Cantique des chevaliers

Cliquez ici (midi) ou ici (mp3) pour entendre le fichier donné pour l'air par la Clé du Caveau (remerciements à Daniel Bourgeois, auteur du fichier Musescore utilisé)

 

Aux alentours de 1860, Ragon a publié une série d'ouvrages portant sur différents rituels.

Celui intitulé Nouveau rituel de Kadosch parfait initié grade philosophique, 5e et dernier degré du rite français dit aussi grand élu, chevalier de l'aigle blanc et noir remplaçant le 30e degré templier du rite écossais est disponible sur Google-livres.

Il contient de nombreux éléments susceptibles d'intéresser les historiens soucieux de déterminer (question toujours en débat) de quelle manière les légendes templières se sont introduites dans les cercles maçonniques, y ont trouvé créance et y ont fait florès.

Mais il contient aussi (p. 34) un cantique des chevaliers manifestement destiné à accompagner un texte ancien présentant la Cérémonie de table des chevaliers Kadosch.

Ce cantique reflète avec conviction les thématiques mythiques de ce grade, notamment la croyance dans les origines templo-écossaises de la maçonnerie (comme l'écrivait Luquet en 1938, c'est un fait d'histoire maçonnique que ces légendes, parfois d'une invraisemblance criante, ont été prises au sérieux par les Kadosch au point de faire l'objet d'un enseignement pour ainsi dire officiel dans leurs Ateliers.)

Nous le reproduisons ci-dessous à l'intention des amateurs.

Voir ici sur l'air.

CANTIQUE DES CHEVALIERS.

 

Air : Oh ! Mahomet.

 

Oh ! Salomon, ta sagesse est divine,
Ton plan est beau ; de symbole il nous sert ;
Mais des maçons te croire l'origine
Est une erreur dont le bon sens se perd.

 

Héros croisés, auteurs de notre race,
Nous n'avons point d'autre tige que vous ;
Des Sarrazins, si vous eussiez fait chasse,
Truelle en main, on vous aurait vu tous.

 

Bon roi Louis, qu'en France on canonise,
D'être maçon, tu fus ambitieux ;
A quoi tiendrait la chrétienne entreprise,
Qu'a réparer les débris des saints lieux.

 

Prince écossais, qui recueillis nos frères,
Grâce à tes soins, nous sommes en renom.
Dans ton pays, conservons nos mystères ;
lls en ont eu le précieux surnom.

 

Vous, preux maçons, restez dans la patrie,
Travaillez-y, montrez-en les effets ;
Le temps n'est plus d'aller jusqu'en Syrie
Marquer des biens que chez vous l'on eût faits.

 

Resserrons-nous, d'une chaîne propice,
D'y vivre unis, perpétuons l'aveu ;
Francs Chevaliers, armés contre le vice,
Pour la vertu, s'est formé votre voeu.

 

Le feu grégeois, fameux en terre sainte,
Peut-il, jamais, être ici composé ?
Il ne servait qu'à répandre la crainte,
Au plaisir seul le nôtre est consacré.

Un rituel réformé.

Après un exposé introductif (pp. 1-7) sur les grades 19 à 30 du REAA, Ragon fait (pp. 9-76) un historique très large, illustré par des exemples, de l'évolution du grade de Kadosch. Dès l'abord, il se montre très critique :

Il existe beaucoup de rituels de Kadosch et de plusieurs sortes. Tous les rituels primitifs expriment le même objet, la haine de la royauté française et de la papauté, et l'intention de venger, sur les successeurs de Philippe le Bel, roi de France, et du pape Clément VI, le meurtre inouï des chevaliers templiers et de leur honorable grand-maître, Jacques-Bourguignon Molai ... Tous ces systèmes de vengeance qui, pour mieux se propager, prirent le voile respectable de la Francmaçonnerie, sous les titres de rites d'Hérédom ou de perfection, d'Écossais ancien et accepté, etc., composés, en grande partie, de grades templiers, parmi lesquels se distinguent particulièrement les grades d'Élu et de Kadosch, dits grades à poignard, tous ces odieux systèmes durent s'arrêter et se dissoudre à la révolution française de 1793, comme n'ayant plus de raison d'être, la royauté étant abolie et la papauté persécutée.

