Points de vue profanes sur les maçons en 1737

 Cliquez ici pour entendre un extrait (le 4e couplet) de l'enregistrement de cette chanson sous le titre Les fre-maçons, sur le disque noir (Chant du Monde LDY-4107) Histoire de France par les chansons, vol. 7 (Régence et Louis XV)

Cette chanson, datant de 1737, n'est pas une chanson maçonnique à proprement parler ; le fait qu'elle reflète ce qu'à l'époque (qui est celle où en France on commence à parler beaucoup du sujet) on disait des maçons nous a cependant poussé à la publier sur ce site.

Nous l'avons trouvée dans le Chansonnier historique de Raunié, vol. VI, pp. 174-9.

Dès le premier couplet, on rencontre l'idée (qu'on trouve ailleurs à la même époque) que la maçonnerie n'est en fait qu'un prétexte pour banqueter. Dans les suivants, il est fait allusion au soupçon imaginaire que contestera Clérambault en 1743 et qui était alors fort répandu.

Jusqu'à la découverte de l'enregistrement mentionné plus haut, nous n'avions aucune indication sur l'air, mais avions émis, d'après une chanson apparentée, l'hypothèse que cela pouvait se chanter sur l'air Du haut en bas (cliquez ici pour l'entendre, séquencé par Acélan).


Les francs-maçons

 

Des francs-maçons
Chantons le mérite et la gloire,
Des francs-maçons.
Ce sont de fort jolis garçons,
Qui ne s'unissent que pour boire ; 
Là se réduit tout le grimoire
Des francs-maçons.

L'égalité
Chez eux, préside en souveraine ;
L'égalité
Charme de la société
Et par une suite certaine
L'aimable liberté qu'amène 
L'égalité.

Sans nul égard 
Du haut rang ni de la noblesse; 
Sans nul égard 
De la science ni de l'art, 
Ce n'est qu'en frère et par tendresse 
Que l'un à l'autre on s'intéresse, 
Sans nul égard. 

Contre eux pourtant, 
Il est un point qui m'indispose 
Contre eux pourtant ; 
C'est ce secret qu'ils vantent tant. 
Il faut être, amis, bouche close ; 
Mais trop d'excès fait que l'on glose 
Contre eux pourtant.

Dans leurs repas, 
Demandez-leur ce qui se passe 
Dans leurs repas, 
Choses qui ne se disent pas; 
Preuve, dit-on, que la fricasse 
Ne tient pas la première place 
Dans leurs repas. 

Hé ! Qu'est-ce donc ? 
Demande-t-on avec surprise, 
Hé ! Qu'est-ce donc ? 
Semblable secret ne fut onc, 
Si ce n'est pas en donnant prise ; 
Pour éviter une méprise, 
Hé ! Qu'est-ce donc ? 

Sous ce secret, 
Que d'horreur chacun imagine
Sous ce secret ; 
C'est bien à tort être discret. 
Moi-même, plus je l'examine,
Plus je trouve mauvaise mine 
Sous ce secret.

De leur destin, 
Si l'on faisait juges les dames 
De leur destin, 
Ils auraient bientôt triste fin, 
Par elles condamnés aux flammes ; 
Bientôt riraient les saintes âmes 
De leur destin.

Par trop d'excès, 
C'est pourtant être ridicule 
Par trop d'excès,
Que de faire ainsi leur procès, 
Quand rien contre eux on n'articule ;
Tout jugement contre eux s'annule 
Par trop d'excès.

En gens sensés, 
Le reproche qu'on peut leur faire, 
En gens sensés, 
C'est qu'ils ne le sont point assez. 
En se piquant d'un grand mystère, 
Eux-mêmes n'ont pas su se taire 
En gens sensés. 

Quoi qu'il en soit, 
Pour eux je me réconcilie, 
Quoi qu'il en soit ; 
C'est assez qu'avec eux l'on boit ; 
Je fais plus, si l'on m'en défie, 
Avec eux soudain je me lie, 
Quoi qu'il en soit.

En gens d'esprit, 
Ils se servent d'une chimère 
En gens d'esprit, 
Pour fournir à leur appétit. 
Dupés, ils dupent maint confrère, 
Et par là font souvent grand'chère, 
En gens d'esprit.

