Cantique des Maîtres Suprêmes Elus (Pays-Bas, 1819)

Dans le fond de ce Temple au Très-Haut consacré
Nous avons entendu l'oracle révéré ;
Autour de cet autel, la vertu nous rallie,
Mes Frères, le bonheur doit embellir la vie ;
Adressons vers le ciel, notre encens et nos voeux,
Le mortel le plus pur sera le plus heureux.

Voilà le seul témoignage chanté que nous ayons d'un système de hauts grades particulier, celui que tenta de mettre en vigueur en 1819 le Prince Frédéric, Grand Maître National du Grand Orient des Pays-Bas.

Un vieux débat ... toujours d'actualité

L'existence, dès le XVIIIe siècle, de superstructures maçonniques généralement dénommées hauts grades ou, plus modestement, grades de perfectionnement ou degrés latéraux (side degrees), a toujours profondément divisé les maçons.

Les uns considèrent qu'il s'agit là de la quintessence de la maçonnerie, et que les trois grades fondamentaux de la maçonnerie bleue ne seraient qu'un avant-goût de ces degrés Sublimes de Lumière et de science.

D'autres considèrent ces développements comme de cancéreuses excroissances parasitaires, plus propres à satisfaire les egos de leurs pratiquants qu'à développer en eux les vertus maçonniques de simplicité et de modestie.

Une opinion tranchée, celle de Frédéric

Parmi ces derniers figurait incontestablement le Prince Frédéric des Pays-Bas, second fils du roi Guillaume et Grand Maître, de 1816 à sa mort en 1881, du Grand Orient des Pays-Bas (lequel, jusqu'à l'indépendance de la Belgique en 1830, comprenait une Grande Loge d'Administration Méridionale regroupant les provinces belges).

Les premières années de sa Grande Maîtrise furent marquées par une tentative (vouée à l'échec) de réorganisation des Hauts Grades

Dans un courant de pensée analogue à celui de Schroeder, il signa le 25 avril 1819 une circulaire où il critiquait en termes sévères (extrait ci-contre) les Hauts Grades existants - qu'il ne pourrait envisager comme propres à faire jamais parvenir la Maçonnerie à son véritable but et comme plutôt propres à l'en éloigner.

Cependant, prévoyant sans doute que beaucoup de maçons seraient déçus de se trouver ainsi privés de leurs hochets préférés, il entreprit, plutôt que de pousser sa logique jusqu'au bout, de proposer un nouveau système alternatif où le grade de Maître serait subdivisé en trois niveaux (Maître, Maître Elu, Maître Suprême Elu). Il proposait donc aux Loges, et aux maçons individuellement, d'abandonner l'ancien système pour adhérer au nouveau.

Logique avec lui-même, il annonçait en même temps que, se trouvant placé à la tête des Hauts Grades dans les Provinces Septentrionales, il comptait abandonner cette fonction pour ne plus travailler dorénavant qu'aux Grades d'Apprenti, Compagnon et Maître.

On ne peut que saluer les bonnes intentions de ce nouveau système dans la mesure où selon Wargny (T. 5, p. 29) il tendait plus que jamais à se rapprocher de l'antique simplicité et à se dépouiller de tous les entourages modernes et étrangers à l'Ordre tels que les grades, titres, cordons, etc.

Chronique d'un échec annoncé ...

Mais sa proposition, de toute manière quelque peu maladroite dans la forme (en tant que Grand Maître, il ne lui revenait pas de se substituer à l'Obédience pour faire une telle proposition, qui constituait de sa part une initiative purement personnelle), fut, particulièrement en Belgique, l'objet d'un véritable tir de barrage de la part des Chapitres et, à travers leur puissante influence (informelle mais bien réelle) sur les Loges bleues, des Vénérables de celles-ci, et ne put y aboutir.

