L'amour récipiendaire

 

Les Métamorphoses de l'amour. Chansonnier dédié aux dames est un ouvrage non daté (la reliure ci-dessus porte la date 1832, qui n'est cependant pas nécessairement celle de son édition : celle-ci remonterait à 1817) publié chez Deville, Le Normant, Eymery.

Il contient la chanson ci-dessous, sans nom d'auteur est anonyme. 

Il s'agit là d'un des (relativement rares) exemples de chanson maçonnique publiée dans un chansonnier profane.

Mais en fait il s'agit d'un plagiat, sur un autre air, d'une autre chanson figurant sur ce site, datant de 1807 : deux couplets ont été supprimés, l'ordre a été un peu modifié, et quelques vers - dont l'incipit - ont été aménagés. Ci-dessous le texte et, plus bas, la comparaison des deux textes en vis-à-vis (les modifications étant marquées en mauve). 

L'AMOUR RÉCIPIENDAIRE. 

 

AIR: Que vois-je ? Ah ! quel jour radieux ! 

 

LE Dieu d'amour d'être Maçon 
Conçut un jour la fantaisie ; 
Il trouva sans peine un patron 
Au sein de la maçonnerie. 
Il arrive ; on le fait entrer 
Dans un réduit des plus funèbres ;
Il fut prompt à se rassurer. 
L'Amour ne hait pas les ténèbres.

Apprenez-moi, dit-il, le nom 
De ce boudoir de Proserpine ?
- Cabinet de réflexion.
- Ah, ce mot affreux m'assassine !
Ne m'y laissez que peu d'instants, 
Il serait pour moi trop à craindre ;
Car lorsqu'il réfléchit long-temps, 
L'Amour est bien près de s'éteindre.

On le descend dans un caveau 
D'un aspect sombre et funéraire ;
Il est placé près d'un tombeau 
Qu'une lueur livide éclaire. 
Des ossements frappent d'abord 
Les yeux du pauvret qui s'écrie :
Qu'a de commun avec la mort 
Celui dont émane la vie ?

Il faut faire son testament. 
- Epargnez-m'en, dit-il la peine ; 
Hélas ! je ne laisse, en mourant, 
Que d'un songe la trace vaine : 
Mais s'il faut de mes souvenirs 
Vous laisser un gage sincère, 
Je lègue mes plus doux plaisirs 
A tous les Maçons de la terre.

Dans le temple il est parvenu, 
Avec les formes de coutume, 
Les yeux bandés, et le corps nu,
Il n'a pas changé de costume. 
Mais il paraît embarrassé, 
Son état n'a rien qui lui plaise ;
Entre deux surveillants placé,
L'Amour ne saurait être à l'aise.

« A mon ordre le paresseux 
Dit-il, ne craint plus la fatigue ;
Je rends doux les plus furieux, 
Et l'avare devient prodigue. 
Si je suis gourmand quelquefois, 
C'est des caresses d'une amie ;
Jamais au plus puissant des rois 
L'Amour heureux ne porte envie. » 

Aux questions q'on lui soumet 
Il répond avec assurance. 
Le vénérable est satisfait. 
Le premier voyage commence. 
Un grave expert lui sert d'appui, 
En le suivant l'Amour s'écrie :
Frère, tu remplis aujourd’hui
L'antique emploi de la Folie.

Faut répéter en ce moment 
Une obligation sévère. 
- Très-volontiers car d'un serment 
L'Amour ne s'embarrasse guère. 
Il promet, il jure, il consent, 
Mais rarement il est sincère. 
Juste ciel ! mon bandeau descend, 
O mes amis, qu'allez-vous faire ? 

Pardonnez-moi, je me dédis, 
L'Amour est sujet aux caprices ; 
Mais cette fois, mes bons amis, 
N'en accusez pas ma malice : 
M'ôter mon bandeau, c'est un tour 
Qu'on joue à la nature entière ; 
Las ! je ne serais pIus l'Amour, 
Si j'avais connu la lumière. 

