les Francs-Péteurs
Vous pouvez entendre chanter l'hymne ci-dessous en vous rendant dans la zone rose au milieu de cette page
Les visiteurs réguliers de ce site savent qu'il nous semble intéressant d'y présenter, à l'occasion, des sociétés du XVIIIe ayant quelques affinités ou similitudes, même lointaines, avec la franc-maçonnerie.
Ce sont en effet d'intéressants témoignages d'une certaine évolution de la sociabilité caractérisant cette période, évolution dont la maçonnerie n'est finalement qu'une manifestation parmi d'autres.
Malgré les apparences, celle-ci, particulièrement cocasse, mais qui a été qualifiée de secte philosophique peu connue, sans doute parce qu'elle est très raisonnable, mérite, encore aujourd'hui, d'être examinée (signalons qu'elle a fait l'objet en 2010, dans les Annales historiques de la Révolution française, d'une étude très savante par Philippe Bourdin, spirituellement intitulée Le son du corps, ou l’âme en pet).
C'est le dernier appendice (pp. 97-110) à l'édition 1859 des Cantiques maçonniques de Jouenne, intitulé Essai historique sur la Franc-Maçonnerie à Caen, qui nous a donné (pp. 102-3) l'occasion de la découvrir :
L'histoire commence effectivement en 1743 avec la parution à Caen d'un opuscule de 34 pages, Zéphyr-Artillerie ou la Société des Francs-Péteurs, dont un éditeur caennais a eu récemment la plaisante idée de reproduire les textes dans un charmant petit fascicule, Zéphyr-Artillerie ou La Société des Francs-Péteurs. |
Ci-contre,
frontispice d'un ouvrage sur le même thème datant de 1751,
L'art de péter : essai théori-physique et méthodique à l'usage des personnes constipées de Pierre Thomas Nicolas
Hurtaut.
A gauche, selon l'édition originale et la réédition de 1775. On voit à droite que pour la réédition de 1776, il a fallu regraver l'illustration d'après un tirage, ce qui explique l'inversion de l'image et la différence de calligraphie de la devise qui potest capere capiat (tirée de Rabelais et de l'Evangile de Mathieu, comme il est savamment montré ici). Voir aussi en 1756 l'ouvrage L’Esclavage rompu ou la Société des francs-péteurs par Pierre-Jean Le Corvaisier (1719-1758). En 1798 C.-F. Mercier de Compiègne publie Éloge du pet, dissertation historique, anatomique, philosophique sur son origine, son antiquité, ses vertus... On y notera tout particulièrement le Réglement provisoire de la société des francs-péteurs (voir ci-dessous en bas de page), qui décrit une société de gens d'un certain niveau tant social que culturel, de bonne compagnie et amateurs du bel esprit. Voir encore en 1815 La Crépitonomie, ou l'Art des pets. Poème didactique en trois chants par D....... de St.-P*** [i.e. Ducastel de Saint-Paul].
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Plus près de nous, on notera la publication en 1853 à Caen par Julien Travers (1802-1888), de Les Francs-péteurs : poème en 4 chants, précédé d'un aperçu historique sur la Société des francs-péteurs fondée à Caen dans la première moitié du XVIIIe siècle (cet ouvrage est également accessible sur Google).
On pourra lire aussi le court écrit publié par Alfred Canel en 5859 (date qui semble significative !), Une société caennaise du XVIIIe siècle et les écrits qu'elle a inspirés.
Aux pp. 345-7 du tome 1 de son célèbre ouvrage (1867) Les sociétés badines, bachiques, littéraires et chantantes, leur histoire et leurs travaux, Dinaux consacre une notice à la société.
On notera également, en 1873 à Auxonne, la parution de Les francs-péteurs : poème en 10 livraisons par J.-B. Paget-Pontus.
les francs-péteurs et les francs-maçons On notera particulièrement, dans ce dernier ouvrage (où l'auteur prend soin de préciser que les quelques malices à l'endroit des francs-maçons et des hommes de justice, qui se trouvent dans ce petit ouvrage, ne sont pas de mon fait. Elles sont extraites d'un volume en prose, intitulé : les francs-péteurs, portant la date de 1774 - NDLR : nous n'avons pas trouvé cet ouvrage), les deux extraits suivants qui, sous couvert de respecter les maçons, les traitent assez perfidement :
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En musique
L'ouvrage de Travers susmentionné publie un hymne de l'association (pp. 19-20) et (sans mention d'air) 3 couplets de Duverbosq (p. 21). Les voici :
L'hymne
Comme tant d'autres, la Société avait son hymne, qui figure dès 1743 (l'année suivant sa fondation) dans Zéphyr-Artillerie, et dont le texte est également reproduit par Travers. Le voici :
Fuis loin, grotesque prud'hommie,
Avec tes graves sectateurs !
Disparais, stoïque folie,
A l'approche des Francs-Péteurs !
D'une utile philosophie
Seuls ils connaissent les douceurs.
