Francesco Geminiani
et la Philomusicae et Architecturae Societas Apollini
En cliquant ici, vous entendrez le début du 2e mouvement, allegro assai, de sa sonate pour violoncelle op. 5 n° 6, interprétée par Enrico Bronzi accompagné au clavecin par Michele Barchi (CD Concerto 2061)
En cliquant ici, vous entendrez un extrait d'un Concerto grosso de Geminiani (fichier midi)
Francesco Xaviero Geminiani (Lucques 1687 - Dublin 1762), après avoir été à Rome l'élève de Corelli et d'Alessandro Scarlatti, émigra à Londres en 1714. Compositeur, virtuose et professeur de violon, collectionneur et marchand de tableaux aussi, il y était particulièrement considéré. Un traité The Art of Playing the Violin (1740), qui fut la première méthode de violon jamais publiée, lui est attribué. En 1733 il s'installa à Dublin où il mourut. |
On sait qu'en France les Sociétés de Concert dominées par les francs-maçons ont, au XVIIIe siècle, joué un rôle très important dans la vie musicale. L'idée venait en fait d'Angleterre, où elle avait été mise en application dès 1724, date où fut créée la Philomusicae et Architecturae Societas Apollini, qui organisa des concerts fort prisés de 1725 à 1727 et dont le caractère maçonnique est établi par l'article 17 de ses statuts : Nul visiteur ne sera admis s'il n'est FRANC-MACON.
Geminiani, "notre frère éminent et à juste titre applaudi", en fut désigné comme le dirigeant, en tant que "seul Directeur et Dictateur (dictator) à vie de toutes nos exécutions musicales". Il était en effet considéré par les fondateurs comme "le plus grand violoniste de notre époque, et compositeur de grand mérite".
Un point important d'histoire maçonnique ? On trouve dans les archives de la Philomusicae la mention suivante, citée par Gérard Gefen : Nos bien-aimés
Frères et Directeurs
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Une belle idée … … qui a rapidement fait long feu.
Jusqu'à l'ère du disque, le seul moyen d'entendre de la musique en Loge était de faire appel à des musiciens live pour constituer une Colonne d'Harmonie. Il était donc nécessaire de recruter suffisamment de musiciens. D'où l'octroi d'avantages (gratuité) pour attirer ces Frères à talents, et souvent aussi ... beaucoup de laxisme dans les critères de recrutement !
La Philomusicae semble avoir été la première à rencontrer ce problème, qui a sans doute causé sa perte : malgré le grand succès de ses concerts, la Société disparaissait en effet en 1727, après deux ans seulement d'activité.
S'il fallait être maçon pour faire partie de la Société, il suffisait à celle-ci de choisir un futur membre pour en faire un maçon, sans autre forme de procès et, le cas échéant, séance tenante. Sans être une Loge dûment enregistrée et patentée par la Grande Loge de Londres, la Philomusicae s'était donc accordé les prérogatives d'une Loge (moins de 10 ans s'étaient écoulés depuis la création de la Franc-Maçonnerie spéculative, et les structures étaient moins établies qu'aujourd'hui …). Gérard Gefen narre ainsi les problèmes que cela a soulevés :
En fait, les autorités de la Grande Loge de Londres semblent avoir montré tout d'abord une certaine mansuétude à l'égard de la Philo-musicae. Les sept principaux officiers et fondateurs de la société furent convoqués à la tenue de Grande Loge de la Saint-Jean d'été 1725, sans doute pour régulariser la situation. Ils ne daignèrent pas répondre à l'invitation. En décembre 1725, le duc de Richmond, Grand Maître, adressa une lettre à la Philomusicae pour demander des explications sur les réceptions irrégulières de maçons auxquelles procédait la société. Les minutes de cette dernière témoignent que la requête fut considérée avec mépris, sinon avec colère : sans doute les contraintes obédientielles étaient-elles encore mal ressenties dans ces toutes premières années de la franc-maçonnerie organisée; la réaction des membres de la Philo-musicae paraît cependant empreinte d'une suffisance que seule la réputation dont jouissaient leurs soirées musicales semble expliquer…
Les autorités de l'obédience londonienne n'avaient pas tout à fait tort. La multiplication des incidents au sein de la Philo-musicae montre que les critères de recrutement de celle-ci, probablement fort exigeants du point de vue musical, laissaient à désirer en matière de vertus maçonniques telles que la sagesse ou l'amour fraternel. Entre mars et décembre 1726, on ne compta pas moins de neuf membres "expulsés avec le plus grand mépris en raison de leur conduite scandaleuse et non fraternelle", ce qui constitue assurément un record dans l'histoire de la franc-maçonnerie.
Les minutes ne manquent pas de signaler que … plusieurs de ces (mauvais) frères "avaient été faits maçons afin de pouvoir être admis dans la société" ...
Gérard Gefen, à qui nous avons emprunté la plupart des informations de cette page, reproduit dans son livre l'acte fondateur de la Philomusicae et Architecturae Societas Apollini. Il vaut la peine de citer en partie ce texte, dont le style et l'inspiration apparaissent comme comme fort proches de ceux des Constitutions d'Anderson : LA GÉOMÉTRIE mère de tous les ARTS & SCIENCES a été et demeure très justement réputée comme une chose entre toutes Excellente et Un Grand Honneur pour les Nations qui l'ont particulièrement Encouragée et Cultivée, ajoutant ainsi non seulement à leur Réputation et à leur Gloire, mais aussi à la Connaissance et à l'Usage des nombreux et Extraordinaires Avantages auxquels son Etude a permis d'Accéder. … Les Arts Libéraux et les Sciences ne manqueront jamais de fleurir et de se Perfectionner que dans une Nation où la liberté et la Propriété sont le mieux Assurées et Maintenues ; et, puisque nous jouissons du Bonheur particulier de vivre sous le Règne Propice d'un Roi Très Gracieux Qui Aime et Encourage ces Arts et ces Sciences de manière si Éminente et si Remarquable, nous nous sommes Proposés de créer et d'Établir une Société Mutuelle de Vrais Amis de la MUSIQUE et de l'ARCHITECTURE (Sciences qui furent toujours Distinguées et tenues dans la plus Grande Vénération par des Personnages de Rang et de Dignité très élevés), grâce à une Fondation de nature Permanente, dont le dessein peut être considéré comme celui d'une Institution Noble et Heureuse, Véritablement Louable en Soi et qui doit lui valoir une Juste et Universelle Approbation POUR CES MOTIFS ... |
On lira également avec grand intérêt :
l'article d'Andrew Pink, A music club for freemasons: Philo-musicae et -architecturae societas Apollini, London, 1725–1727.
l'article de R. F. Gould, PHILO-MUSICAE et architecturae societas APOLLINI [A REVIEW], aux pp. 112-128 du vol. 16 (1903) des Transactions of the Quatuor Coronati Lodge.
et surtout, le Livre d'Architecture de la Société, dont la réédition par la Quatuor Coronati Lodge (volume 9 de sa collection Antigrapha) est maintenant disponible sur le web.