De vos faveurs très-grand merci, 
Permettez, Messieurs, que je sorte ;
Ma sœur doit régner seule ici, 
Mais je vous attends à la porte. 
Si je renonce à votre loi, 
Ce n'est pas que je la condamne ;
Vous, joyeux Maçons, croyez-moi, 
Aimez toujours l'Amour profane.
 

Comparaison des textes
1807  1817 

L'AMOUR RÉCIPIENDAIRE. 

 

AIR: Prenons d'abord l'air bien méchant 

 

On dit qu'Amour d'être Maçon 
Conçut un jour la fantaisie ; 
Il trouva sans peine un patron 
Au sein de la maçonnerie. 
Il arrive, on le fait entrer 
Dans un réduit des plus funèbres ;
Il fut prompt à se rassurer. 
L'Amour ne hait pas les ténèbres.

Apprenez-moi, dit-il, le nom 
De ce boudoir de Proserpine ?
- Cabinet de réflexion.
- Ah, ce mot affreux m'assassine.
Ne m'y laissez que peu d'instants, 
Ce lieu me paraît trop à craindre ;
Car, lorsqu'il réfléchit long-temps, 
L'Amour est bien près de s'éteindre.

Médite chaque inscription,
Crie une voix de basse-taille.
Il lit avec attention,
Et dit devant chaque muraille :
Je suis curieux, j'en conviens ;
Mais les rangs n'ont rien qui m'étonne ;
Et quant au courage, on sait bien
Qu'au plus poltron l'Amour en donne.

L'AMOUR RÉCIPIENDAIRE. 

 

AIR: Que vois-je ? Ah ! quel jour radieux ! 

 

LE Dieu d'amour d'être Maçon 
Conçut un jour la fantaisie ; 
Il trouva sans peine un patron 
Au sein de la maçonnerie. 
Il arrive ; on le fait entrer 
Dans un réduit des plus funèbres ;
Il fut prompt à se rassurer. 
L'Amour ne hait pas les ténèbres.

Apprenez-moi, dit-il, le nom 
De ce boudoir de Proserpine ?
- Cabinet de réflexion.
- Ah, ce mot affreux m'assassine !
Ne m'y laissez que peu d'instants, 
Il serait pour moi trop à craindre ;
Car lorsqu'il réfléchit long-temps, 
L'Amour est bien près de s'éteindre.

On le descend dans un caveau 
D'un aspect sombre et funéraire ;
On l'assied auprès d'un tombeau 
Qu'une lueur livide éclaire. 
Des ossements frappent d'abord 
Les yeux du pauvre, qui s'écrie :
Qu'a de commun avec la mort 
Celui dont émane la vie ?

Il faut faire son testament :
- Epargnez-m'en, dit-il, la peine ; 
Je ne laisse, hélas !  en mourant, 
Que d'un songe la trace vaine. 
Je lègue aux beaux yeux mon flambeau 
Mon carquois, mes flèches cruelles ; 
Je lègue à l'hymen mon bandeau, 
Aux amants dédaignés mes ailes.

Dans le Temple il est parvenu, 
Avec les formes de coutume, 
Les yeux bandés et le corps nu,
Il n'a pas changé de costume : 
Mais il a l'air embarrassé, 
Son poste n'a rien qui lui plaise.
Entre deux Surveillants placé,
L'Amour ne pouvait être à l'aise.

On le descend dans un caveau 
D'un aspect sombre et funéraire ;
Il est placé près d'un tombeau 
Qu'une lueur livide éclaire. 
Des ossements frappent d'abord 
Les yeux du pauvret qui s'écrie :
Qu'a de commun avec la mort 
Celui dont émane la vie ?

Il faut faire son testament. 
- Epargnez-m'en, dit-il la peine ; 
Hélas ! je ne laisse, en mourant, 
Que d'un songe la trace vaine : 
Mais s'il faut de mes souvenirs 
Vous laisser un gage sincère, 
Je lègue mes plus doux plaisirs 
A tous les Maçons de la terre.

Dans le temple il est parvenu, 
Avec les formes de coutume, 
Les yeux bandés, et le corps nu,
Il n'a pas changé de costume. 
Mais il
paraît embarrassé, 
Son
état n'a rien qui lui plaise ;
Entre deux surveillants placé,
L'Amour ne
saurait être à l'aise.

