On
sait qu'en France la première initiation féminine proprement maçonnique (c'est-à-dire
hors Loges d'Adoption et sans tenir compte du cas - douteux ? - de Mme de Xaintrailles)
fut celle de Maria Deraismes en 1882 et qu'après le scandale et le
désaveu qu'elle provoqua, il fallut attendre plus de 10 ans pour qu'en 1893
aient lieu 13 nouvelles initiations, prélude à la création du Droit Humain. Mais
on ignore généralement qu'en Espagne un mouvement analogue fut beaucoup plus précoce, de plus grande
ampleur et un peu moins mal accueilli.
ci-contre :
image empruntée
à une page
en catalan |
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Citons ici quelques extraits (pp.
589-91) du Tome II de la monumentale tétralogie
d'Yves Hivert-Messeca, l'Europe sous l'acacia (Dervy, 2012) :
Si l'on se réfère à des travaux récents, au début de 1871, on trouvait deux sœurs, Amalia Antigüedad et Elvira Chacel, dans la loge madrilène Comuneros de Castilla n° 289
(Grande Oriente de Espana). La première réception féminine connue présentement serait celle de la loge
Betica, sise à Malaga (Grande Oriente de Espana), au printemps 1872. Cette même année, on signalait des réceptions de femmes en loge à Madrid (loges Minerva et
Hijos dei trabajo) et à Barcelone (loge Moralidad). Le phénomène s'accentua dans la décennie 1880. Si l'on en croit les calculs du professeur José Antonio Ferrer Benimeli, de 1871 à 1939, sept cent trente-deux femmes furent faites maçonnes en Espagne, dont cinq cent quatre-vingt-six pour la seule fin du
XIXe siècle. Le chercheur pense que le total des femmes espagnoles de cette période pourrait dépasser le millier ... près de deux cents loges masculines, soit une sur neuf, recevront des femmes … Les cérémonies de réception des femmes ou d’avancement des sœurs étaient le plus souvent identiques à celles des frères …
Malgré cette présence forte de sœurs, la majorité des maçons espagnols demeura hostile à la présence de femmes en maçonnerie. À partir des règlements d'adoption
du Grand Orient National d'Espagne (30 mars 1891) et de la Loi
d’adoption (15 août 1892) du Grand Orient Espagnol, la réception de femmes dans la franc-maçonnerie espagnole reçut un coup d'arrêt. Les Obédiences, à l'exception de la Grande Loge symbolique de Memphis et Misraïm, s'orientèrent vers des loges d'adoption, simples auxiliaires de la franc-maçonnerie masculine ou simples sociétés paramaçonniques de bienfaisance. De nombreux ateliers d'adoption furent créés dans cette nouvelle
optique ...
Cette forte présence de sœurs dans les loges espagnoles demeura ignorée de la franc-maçonnerie européenne.
Au cours du
colloque Les femmes et la franc-maçonnerie, des Lumières à nos jours
tenu en 2010 à l'Université Michel de Montaigne de Bordeaux,
José Antonio Ferrer Benimeli a présenté une communication
intitulée Les femmes et la franc-maçonnerie espagnole au XIXe siècle,
dont on trouve ici
le résumé suivant :
L’introduction de la franc-maçonnerie en Espagne est très tardive, mais
entre 1869 et 1898 on trouve mille sept cent cinquante loges appartenant
à vingt obédiences différentes. La première initiation maçonnique des
femmes date de 1871, onze ans avant celle de Maria Deraismes. Entre 1871
et 1898, on a répertorié cinq cent quatre-vingt-six femmes franc-maçonnes
espagnoles. Elles font partie de cent quatre-vingts loges masculines ou ont
été admises au même titre et à égalité avec les hommes. Les Sœurs sont
aussi en possession de hauts grades et de postes à responsabilité dans des
loges majoritairement masculines qui, dans la pratique, deviennent des
loges mixtes. Quelques fois les Sœurs à l’intérieur de la loge font partie
d’une Colonne ou Chambre d’Adoption avant de se constituer en loge
d’Adoption. Mais dans la plupart de cas, les Chambres d’Adoption ne
parviennent pas à se transformer en loges d’Adoption. La première loge
d’Adoption connue date de 1873. À partir de la publication par deux
obédiences des premiers Règlements et de la Loi d’Adoption (1891-1892) on
constate un changement négatif vis-à-vis de l’acceptation des femmes et les
loges d’Adoption deviennent une sorte de franc-maçonnerie auxiliaire de
bienfaisance. Mais d’autres obédiences refusent le terme même d’Adoption
qu’elles ne considèrent approprié que pour les enfants et les vieillards : la franc-maçonnerie qui ne fait pas de distinction entre les frontières, les
races, les idées et les religions, ne doit pas non plus exclure les femmes.
Sur cette
question, on lira également avec intérêt :
- l'article
d'Isabel Hernandez-Fernandez sur le riche blog
Critica masonica ;
- le texte
de María José Lacalzada De MATEO, Du foyer à l’espace public. Les femmes et la franc-maçonnerie en Espagne (1868-1936),
dans l'ouvrage : Les francs-maçons dans la cité : Les cultures politiques de la Franc-maçonnerie en Europe (XIXe-XXe siècle)
(Presses universitaires de Rennes, 2000) ;
- sur le site
The Conversation, l'article
de Christelle Schreiber–Di Cesare, Les franc-maçonnes, pionnières du féminisme en Espagne
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