Le revers et le beau côté

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La seule édition, dans une publication maçonnique, que nous connaissions de cette amusante chanson intitulée Le revers et le beau côté est en 1801 dans le volume 2 du Miroir de la Vérité d'Abraham (pp. 50-4, reproduites ci-dessous).

Mais en fait - et c'est en cela qu'il mérite toute notre attention - ce texte était déjà paru en novembre 1794 dans une publication profane, L'esprit des journaux (volume 11, pp. 222-6). Ce journal, fondé à Liège en 1772 par Tutot, était à ce moment (depuis avril 1793) imprimé à Bruxelles, où l'éditeur avait dû se réfugier suite au retour à Liège du prince-évêque.

Novembre 1794, c'est peu après la fin de la Terreur (fin qui dans ladite publication est d'ailleurs évoquée quelques pages plus tôt dans une cantate républicaine intitulée le onze Thermidor et dans la romance de Jauffret et Méhul, Loiserolles ou le Triomphe de l'amour paternel, dont c'est ici la toute première publication) ; durant toute cette période, la maçonnerie n'était certainement pas un sujet de publication fréquent. 

Il s'agit d'un dialogue entre deux commères, Aline qui répète tous les lieux communs anti-maçonniques qu'elle a entendus (comme le fera plus tard le personnage imaginé ici par Vicq), et Lucette, qui manifestement a tiré, de la fréquentation (fréquentation dont elle laisse assez malicieusement entendre qu'elle n'est peut-être pas limitée à des échanges philosophiques) de maçon[s], des opinions nettement plus favorables.

Parmi les on-dit sur la maçonnerie qu'évoque Aline, l'ultime est celui qui évoque les condamnations papales. Tout au long du XVIIIe en France, on s'est contenté de les ignorer, puisqu'elles n'y avaient pas force de loi (la bulle in Eminenti de Clément XII en 1738 était restée inopérante car elle n’avait pas été proposée à l’enregistrement du Parlement). Après la Révolution, il est sans doute permis d'être moins respectueux des autorités religieuses qu'avant, et la manière dont Lucette les commente (elle signifie : si je vous en disais ce que j'en pense, je passerais pour une païenne) est d'une impertinence qu'on ne retrouvera que bien plus tard.

A part une chanson de Tschoudy (également imprimée hors de France), ceci est donc une des premières mentions, dans le chansonnier maçonnique, de l'hostilité de la papauté vis-à-vis de la maçonnerie : elle annonce plus le XIXe siècle qu'elle n'est représentative du XVIIIe.

La poule noire mentionnée au 2e couplet est effectivement liée à la sorcellerie.

Voir ici sur l''air (mentionné tant dans l'une que dans l'autre des deux éditions citées plus haut) La Danse n'est pas ce que j'aime.

On notera que tous les couplets sont ici en 9 vers (8/8/8/8/8/8/8/8/6), sauf l'avant-dernier, en 10 vers (8/8/8/8/8/8/8/8/6/6), alors que l'air original de Grétry est en 7 vers (8/8/8/8/8/8/10).

L'expression (de nos jours démodée) au ton capable utilisée au premier vers mérite une élucidation : dans un Dictionnaire néologique de 1795, on trouve ceci à l'article capable :

On dit : Un air capable, un ton capable, pour exprimer ce ton de suffisance, cet air d'importance, que se donnent une infinité de gens ... qui croient s'être réveillés avec la science infuse.


    
       

Le revers et le beau côté

 

Air : La Danse n'est pas ce que j'aime, etc.
 

Madame Aline, au ton capable, 
Disait hier que tout Maçon 
Etait un enfant du Démon, 
Un vrai satellite du Diable : 
Quand à ce discours charitable,
Lucette qui, dans certain cas, 
Mieux en jugeait, lui dit tout bas : 
» Que je te plains, Aline ; hélas ! 
» Tu ne les connais pas ! »

 

 

 

Pourtant dans sainte et vieille histoire 
On lit que la nuit les Maçons, 
Au sabat, sur de longs bâtons, 
S'en vont plumer la poule noire ; 
Qu'en deux mots ces gens à grimoire,
Sont des Diables — ? Oh ! que non pas
Répartit Lucette tout bas, 
Un bon Maçon, en certain cas, 
Est un ange en nos bras
.

