MORT du Frère JOSEPH BONAPARTE, GRAND-MAITRE DU GRAND-ORIENT.
La maçonnerie française vient de perdre son grand-maître, le prince Joseph Bonaparte, ancien roi de Naples et d'Espagne, frère de l'empereur Napoléon. C'est à Florence, sur la terre d'exil, qu'il a cessé de vivre le 28 juillet
1844.
Né à Ajaccio, le 7 janvier 1768, il se destina d'abord à la profession
d'avocat ; mais la rapide élévation de Napoléon, et peut-être aussi un penchant naturel, le déterminèrent à abandonner cette carrière pour embrasser celle des
armes ; et il fit avec son frère, en 1796, la campagne d'Italie. Bientôt après, le département de la Corse le chargea de le représenter au conseil des Cinq-Cents. Depuis, il fut tour-à-tour ambassadeur à Rome et membre du Corps législatif. Dans ces diverses positions, il donna constamment des marques d'un esprit juste et droit et d'un noble caractère. Placé en 1806, par Napoléon, à la tête d'une armée qui s'empara du royaume de Naples, il ne tarda pas à s'asseoir sur le trône de ce
pays ; et, dans le cours d'un règne de moins de trois années, il chassa les Anglais du sol napolitain, réorganisa l'administration, l'armée, la marine, et entreprit de nombreux travaux d'utilité publique. Il fut appelé à la couronne d'Espagne vers la fin de 1808. Presque aussitôt, la guerre civile s'alluma dans ses nouveaux états, et il se vit contraint de déployer une sévérité qui répugnait à la bonté de son cœur et blessait le sentiment de profonde équité qui le dirigeait dans toutes ses actions. En vain il sollicita de l'empereur la permission de déposer un sceptre qui lui imposait de trop pénibles
devoirs ; cette faculté lui fut refusée ; et les malheurs de la guerre purent seuls le soulager d'un si pesant fardeau. De retour en France, en 1814, il fut chargé du commandement militaire de
Paris ; et lorsque, cédant au nombre aidé de la trahison, il dut abandonner cette ville, il suivit Marie-Louise à Chartres, à Blois, et se retira en Suisse après l'abdication de l'empereur. Les Cent jours le ramenèrent à Paris ; Waterloo l'obligea de s'en éloigner encore. Il alla chercher un asile au-delà de l'Océan, aux États-Unis, où il acquit des propriétés, sans qu'on exigeât de lui, suivant les prescriptions de la loi, qu'il renonçât à sa qualité de citoyen français. Ce n'est qu'en 1832 qu'il revit l'Europe. Après un séjour de plusieurs années en Angleterre, il obtint des puissances du Nord l'autorisation de se fixer à Florence, où il a terminé ses jours. Il avait épousé, à l'époque du Directoire, Mlle Clary, fille d'un honorable négociant de Marseille, et sœur de la femme du général Bernadotte, depuis reine de Suède. Il en eut deux filles, dont l'une a été mariée au prince de Musignano, fils de Lucien Bonaparte ; et l'autre, au fils aîné de Louis Bonaparte, qui périt en 1831 dans les troubles de l'Italie.
Joseph Bonaparte fut admis dans l'ordre maçonnique au mois d'avril 1805. Sa réception eut lieu aux Tuileries par les soins d'une commission dont faisaient partie les frères Cambacérès, Kellermann, Hugues Maret et plusieurs autres, tous grands dignitaires de l'empire et officiers d'honneur du Grand-Orient. Mais déjà il avait été appelé à la grande-maîtrise par l'empereur, qui avait voulu honorer ainsi une institution à laquelle il appartenait lui-même, qu'il estimait pour ses principes et pour ses œuvres, et dont il voulait favoriser la propagation pour en généraliser les idées et les bienfaits. Quoique le nouveau grand-maître n'ait pas été installé dans sa dignité et qu'il n'ait même jamais assisté aux séances du Grand Orient, dont ses devoirs, comme général d'abord et ensuite comme roi, l’ont tenu constamment éloigné, il n'en attachait pas moins un grand prix au titre dont il était revêtu, et il n'en saisissait pas moins avec empressement toutes les occasions qui se présentaient pour se faire rendre compte de la situation et des progrès de la maçonnerie. A toutes les époques de sa vie, au faite des honneurs comme dans l'adversité, la qualité de maçon donnait des droits à sa bienveillance particulière, et il accorda toujours de préférence les emplois et les faveurs aux membres de la société.
Longtemps le Grand-Orient de France, dont il n'avait pas cessé d'être le grand-maître, a dû s'abstenir de toute communication avec lui et laisser même sa place vide en tête du tableau des grands dignitaires de l'Ordre : les dures nécessités de la politique, de justes ménagements pour les pouvoirs qui se sont succédé depuis la chute de l'empire, le voulaient ainsi. Mais aujourd'hui que le frère de Napoléon, que le chef de la famille impériale a disparu de ce monde, que la manifestation des sentiments qu'inspiraient sa personne et ses malheurs n'a plus rien de dangereux pour la paix publique, que la tombe enfin s'est refermée sur sa dépouille inanimée, le Grand-Orient, la maçonnerie française, lui doivent et se doivent à eux-mêmes de payer un tribut de regrets à sa mémoire. Déjà, dans les diverses chambres d'administration, des batteries de deuil ont été tirées en son honneur. Ce n'est pas assez. Il faut solenniser ses obsèques maçonniques avec tout l'appareil qu'exige la haute position qu'il a occupée dans l'Ordre. Nous avons la ferme confiance que le Grand-Orient ne lui refusera pas ce triste et dernier hommage.