La Symphonie judéo-maçonnique d'Alain Krotenberg

Cliquez ici pour entendre sur Youtube le 3e mouvement de cette symphonie

Alain Krotenberg a composé en 2016 (c'est son ultime opus, n° 33) sa Grande Symphonie, dite judéo-maçonnique, pour orchestre et voix d'alto, sur un texte de Jérôme Touzalin.

Pourquoi judéo-maçonnique ? Tout simplement à cause du caractère ashkénaze de la mélodie du final, répond le compositeur. 

Mais il nous semble aussi qu'on puisse y voir un geste de défi (l'expression judéo-maçonnique n'est couramment utilisée que pour qualifier le prétendu complot imaginé par la littérature conspirationniste, légende entretenue par la condamnation par le pape Pie IX en 1873 de la maçonnerie comme synagogue de Satan), où le compositeur revendique à la fois, avec fierté, ses origines juives et son option maçonnique, qui représentent deux éléments fondamentaux de sa personnalité, l'un inné, l'autre choisi (rappelons à ce sujet la phrase de Pétain : Un Juif n’est pas responsable de ses origines ; un franc-maçon l’est toujours de son choix).

Il faut lire à ce sujet l'article de Pierre-André Taguieff, L’invention du « complot judéo-maçonnique ». Avatars d’un mythe apocalyptique moderne, paru dans le n° 198 (2013/1) de la Revue d’Histoire de la Shoah.

Cette oeuvre, dans l'interprétation du Janacek Philharmonic Orchestra d'Ostrava sous la direction d'Henry Wojtkowiak avec Veronika Hajnova et le récitant Gérard Beureux, a fait l'objet d'un enregistrement en 2018.

Voici le texte de Jérôme Touzalin, qui est partiellement récité, partiellement chanté, au cours du 3e mouvement :

Du plus profond de la nuit des temps, les hommes ont espéré que l’homme ferait la paix avec les autres hommes.

Du plus profond de la nuit des temps, les hommes ont cherché une réponse à leurs interrogations devant le mystère de cette vie qui nous fait être.

Des fils de Dieu, des prophètes, des mystiques, des grands prêtres, tous ont montré des chemins, tous ont affirmé détenir la loi unique pour conduire l’humain.

Mais tous ont échoué à instaurer la paix, et les mains au lieu de se serrer les unes les autres ont continué de frapper et de tuer.

Tous ont échoué à apaiser les tourments de l’existence et l’absence d’une réponse véritable n’a fait qu’accroître l’angoisse des hommes.

Et les esprits n’ont cessé de s’affronter, le sang a continué de couler et les larmes de se répandre sur le triste sort des vivants.

Alors, bannissant les ancestrales superstitions, dépassant révélations et religions, des hommes nouveaux sont apparus : les Francs-Maçons.

Là-bas, dans les brumes anglaises, ils ont bâti des temples, en ont ouvert les portes pour y faire entrer l’esprit et triompher la raison.

En révolte contre les guerres de religion, en révolte contre l’intolérance politique, ils sont là pour que se taisent les armes.

A l’imitation des Frères compagnons de métier, ils ont bâti des sociétés spirituelles pour se connaître et se comprendre.

Sous l’unique loi, celle énoncée par le Pasteur Anderson, obéissant à ses principes de tolérance, de respect et de paix,

Nobles et roturiers, artisans et intellectuels, sur les mêmes bancs, côte à côte, dans une parole universelle.

Là, entre l’équerre et le compas, chaque homme devient un Frère et chaque Frère s’écoute en Frère.

Là, rassemblés au long du XVIIIe siècle, les Francs-Maçons ont fait triompher le respect et la protection de l’autre afin de porter plus loin l’aventure humaine.

Puis leur idée a franchi les mers, atteignant le continent, de proche en proche, à travers l’Europe, trouvant, là encore, des esprits éclairés pour se propager.

Les encyclopédistes des lumières, les philosophes, les libres-penseurs, tous ont contribué à cette idée nouvelle que l’homme peut être en paix avec l’homme.

Leurs idées tout au long du XIXe siècle ont conquis l’Europe occidentale, puis ont progressé dans l’Est, touchant même à l’orient lointain, partout où l’homme, épris de savoir, de culture a porté ses pas.

Et là, cette pensée humaniste a rassemblé dans le vaste cercle de la communauté humaine, tout ce qui est épars dans la richesse de toutes les cultures du monde.

Le projet est grand, l’action est noble, la lutte difficile, car les forces obscures se sont dressées et se dressent encore pour empêcher les Frères de progresser.

Les églises, les monarchies absolues, les pouvoirs autoritaires, l’ensemble des dictatures, tous ont essayé de faire taire cette voix nouvelle.

Pendant les guerres du XXe siècle, des Frères ont payé de leur vie la défense de la liberté de penser, d’agir, de créer ; ils ont versé leur sang mus par le désir d’unir l’homme aux hommes.

Aujourd’hui encore des Frères sont interdits de se réunir et se rencontrent la nuit, dans des temples de fortune, au péril de leur liberté ou de leur vie.

Mais l’Idée maçonnique ne s’arrêtera pas ... elle demeure, dans une vaste chaîne d’union, inébranlable à jamais.La Maçonnerie est définitivement l’union heureuse de la spiritualité et de la raison, l’expression unique et pacifiée de l’amour des hommes.

Du plus profond de la nuit des temps, il est des hommes qui se donnent la main et font enfin la paix avec les hommes.

Les extraits correspondant aux deux textes en gras ci-dessus (qui sont également disponibles sur la page du blog consacrée au même sujet) peuvent être entendus respectivement ici et ici.

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