La Loge de Belle et Bonne

 Cliquez ici pour entendre un fichier mp3 de l'air Pégase est un cheval qui porte

Belle et Bonne c’est votre nom ;
C’est le nom que vous donne un sage :
Il peint vos traits, votre raison,
Votre coeur et votre visage.

(Marquis de Villette) 

On connaît l'attachement de Voltaire pour sa nièce adoptive Reine Philiberte Rouph de Varicourt, marquise de Villette (1757-1822), qu'il surnommait Belle et Bonne.

Rappelons sa phrase (rapportée par la Correspondance littéraire, philosophique et critique de Grimm), au moment où, lors de sa réception aux Neuf Soeurs,  on lui présentait selon l'usage les gants de femme : 

Puisqu'ils supposent un attachement honnête, tendre et mérité, je vous prie de les présenter à Belle et Bonne.

En choisissant ce surnom de Belle et Bonne, Voltaire évoquait-il (en le féminisant) l'idéal que l'humanisme grec traduisait par la formule

καλός  κἀγαθός

(kalos kagathos, beau et bon)

 

la marquise de Villette, par Garriot

 

Voltaire lui-même la définissait ainsi : de l’innocence, de la vertu, de la prudence, du goût pour tout ce qui est bon, une égalité d’âme inaltérable, avec de la sensibilité ; le tout orné de l’éclat de la jeunesse et de la beauté.

On sait que, après avoir connu au XVIIIe un grand succès dans les milieux aristocratiques, et après avoir sous l'Empire fait l'agrément de Loges plus bourgeoises, les Loges d'Adoption déclinèrent progressivement au cours du XIXe.

En 1819, eut cependant lieu une réunion qui tenait sans doute plus de l'événement mondain que de l'activité maçonnique.

Dans son Histoire pittoresque de la franc-maçonnerie et des sociétés secrètes (p. 114), Clavel évoque cette manifestation prestigieuse :

De toutes les fêtes d'adoption qui furent célébrées à Paris sous la restauration ... la plus remarquable, sans contredit, est celle qui eut lieu le 9 février 1819, dans l'hôtel de Villette, rue du faubourg Saint-Honoré, 30. La loge avait pour titre : Belle et Bonne ; elle était tenue par le comte de Lacépède et par la marquise de Villette, nièce de Voltaire. Belle et Bonne était le surnom affectueux que la marquise avait reçu de ce grand homme ... Tout ce que la France comptait alors de notabilités dans le parlement, les sciences et les arts, dans la carrière militaire et administrative, d'illustres étrangers, le prince royal de Wurtemberg et l'ambassadeur de Perse, entre autres, assistaient à la séance de la loge de Belle et Bonne. Outre l'élite des sœurs françaises, la duchesse de la Rochefoucault, notamment, on y voyait aussi lady Morgan et plusieurs autres sœurs étrangères, distinguées par leur naissance ou par leurs talents. Le buste de Voltaire y fut solennement inauguré. La sœur Duchesnois lut, en l'honneur de l'illustre écrivain, une ode que Marmontel avait composée et à laquelle le frère de Jouy avait ajouté deux strophes adaptées à la fête du jour ; elle déposa sur le buste de Voltaire la même couronne dont son front avait été ceint au Théâtre-Français, en 1778, par la célèbre tragédienne Clairon ; puis, avec le concours du frère Talma, elle récita la belle et terrible scène de la double confidence dans Œdipe. Beaucoup d'autres artistes se firent pareillement entendre, et une abondante collecte termina dignement la séance. A la suite, il y eut un bal qui se prolongea une partie de la nuit. (Clavel donne de ce bal l'illustration ci-dessous)

On trouve aussi dans le JOURNAL DU COMMERCE du 15 février 1819 :

La loge d'adoption attachée à celle des Amis des Arts et des Lettres a été installée le mardi 9 février 1819, dans une fête qui a eu lieu le soir à l'hôtel de Villette. Cette loge a pris le nom de Belle et Bonne, que Voltaire avait, comme on le sait, donné à sa nièce adoptive, madame de Villette. La même couronne que reçut ce grand poète à la Comédie Française, des mains de Belle et Bonne, était exposée aux yeux des amis de la liberté, de la tolérance et de la philosophie ; et chacun se disait : Une feuille de cette couronne suffirait à ma gloire.

La rivale de Clairon, mademoiselle Duchesnois, a récité devant le buste du défenseur des Calas l'Ode de Marmontel, à laquelle l'auteur de la tragédie de Bélisaire (NDLR : il s'agit d'Etienne de Jouy, auteur en 1818 de cette pièce dont la représentation avait été interdite) avait ajouté les deux strophes suivantes, dont l'heureux à-propos a été vivement senti par toute l'assemblée :

D'une fille de Melpomène 
Ma voix a redit les accens. 
Clairon, au dieu de notre scène, 
Quand ta main offrait cet encens, 
L'Envie, à ses pieds abattue, 
Alors outrageait la statue 
Du dieu par sa rage insulté ; 
Plus heureuse, je le couronne 
En présence de Belle et Bonne, 
Aux yeux de la postérité.

A ces noms le marbre s'anime 
Du feu du génie enflammé: 
De Voltaire l'ombre sublime 
Revoit ce qu'il a tant aimé !... 
Non, sa cendre n'est point éteinte ; 
Il respire dans cette enceinte : 
Voltaire est présent en ces lieux.... 
Et, fidèles à sa mémoire, 
L'Amour, la Liberté, la Gloire, 
Le montrent vivant à nos yeux. 

