à la main, il a coupé les chaînes du pont-levis de la forteresse ; maintenant la poésie populaire peut passer. ... Va donc à l’avenir en chantant, poëte providentiel, tes chants sont le décalque lumineux des espérances et des convictions populaires ! L’édition à laquelle cette notice est annexée contient, avec chaque chanson, la musique, qui est presque toujours du poëte lui-même, mélodies simples et d’un caractère libre et franc, mais qui demandent un certain art pour bien être exécutées. Il était véritablement utile, pour donner une idée juste de ce talent, de fournir le texte musical, beaucoup de poésies étant admirablement complétées par le chant. |
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LE CHANT DES OUVRIERS (1846)
Nous dont la lampe, le matin, Refrain :
Aimons-nous, et quand nous pouvons
Nos bras, sans relâche tendus,
Quel fruit tirons-nous des labeurs
Au fils chétif d’un étranger
Mal vêtus, logés dans des trous,
A chaque fois que par torrents
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LE CHANT DES SOLDATS (1848) Toute l’Europe est sous les armes, Refrain Aux armes ! courons aux frontières ! Pour le soldat la palme est douce, Refrain Sous le joug de la politique Refrain Nous savons ce que nous prépare Refrain De Pesth à Rome les étapes Refrain Soldats, arrêtons cette horde ! Refrain Que la République française Refrain La musique du chant des soldats sera utilisée par Ballande-Fougedoire, dans ses Poésies sur Couze et la Franc-Maçonnerie, pour un cantique des santés de forme quelque peu inhabituelle. |
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LES BŒUFS (1846)
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