Suivant pas à pas la nature,
Ils en imitent tous les traits ;
Des façons la burlesque armure
Ne les embarrasse jamais ;
La politesse et la droiture
Ont pour eux de puissants attraits.
Ennemis de la vaine gloire,
Doctes sans ostentation,
Pour eux le temple de Mémoire
Est une fade fiction ;
A péter souvent, rire et boire,
Ils mettent leur ambition.
Vous qui vivez dans l'esclavage,
Venez goûter la liberté
De ce nouvel Aréopage,
Joyeux et noble sans fierté ;
Elle est une riante image
Du monde dans sa puberté.
L'air mentionné est celui de Vous qui cherchez le délectable, une chanson particulièrement épicurienne. La partition et le texte en sont visibles ici. Selon la Clé du Caveau, cette partition serait équivalente à Tout roule aujourd'hui dans le monde qui est son n° 570 mais qui ne semble pas identique.
3 couplets
Enfin, trêve de complaisance l
Nous recouvrons la liberté,
Et désormais la bienséance
Va céder à l'utilité.
Trop longtemps, par condescendance,
Par une vaine honnêteté,
Contre les lois de la prudence,
On n'a que sourdement pété.
Mais, grâces à l'art pétifique,
A son aimable et grave auteur,
Aujourd'hui, narguant la critique,
Chacun peut être Franc-Péteur.
Réglement provisoire de la société des francs-péteurs Tout récipiendaire doit avoir un état au moins honnête, de l'aisance et une sorte de crédit dans le monde. Il ne sera admis qu'aux deux tiers des suffrages. L'épreuve sera d'un an entier. On ne prendra point d'argent pour la réception d'un Franc-péteur. On devrait payer au contraire les hommes assez courageux pour oser devenir libres et procurer la liberté aux autres. Il faudra, pour être reçu, n'avoir pas moins de 34 ans, et pas plus de 60. On exige du récipiendaire une disposition marquée pour l'éloquence, et surtout la connaissance de sa langue. Les Francs-péteurs n'auront au-dehors aucunes marques distinctives, Dans leurs assemblées seulement, ils porteront au cou un ruban blanc, au bout duquel pendra la figure en or de Zéphire, couronné de toutes sortes de fleurs, avec cette devise : A la liberté. Le lieu des séances se nomme Case. La formule du serment pour être reçu, est conçue en ces termes : « Tenant à grand honneur d'entrer dans la société des Francs-péteurs, je promets une constante soumission à son directeur et une tendre amitié à tous les frères. Ennemi déclaré du préjugé, je le combattrai en tous lieux, en pétant librement, souvent et méthodiquement ». Cette formule prononcée à haute voix sera suivie d'une canonnade ou salve de pets, en signe d'allégresse. Les repas se font dans la salle du Zéphire ou de la Liberté. Les discours d'éloquence ne seront prononcés que dans la Case, ainsi que les bons poèmes et odes, à l'honneur du pet. Les petits madrigaux, quatrains, épîtres, stances et couplets ne seront reçus qu'à table. Les Francs-péteurs ne feront des vers que dans l'intention de faire ensuite de meilleure prose. Les applaudissements ne se manifesteront que par le bruit des pets. L'improbation, par le silence. Le recueil sera publié tous les ans, et marchera de pair avec celui des mille et une autres sociétés en vogue. Tous les deux mois, on tiendra la Case ordinaire. Le conseil tiendra tous les huit jours. Chaque année, le premier ventôse, époque où les vents impétueux sont censés faire le plus de fracas, sera l'assemblée générale, où les officiers de chaque case feront l'extrait des délibérations du conseil ; les trésoriers y rendront leurs comptes. Les réflexions et observations seront proposées par écrit et signées de leur auteur. Chaque case est composée d'un directeur, d'un vice-gérant ou directeur en second, d'un orateur, d'un foudroyant, d'un introducteur et d'un trésorier. Tous les officiers composeront le conseil, et y appelleront les cinq derniers officiers sortants de charge, avec les plus anciens frères ; de sorte qu'ils seront toujours au nombre de douze. Il n'y aura point de chef, ni de secrétaire général, ou perpétuel, car leur autorité balancerait d'abord et neutraliserait ensuite le pouvoir de l'universalité. Il ne pourra y avoir absolument qu'une Case d'établie dans chaque ville, excepté à Paris, où il y en aura trois, l'une au centre et les deux autres répondantes à l'orient et à l'occident. Chaque Case ne pourra être composée que de trente sujets exclusivement. Ils suffisent pour ramener à la liberté des concitoyens de bonne foi. La société aura des correspondants dans toutes les communes de la République ; et dans les pays étrangers, un chef de correspondance, auquel tous les autres associés rendront compte de leurs opérations. On s'assemblera tous les deux mois, à 8 heures du matin, en été, et à dix en hiver. On fera un dîner honnête, mais frugal. Il n'y aura point de frères du second ordre. |