Une société brillante, au milieu de laquelle se trouvaient réunis tous les genres de distinctions, embellissait cette fête philosophique, dont les arts ont augmenté le charme et l'intérêt.

Madame de Villette, qui présidait la loge, a réuni tous les suffrages, par la grâce et l'amabilité de l'accueil qu'elle a fait à tous les admirateurs du grand homme dont elle se glorifie d'avoir été aimée comme une fille adoptive.

Belle et Bonne prononça le discours suivant :

Invitée à présider à la fondation d’une loge d’adoption associée à celle des Amis des Lettres et des Arts, j’aime à la considérer comme une sorte d’inspiration et de création du grand homme qui consacra tous les jours de sa vie à défendre les opprimés, à secourir les malheureux, à propager la tolérance, à servir l’humanité. Ce nom de Belle et Bonne qu’il aimait à donner à sa fille d’adoption, La Loge écossaise d’adoption que nous allons ouvrir le reçoit et le justifie. La beauté ajoute un nouveau prix aux actes de la bonté, et la bonté fait encore paraître belles les personnes de notre sexe qui sont entrées dans cette saison de la vie où les fleurs de la beauté ont perdu leur éclat.

Ouvrières d’un atelier nouveau, fondé sous les auspices d’un grand homme qui fut lui-même maçon, honorons les formes maçonniques qui conviennent à nos travaux par de sages délibérations et des actes de bienfaisance dont la maternité soit l’âme, dont l’instruction élémentaire des enfants des classes pauvres soit le premier objet. Que par nos soins quelques écoles soient fondées ou entretenues, que de bons livres élémentaires soient composés ou répandus, que chacune de nous laisse une trace utile et soit consacrée par le souvenir d’un bienfait !

Les femmes sont des anges de paix et d’union sur la terre ; elles sont les fleurs de l’humanité et comme une seconde providence pour l’homme. Que notre mission soit d’inspirer l’amour du bien et d’en offrir l’exemple ! Les moments de notre vie employés dans nos ateliers à répandre des consolations et des bienfaits dans les asiles de l’infortune seront, au milieu des peines attachées à notre condition mortelle, comme des touffes de palmiers toujours verts qui soulagent et réjouissent la vie au milieu des sables brûlants de l’Égypte.

Nous serons secondées dans toutes nos vues bienfaisantes par la coopération et l’appui du grand commandeur titulaire du Rite Écossais, qui a regardé comme une continuation de ses importantes fonctions la direction des travaux de nos vénérables ateliers.

Qu’une joie pure préside à nos réunions, que la douce influence de vos chants et des sons harmonieux qui vont se former sous vos doigts fasse pénétrer dans vos âmes les sentiments que la propagation de la tolérance a tant de fois produits dans ses immortels ouvrages !

Fleurs brillantes qui m’entourez, fleurs vivantes de l’humanité, qui embellissez pour l’homme les sentiers escarpés et difficiles de la vie, devenez autant d’instruments animés dans ce concert mystérieux où chaque impression produite par la musique doit porter à l’âme le besoin de la bienfaisance et de la vertu !

Environnez, couronnez de fleurs le buste du philanthrope dévoué, de l’illustre maçon qui a consacré toute sa vie à élever un monument à la tolérance et à l’humanité. Imitons de noble modèle. Autour de lui, les habitants de Ferney voyaient se développer pour eux, par son active et ingénieuse bienfaisance, tous les éléments de bonheur. Autour de nous, que les infortunes soient secourues, que les enfants pauvres soient instruits et formés à la vertu, que les bons livres élémentaires se multiplient et se répandent ! Surveillantes de cet atelier, faites reproduire et conserver ces vues essentielles de notre institution dans les colonnes dont la garde vous est confiée, et qu’un triple houzé… houzé… houzé témoigne l’unanimité de sentiment qui inspire toutes les âmes dans ce vénérable atelier.

Le cantique ci-dessous fut chanté à cette occasion ; il figure (pp. 379-80) au premier Tome de Hermès, ou Archives maçonniques. C'est une variation assez laborieuse sur le thème de la responsabilité féminine dans le péché originel et dans sa soi-disant rédemption par le retour au jardin d'Eden (que figure traditionnellement la Loge d'Adoption).

Nous n'avons pu identifier l'auteur, le Frère Vaysse.

Voir ici sur l'air Pégase est un cheval qui porte.

Voir ici deux airs possibles pour Beaux jours de la chevalerie.


           

LE PARADIS PERDU ET RETROUVÉ,

Cantique pour l'installation de la Grande Loge Ecossaise 
d'adoption, sous le titre
distinctif de Belle et Bonne.

Air : Beaux jours de la chevalerie, ou Pégase est un cheval qui porte.

Qui ne sait que le premier homme,
Par ses coupables appétits,
En mangeant la première pomme,
D'Eden perdit le Paradis ?
Hélas ! par la première femme
Le premier homme fut trompé ;
Au mal, sans cette bonne dame,
Le genre humain eût échappé.

Son tort prouva qu'elle ſut bonne ,
Et même un peu plus qu'il ne faut ;
Mais elle n'était point maçonne,
C'était là son plus grand défaut ;
Et ce défaut fait penser d'elle
Qu'elle fut bonne sans beauté :
Autant vaudrait n'être que belle ;
Qu'est-ce que beauté sans bonté !

Elle eût dû, pour être parfaite,
Etre belle et bonne à la fois ;
Elle n'eût pas été sujette
A braver les célestes lois.
Par sa friandise gloutonne,
L'heureux Eden elle a perdu ;
Mais, grâce au ciel, par Belle et Bonne
L'heureux Eden nous est rendu.

Par le Frère Vaysse.

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