Dans ses Annales chronologiques, littéraires et historiques de la maçonnerie des Pays-Bas à dater du 1er janvier 1814 (accessibles via la digithèque des bibliothèques de l’Université Libre de Bruxelles), Auguste de WARGNY fait un historique très complet de cette tragi-comédie, fertile en coups bas et coups fourrés et où, comme habituellement lors des conflits maçonniques, l'on se traita mutuellement de dissidents et de schismatiques

Ce feuilleton, qui s'étendit sur plusieurs années, occupe de très nombreuses pages de ses Tomes III (entre 608 et 803), IV (voir notamment les pp. 60 à 151, 211 à 240, 252-3, 260 à 312 et 349-68) et V (voir notamment les pp. 2-7, 143-155, 193-201, 218-30, 256-61, 334-52, 460-79). On notera l'épisode particulièrement pittoresque de 1823, quand la structure de hauts grades septentrionale, décapitée depuis 4 ans par la décision du Prince Frédéric (qu'elle n'avait pas osé remplacer), et forcément en très mauvais termes avec lui pour l'avoir - d'une manière quasi insultante - ouvertement défié, crut s'en tirer en élisant à sa tête - sans l'avoir même consulté - ... le Prince d'Orange (héritier du Trône), lequel déclina par déférence pour son frère cadet.

Wargny souligne la malhonnêteté des moyens qui furent employés pour faire échouer la réforme, dont les partisans furent accusés comme d'un délit qui devait faire perdre l'estime maçonnique et peut-être la considération publique. Il est pour sa part visiblement plutôt favorable à la réforme, ce qui lui valut des accusations de partialité, dont il se défendit (p. 487) dans l'Appendice à son Tome VI.

 

On lira avec intérêt la description et le point de vue d'un observateur extérieur (français) sur ce débat, celui qui fait l'objet des pages 153-68, 207-32 et 283-315 (à la p. 296 est reproduit l'extrait ci-dessous) du Tome second de Hermès, ou Archives maçonniques. 

... mais justifié

Il faut bien reconnaître que le nouveau système ne présentait aucun des chatoyants attraits de celui qu'il prétendait remplacer : pas de mythes fondateurs, pas de jeu de rôles, pas de décorum ni de mise en scène. Il se borne à un discours moral (prêchi-prêcha aussi sentencieux que simpliste) dépourvu du moindre contenu symbolique, allégorique ou dramatique et rabâchant lourdement l'idée que le grand et sublime but des Maîtres Suprêmes Elus est de donner à l'homme la conviction intime et raisonnable de l'existence de l'Etre Suprême et de lui indiquer clairement quelle est la fin ou destination de tout être humain. Rien d'étonnant donc si ceux qui étaient déjà chamarrés n'ont manifesté aucune envie de lâcher la proie pour l'ombre, si ce n'est pour complaire à l'autorité (ce qui s'est évidemment trouvé plus fréquent en Hollande qu'en Belgique, où l'opposition a parfois pris un caractère très agressif) ... 

En outre, pas plus d'ailleurs que les hauts grades traditionnels (avec lesquels il partage cette infidélité), il n'a le moindre rapport avec le symbolisme réel de la franc-maçonnerie qui est - comme son nom l'indique - celui de la construction.

L'extrait de Rituel (T. 3, p. 654) partiellement cité plus haut témoigne de ces faiblesses :

Cinq minutes après que le Vénérable a cessé de parler, le 2e Surveillant fait le signal convenu qui ne doit être entendu que dans l'extérieur, et nullement dans la Loge ; On se servira à cet effet du cordon d’une sonnette ou de tout autre moyen. À ce signal, l'harmonie placée à l’extérieur exécutera le cantique : où peut-on être mieux qu'au sein de sa famille ?

Après ce cantique, un ou plusieurs des Frères chante ce qui suit :

Dans le fond de ce Temple au Très-Haut consacré
Nous avons entendu l’oracle révéré ;
Autour de cet autel, la vertu nous rallie,
Mes Frères, le bonheur doit embellir la vie ;
Adressons vers le ciel, notre encens et nos voeux,
Le mortel le plus pur sera le plus heureux.

Après un instant de silence, le Maître des Cérémonies, rentré en Loge, se lève et met le fauteuil R et la table S du Vénérable, à leur place ordinaire devant l'arbre en dehors du Temple, comme lorsqu’il n'y a point de réception.

Gravure du Tome V de Wargny (on reconnaît à gauche le prince Frédéric, qui préside ; à droite, les Surveillants ont comme lui un bâton blanc de la longueur de trois pieds)

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