Qu'est-ce, en effet, 
Que toute leur forfanterie ? 
Qu'est-ce, en effet, 
Que ce mystérieux objet 
D’apparente maçonnerie ? 
Si ce n'est pure momerie, 
Qu'est-ce, en effet ? 

Cet appareil 
De gants, tabliers et truelles, 
Cet appareil 
D'ordre, de signes, de conseil, 
D'un sot enchante la cervelle, 
Presque on dirait qu'il ensorcelle 
Cet appareil. 

Ainsi grossit, 
Cette nouvelle confrérie 
Ainsi grossit ; 
Contre elle échouerait un édit. 
Tout abus, quoique l'on en crie,
Fondé sur l'humaine folie, 
Ainsi grossit.

Chers francs-maçons, 
Si je vous blâme en apparence, 
Chers francs-maçons, 
Vous n'êtes pas moins bons garçons. 
Vous savez vous remplir la panse ; 
Ce seul trait de tout vous dispense, 
Chers francs-maçons.

Conclusion, 
Si je vous taxe d'un vain leurre, 
Conclusion, 
Ordonnez ma réception ; 
En me rendant au jour, à l'heure, 
Pourrais-je vous donner meilleure 
Conclusion ? 

Il est également intéressant de lire les commentaires que, après avoir cité le Journal de Barbier (T. 3, pp. 80-81), Raunié fait en 1882 sur cette chanson, dans une note de bas de page :


 

« Nos seigneurs de cour ont inventé tout récemment un ordre appelé des Freemassons, à l'exemple de l'Angleterre où il y a ainsi différents ordres particuliers ; et nous ne tardons pas à imiter les impertinences étrangères. Dans cet ordre-ci étaient enrôlés quelques-uns de nos secrétaires d'État et plusieurs ducs et seigneurs. On ne sait quoi que ce soit des statuts, des règles et de l'objet de cet ordre nouveau. Ils s'assemblaient, recevaient les nouveaux chevaliers, et la première règle était un secret inviolable pour tout ce qui se passait. Comme de pareilles assemblées aussi secrètes sont très dangereuses dans un Etat, étant composées des seigneurs, surtout dans les circonstances du changement qui vient d'arriver dans le ministère, M. le cardinal de Fleury a cru devoir étouffer cet ordre de chevalerie dans sa naissance, et il a fait défense à tous ces messieurs de s'assembler et de tenir de pareils chapitres. » (Journ. de Barbier.)

Barbier a tort de considérer la franc-maçonnerie comme une invention des seigneurs de la cour ; c'était une importation d'origine anglaise. L'ordre des francs-maçons, que l'on fait d'ordinaire remonter à Hiram, architecte du temple de Salomon, ne fut introduit en France que vers 1725 par des Anglais, qui fondèrent la première loge dans la maison d'un cuisinier de la rue des Boucheries. C'est l'élection du grand-maître en 1737 qui appela sur l'ordre l'attention de la police et provoqua l'interdiction prononcée par le cardinal de Fleury.

Bernard Faÿ cite (p. 168) 5 des 18 couplets de cette chanson dans La franc-maçonnerie et la Révolution intellectuelle du XVIIIe siècle (Ed. de Cluny, 1935). 

Dans la Franc-maçonnerie sous les Lys (Grasset, 1953), Roger Priouret (p. 7) en cite également trois couplets.

Le premier couplet a été modifié pour en faire une chanson plus maçonnique.

Priouret (p. 44) cite également une autre chanson, plus perfide puisqu'elle fait écho aux rumeurs - le fameux soupçon imaginaire dénoncé quelques années plus tard par Clérambault - que l'exclusion des dames de leurs assemblées avaient générées vis-à-vis des moeurs des maçons. Elle a été composée pour la Noël 1737 et le poupon qui y est mentionné est celui de la crèche.

De toute République
Chassé honteusement,
Vint un corps socratique
Tumultueusement.
Le poupon s'écria : quelle est cette troupe ?

Ce sont les francs-maçons
Don, don,
Qui, si nous n'étions là,
Là, là,
Vous tâteraient la croupe.

On peut avec certitude (cfr. les caractéristiques répétitions la la et don don) identifier l'air de cette chanson à celui des Bourgeois de Chartres - qui est précisément un Noël : cliquez ici (midi) ou ici (MP3)  pour l'entendre, d'après la partition de la p. 423 de la Lire.

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