  

 

 

Pourquoi donc, s'ils aiment les femmes , 
Ne les admettent-ils jamais
Dans leurs Loges, à leurs Banquets ? 
On dirait qu'au fonds de leurs ames, 
D'amour ils redoutent les flammes ? 
—  Non pas puisqu'amans comme époux, 
Sortant de leur Temple ils sont tous 
Plus amoureux et moins jaloux, 
Préts à voler vers nous
.

 

 

 

 Mais, dis-moi donc, s'ils sont tous Frères,
A quoi s'amusent-ils entr'eux ? 
Du lien qui les rend heureux
Pourquoi nous font-ils des mystères ?
Qui fait bien ne se cache guères ?
Erreur, ma chère, en plus d'un fait ; 
Epoux paisible, amant discret, 
Comme très-bon est le secret, 
Tout Maçon est muet
.

 

 

 

 Au fait ; leurs tours de passe-passe, 
Mots, paroles à double sens, 
Signes, gestes, attouchemens, 
Ne sont-ils pas....... ? Cela nous passe ? 
Mais tout geste n'est pas grimace ;
Car, à part, ceux qu'ils font entr'eux, 
Près de nous, ils en ont de ceux 
Qu'on peut dire, entre quatre yeux, 
Des signes bienheureux
.

 

 

 

 Pourquoi, sous le titre de Frère, 
Chez eux confondant tous les rangs,
Admettent-ils petits et grands ? 
Pourquoi l'Eternel, en bon père, 
En commun donna la lumière, 
Et du couchant à l'orient, 
Les Maçons en la répandant, 
Peuvent-ils craindre un seul instant 
D'errer en l'imitant
.

 

 

 

 Avant de donner la lumière,
Pourquoi la faisant désirer,
Font-ils si long-tems soupirer
Le pauvre Récipiendaire ?
—  En ça, comme en certaine affaire,
C'est qu'il est bon de voir venir ;
Que tout Aspirant doit gémir ;
Longue attente, obstacle et désir, 
Sont Frères du plaisir
.

 

 

 

Mais ce que je ne conçois guères,
C'est comment, fuyant le grand jour,
Dans un Temple obscur comme un four,
Ils peuvent donner la lumière ?
— Chacun, Aline, a sa manière ;
D'un four, si dans l'obscurité,
Les maçons cherchent la clarté,
Au fond d'un puits l'antiquité
Plaça la vérité
.

 

 

 

De plus, des langues ennemies 
Leur reprochent que leurs secrets, 
Consistent dans leurs longs Banquets, 
Et dans des flots de malvoisies 
Bacchus préside à leurs orgies ; 
Si, que Phœbus sortant des eaux, 
Et courant par monts et par vaux, 
Le lendemain vient à propos 
Eclairer leurs travaux ?

 

 

 

Ce (1) propos tombe de lui-même ; 
Car, de leurs Banquets, si Bacchus 
Fait les honneurs avec Comus, 
Sobre en ses goûts, le Maçon n'aime, 
Aucun plaisir pris à l'extrême, 
Et puis le compas à la main, 
Volant vers nous ; on sait très-bien, 
Qu'entr'eux, leurs travaux prennent fin 
Tout juste à minuit plein.

(1) A propos est une faute d'impression chez Abraham : la version de 1794 porte bien Ce propos

 

 

Juste ou non, le bruit populaire,
Du moins n'est pas en leur faveur ;
On les déchire avec fureur ?
Qu'importe, on sait que le vulgaire 
Est un sot et ne peut se taire, 
Et qu'ici bas les bonnes gens, 
Les gens d'esprit comme à talens, 
Sont en butte de tous les tems 
Aux traits des ignorans, 
Des sots ou des méchans
.

  

 

 

Mais enfin, pourquoi le St.-Père, 
En les reniant pour ses fils, 
Les met-ils hors du Paradis ? 
A cela, que dire et que faire,
Dit
Lucette ? C'est un mystère, 
Ou bien peut-être ce n'est rien ; 
Mais, bornons-là notre entretien ; 
Ma réponse, on s'en doute bien, 
Sentirait le Payen

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