Dans les ateliers de l'Ordre, il restait debout et pure la paisible et bienfaisante maçonnerie symbolique, quand, en 1804, des spéculateurs intrigants apportèrent de Charleston (Amérique), à Paris, le rite oublié de Perfection, en vingt-cinq degrés, créé à Paris en 1756, avec une augmentation de huit grades aussi parfaits que leurs aînés. La multitude de leurs titres pompeux et de leurs brillants décors fascina l'esprit des Maçons parisiens, même les plus élevés en dignités maçonniques et civiles, mais dont l'ignorance des choses était à la hauteur d'une ambitieuse avidité ; et ce rite, dit Écossais ancien et accepté, fut accueilli.

Il procéde par exemple à une analyse très détaillée (et particulièrement critique) d'un rituel américain (bilingue français) de 1857, à l'auteur duquel il reproche notamment (p. 63) de proclamer que Jésus de Nazareth, Juif de maissance, notre Grand-Maître, est le fondateur de la maçonnerie écossaise.

Ragon présente ensuite (pp. 79-111) son Nouveau rituel de Kadosch parfait initié grade philosophique, 5e et dernier degré du rite français, dit aussi grand élu, chevalier de l'aigle blanc et noir remplaçant le 30e degré templier du rite écossais.

Dénommant (p. 111) Maçonnerie rectifiée et rationalisée le nouveau régime qu'il ambitionne d'instaurer, il estime faire oeuvre de rénovateur en instaurant ce nouveau 5e degré du Rite Français, grâce auquel il pourra être renoncé à l'usage de l'ancien rituel, trop entaché de formes templières qui ont fait leur temps (et selon lui inspiré par les jésuites), en y substituant un rituel plus maçonnique et plus philosophique, exempt surtout d'esprit de vengeance (il écrit en effet, cfr p. 103, que cette vengeance, qui avait son but dans la pratique délaissée du régime templier, est depuis 1793 devenue sans objet).

Et notamment :

  • on supprimera les quatre chambres, qui, sans nécessité, brisent l'unité d'action puisque leur seul but était d'obtenir quatre serments en rapport avec les quatre voeux des jésuites et dont l'utilisation était l'occasion (p. 76) de dégoûtantes anomalies.

  • au centre de l'étoile flamboyante, brillera le delta, au lieu de la lettre G, et ce pour la raison suivante (p. 80) : Les Jésuites, en s'emparant, en 1646, à Londres, des rituels d'Aschmole, ont substitué à l'iod hébraïque, principe universel, devenu l'hiéroglyphe naturel de l'unité de Dieu, l'initiale du mot Général (de leur ordre, le représentant de Dieu), la lettre G, qu'aux Trinosophes, en 1816, nous avons interprétée par Génération ; nous ne pouvions pas, dans ce nouveau grade, purgé de tout emblème templier, faire usage d'une lettre introduite par les Jésuites.

  • on supprime aussi (alors que la plupart des commentateurs considèrent cette phase comme essentielle) l'échelle mystérieuse, dont (p. 97) Ragon conteste la signification traditionnellement attribuée - par les jésuites selon lui - aux 7 barreaux descendants, qui seraient les 7 sciences (Grammaire, Rhétorique, Logique, Arithmétique, Géométrie, Musique, Astronomie ; on sait qu'elles sont souvent associées au rituel de Compagnon) dont le choix est selon lui mauvais puisqu'il oublie l'histoire naturelle, la chimie et la physique. Il conteste d'ailleurs, pour de fumeuses raisons, l'ordre dans lequel elles sont placées : On a beaucoup discuté pour savoir le motif qui a fait placer l'astronomie au bas de l'échelle, tandis que sa place la plus rationnelle semble devoir être au sommet du triangle : ne serait-ce point parce qu'en Egypte l'observatoire astronomique était placé dans les souterrains. On sait que les pyramides sont orientées, et que du fond du puits dont l'ouverture est dirigée vers le nord, on voyait l'étoile polaire, et qu'il faut aujourd'hui, dit-on, remonter le puits à moitié pour la découvrir. L'ancien proverbe, la vérité sortit du fond d'un puits, pourrait bien, dans cette hypothèse, se rapporter à l'astronomie qui était le dernier degré de l'étude, après laquelle toute la vérité était connue.