Aux questions qu'on lui soumet,
Il répond avec assurance. 
Le Vénérable est satisfait, 
Le premier voyage commence. 
Un grave expert lui sert d'appui ; 
En souriant l'Amour s'écrie :
Frère, tu remplis aujourd’hui
L'antique emploi de la Folie.

Sur les sept péchés capitaux,
L'Amour dit, d'une voix discrète :
L'orgueil n'est pas de mes défauts,
J'unis le sceptre et la houlette.
La luxure, on la prend souvent
Pour moi, qui n'y ressemble guère ;
Mais tout coeur pur, sensible, aimant,
Doit savoir combien j'en diffère.

A mon ordre le paresseux 
Ne redoute plus la fatigue ;
L'emporté devient doucereux, 
Et l'avare devient prodigue. 
Si je suis gourmand quelquefois, 
C'est des caresses d'une amie ;
Jamais au plus puissant des rois 
L'Amour heureux ne porte envie. » 

Il faut prêter en ce moment 
Une obligation sévère. 
Volontiers, dit-il, d'un serment 
L'Amour ne s'embarrasse guère. 
On reconduit à l'Occident 
L'aimable Récipiendaire : 
Quoi ! dit-il, mon bandeau descend ? 
O mes amis ! qu'allez-vous faire ? 

« A mon ordre le paresseux 
Dit-il, ne craint plus la fatigue ;
Je rends doux les plus furieux, 
Et l'avare devient prodigue. 
Si je suis gourmand quelquefois, 
C'est des caresses d'une amie ;
Jamais au plus puissant des rois 
L'Amour heureux ne porte envie. » 

Aux questions qu'on lui soumet 
Il répond avec assurance. 
Le vénérable est satisfait. 
Le premier voyage commence. 
Un grave expert lui sert d'appui, 
En
le suivant l'Amour s'écrie :
Frère, tu remplis aujourd’hui
L'antique emploi de la Folie.

Faut répéter en ce moment 
Une obligation sévère. 
- Très-volontiers car d'un serment 
L'Amour ne s'embarrasse guère. 
Il promet, il jure, il consent, 
Mais rarement il est sincère.
 
Juste ciel ! mon bandeau descend, 
O mes amis, qu'allez-vous faire ? 

Pardonnez, je change d'avis, 
L'Amour est sujet au caprice ; 
Mais cette fois, mes bons amis, 
N'en accusez point ma malice : 
M'ôter mon bandeau, c'est un tour 
Qu'on joue à la nature entière ; 
Las ! je ne serai pIus l'Amour, 
Dès que j'aurai vu la lumière. 

Je serai toujours votre ami, 
Mais souffrez, Messieurs, que je sorte ;
Ma sœur doit régner seule ici, 
Moi, je vous attends à la porte. 
Si je refuse votre loi, 
Ce n'est pas que je la condamne.
Vous, joyeux Maçons, croyez-moi, 
Aimez toujours l'Amour profane.
 

Pardonnez-moi, je me dédis, 
L'Amour est sujet aux caprices ; 
Mais cette fois, mes bons amis, 
N'en accusez
pas ma malice : 
M'ôter mon bandeau, c'est un tour 
Qu'on joue à la nature entière ; 
Las ! je ne serai
s pIus l'Amour, 
Si j'avais connu la lumière. 

De vos faveurs très-grand merci, 
Permettez,
Messieurs, que je sorte ;
Ma sœur doit régner seule ici, 
Mais je vous attends à la porte. 
Si je
renonce à votre loi, 
Ce n'est pas que je la condamne ;
Vous, joyeux Maçons, croyez-moi, 
Aimez toujours l'Amour profane.
 

L'air Que vois-je, quel jour radieux ! est donné (sous ce titre ou sous ceux alternatifs L'un est le fils du sentiment ou Tu ne vois pas, jeune imprudent) par la Clé du Caveau (3e édition) sous le numéro 378. Il avait déjà été utilisé dans une comédie de Dupaty (fils) publiée en 1805.

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