l'Ordre de Méduse
Cliquez ici (midi) ou ici (MP3) pour entendre l'air de Joconde tel que proposé par Théaville
Les visiteurs réguliers de ce site savent qu'il nous semble intéressant d'y présenter, à l'occasion, des sociétés du XVIIIe ayant quelques similitudes, même lointaines, avec la franc-maçonnerie. Ce sont en effet d'intéressants témoignages d'une évolution de la sociabilité caractérisant cette période, et dont la maçonnerie n'est finalement qu'une manifestation parmi d'autres.
Ainsi s'exprime Dinaux dans le tome 2 de son célèbre ouvrage Les sociétés badines, bachiques, littéraires et chantantes, leur histoire et leurs travaux, aux pp. 16-25 duquel il donne de nombreuses informations sur l'Ordre de Méduse. |
Contrairement à d'autres qui se sont manifestement calqués sur la maçonnerie, l'Ordre de Méduse est bien antérieur à l'arrivée de celle-ci en France, puisqu'il aurait été fondé, selon Dinaux, vers 1683 à Marseille et, selon d'autres, à Toulon en 1690 par M. de Vibraye. Mme de Sévigné parle dans une lettre à M. d'Hérricourt du 17 février 1733 de la résurrection de l'ordre de Méduse ; disparu depuis, l'Ordre a retrouvé force et vigueur au milieu du XXe en tant que confrérie oenologique, sous le nom (plus prétentieux) d'Ordre illustre des Chevaliers de Méduse. C'est un livre, Les agréables divertissemens de la table ou les règlemens de l'illustre Société des Frères & Soeurs de l'Ordre de Méduse, qui nous permet d'en savoir plus sur cet Ordre. Nous en connaissons (ci-contre) une édition à Marseille sans date (mais Google-livres indique 1730) et une autre à Lyon en 1712 par la transcription qui en a été faite (pp. 186-215, à propos du poète Jacques Vergier qui animait la section dunkerquoise de l'Ordre) en 1903 dans le Bulletin de la société historique et archéologique de Dunkerque : leurs contenus sont absolument identiques. Cet ouvrage contient entre autres :
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On peut relever parmi les caractéristiques de cette Société :
créée par des officiers de marine, elle se répandit particulièrement dans les ports ; on s'y inspire d'un esprit de concorde et de charité ; mais c'est aussi une Société de secours mutuel, puisque si quelque accident involontaire arrivoit malheureusement à quelqu’un des Membres de la Societé, tout l’Ordre s’y intéressera fraternellement, & fera son possible pour lui aider & le soulager ; en particulier (n'oublions pas qu'à l'origine il s'agit d'une Société de marins opérant en Méditerranée), si quelqu’un tomboit malheureusement entre les mains des Infidéles en captivité, tous les Frères & Soeurs seront obligés de se cotiser pour son rachat.
les conditions d'admission sont d'être Catholique, de bonnes moeurs, point médisant, blasphémateur, ni ivrogne. Si ces conditions sont, après enquête faite par un rapporteur désigné par le président, reconnues comme remplies, la procédure est fort simple. Le postulant reçoit un nom (frère Heureux, frère Nécessaire, frère Sincère, frère Ardent, frère Virtuose comme le signataire de la gravure ci-dessus, soeur Bien-disante, soeur Judicieuse, soeur Gracieuse, soeur Aimable,...) choisi par l'assemblée et par lequel il sera dorénavant désigné (à l'exclusion de Monsieur ou Madame, dont l'emploi est passible d'amendes), prête serment de fidélité au Roi et s'engage vis-à-vis de l'Ordre, après quoi il est reçu au nom du Grand Maître et de tout l'Ordre.
l'appartenance à l'Ordre est incompatible avec l'appartenance à tout autre Ordre, laquelle entraînerait automatiquement radiation et notation d'infamie perpétuelle
on se réunit en Chapitres et les réunions se tiennent à table ; dans ce désaltérant Ordre, il ne semble pas y avoir d'autre activité que de manger et boire en bonne compagnie, tout en évitant soigneusement l'ivrognerie. Mais il existe un rite spécifique (qui justifie l'évocation de Méduse dans le nom de l'Ordre) : à un signal donné, tous les Frères (mais pas les Soeurs, dont la tâche est d'observer les Frères pour dénoncer ceux qui y manqueraient) doivent se pétrifier (c'est-à-dire rester rigoureusement immobiles). Il y a toute une série d'amendes pour toutes les fautes aux règles ; elles sont parfois monétaires, mais elles consistent en général à lamper une ou plusieurs fois. S'il y a contestation, le président désignera un Insulat (qui mettra sa serviette sur l'épaule pour marque de sa commission) pour trancher après consultations
on utilise un vocabulaire particulier : au lieu de vin, verre, boire, on dit : huile, lampe, lamper (il est assez frappant de constater que ce vocabulaire spécifique sera aussi celui des Loges d'Adoption).
La Société a une hiérarchie, mais dans un esprit d'égalité : il est enjoint à tous les Frères & Soeurs de porter honneur & respect à leurs Supérieurs ... excepté que lesdits Supérieurs ne seront regardés que comme les autres Frères, et n’auront que leur voix délibérative comme eux, à moins qu'il n’arrive quelques cas graves qui demandent l’interposition de leur autorité. Il existe une superstructure à l'ensemble des Chapitres locaux : ils doivent faire rapport annuellement au Chapitre général, et un registre des membres est tenu par le Grand Maître.
les membres ont obligation d'assiduité, et sont radiés en cas de 3 absences consécutives
La plus volumineuse partie de l'ouvrage (pp. 29-56) est un chansonnier, dont nous avons extrait un exemple (pp. 29-31).
Voir ici sur l'air De Joconde.
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CHANSONS DE MEDUSE.
Sur l'Air De la Joconde.
L'Huile brille sur nos buffets,
Pour confondre de mille
Sots,
Frères, célébrons dans nos chants,
Lorsqu'on tient une
Lampe en main,
Quand auprès d'une aimable
Sœur,
Nous sommes dans tous nos besoins
Méduse
voit dans nos concerts, |