Quelques commentaires (très) personnels.

Par ailleurs, les textes proposés par Ragon présentent le défaut qui caractérise en général les rituels rédigés en France au XIXe : le recours au verbalisme et même au verbiage, dans une pesante logorrhée moralo-scientifico-philosophico-savante. Qu'on en juge par ces extraits dignes de Mr. Prudhomme ou de M. Homais :

(p. 88 La civilisation est l'opposé de la sauvagerie et de l'état de barbarie d'un peuple ... La civilisation a pour auxiliaires puissants : la boussole, la vapeur, l'imprimerie, l'électricité et l'air dilaté.

(p. 103) Afin de vous rendre plus sensible la justesse de leurs allégories [celles des sages de l'antiquité], choisissons, pour exemple, parmi tous les corps de la nature, le grain de blé. Ce corps est, tout à la fois, cause et résultat ; car, produit d'un grain semblable à lui, il doit, à son tour, en produire d'autres. Il sera donc allégoriquement considéré, tantôt comme père, tantôt comme fils, de là l'identité parfaite d'Orus et d'Osiris. Ce grain renferme en lui la semence, nouvelle identité ; il est déposé dans le sein de la terre. La terre, qui fut sa mère, devient sa femme, puisqu'ils accomplissent ensemble l'acte de la génération. On voit avec quelle facilité s'explique les allégories des anciens.
Les deux puissances génératrices ne sont pas plutôt en contact, que le grain enfle et s'amollit. Bientôt il fermente, noircit et se décompose. Les éléments qui le constituent sont dans un véritable état de guerre, dont il faut que le germe ou le principe générateur sorte victorieux ou succombe ; de là cette devise qui orne le cordon d'élu : Vincere aut mori (vaincre ou mourir).
Un combat terrible s'engage donc entre la vie et la mort, celle-ci triomphe; toute agrégation est rompue ; le grain tombe en décomposition (consumatun est). Il n'y a point ici de putréfaction : le grain mis en terre, l'enveloppe du germe s'amollit pour couler dans ses canaux et le délivrer de sa prison.

(pp. 85-6) Devenu Kadosch, votre mission s'agrandit ; c'est un sacerdoce plus élevé qui vous est confié ; il vous place au rang des propagateurs de la vérité, vous devez être un des rayons de ce phare immense, flambeau du monde, l'auguste et bienfaisante maçonnerie ; vous devez aussi guider et éclairer les Loges ... c'est aux membres de ce haut grade, qu'il appartient, plus particulièrement, d'étudier, d'interpréter les questions de principes et de prendre même l'initiative des progrès et des améliorations de l'oeuvre maçonnique près du gouvernement de l'ordre.

Mais ce qui, personnellement, me semble le plus consternant, dans la brochure de Ragon, c'est le fait (p. 79) que le discours de réception que doit préparer le candidat doit être, sous peine d'exclusion définitive, marqué de l'orthodoxie maçonnique la plus pure :

Neuf jours au moins avant celui qui aura été fixé pour l'admission au grade de Kadosch, le candidat devra remettre son Discours de réception au Grand-Maître qui le transmettra, avec ses observations, à l'orateur chargé d'y répondre et qui pourra même, s'il le juge nécessaire, s'en entendre avec le candidat, car il ne doit rien sortir de la chancellerie de l'aréopage qui ne soit empreint d'une orthodoxie maçonnique la plus pure. Si, contrairement à toute prévision, le discours ne répondait pas à l'attente qu'on se serait faite de son auteur, son admission, après une nouvelle lecture en présence des cinq lumières, serait ajournée indéfiniment.

Quel meilleur moyen de s'assurer que la condition essentielle pour accéder aux plus hauts grades soit un esprit conformiste et soumis ? Dans une oligarchie où les plus hautes dignités étaient en général (ou même sont encore) attribuées ad vitam, il ne se trouve en effet guère de place pour des esprits indépendants.

Retour aux chansons de hauts grades :

Retour au sommaire des anciens chansonniers :