Le culte napoléonien

 

Le culte de la personnalité napoléonien entretenu dans la maçonnerie française sous l'Empire (et déjà dès le Consulat) est comparable à celui rendu - mais cette fois sans la complicité des maçons - aux grands dictateurs du XXe siècle.

On en trouve d'innombrables témoignages tant dans le Tableau des titres distinctifs des Loges créées ou re-nommées à l'époque (ci-contre : médaille de l'Aigle Impériale de France, fondée à Paris en 1807) que dans le chansonnier maçonnique.

Napoléon fut même traité en 1808, par le Frère Delagrange, Orateur des Neuf Soeurs, de héros auquel le Grand Architecte semble avoir confié la direction exclusive de la Grande Loge terrestre (source : Pierre Chevallier, Histoire de la Franc-maçonnerie française, Fayard, 1974, Tome II, p. 87). 

L'avis d'Amiable

Nombreux étaient les fonctionnaires de tout grade dans les ateliers. Il était presque de règle que les préfets fussent vénérables de loges dans les chefs-lieux de départements, et les sous-préfets dans les chefs-lieux d'arrondissements. Grâce à la faveur du gouvernement, le nombre des ateliers croissait rapidement : en 1806, il y avait plus de 500 loges et plus de 170 chapitres. Le nouveau César avait pourvu, non seulement à ce que l'association ne fût pas gênante pour lui, mais encore lui servît d'instrument de règne. Il n'était plus question d'étudier les problèmes philosophiques ou sociologiques, de préparer des réformes ou des améliorations dans l'intérêt général. Les idéologues étaient réduits au silence, dans le temple symbolique comme au dehors. Le recrutement des ateliers, la bienfaisance et la littérature agréable, les banquets et les fêtes, tels étaient les seuls objets de l'activité maçonnique. Aucune réunion de quelque importance ne devait se terminer sans qu'on eût célébré la gloire et les prodigieux mérites du successeur de Charlemagne. A la fin des banquets, ses louanges alternaient avec les couplets où l'on célébrait Bacchus et Cupidon. On dépensait largement pour faire la charité et pour se donner de l'agrément. On ne mettait rien en réserve, car il semblait que le Pactole dût couler indéfiniment entre les colonnes. Jamais, dans notre pays, la franc-maçonnerie n'eut des apparences plus propres à en imposer au vulgaire : jamais elle ne fut aussi peu à la hauteur de sa mission. C'était une brillante légion de parade : ce n'était plus la solide phalange du progrès. Et, pourtant, elle n'avait pas renié ses principes ; elle les oubliait momentanément ; et l'étincelle restait cachée sous la cendre.

Louis Amiable, Une loge maçonnique d'avant 1789, la loge des Neuf Soeurs, p. 356

Ce tablier de Maître d'époque illustre bien - dans un décor de surcroît très égyptianisant - la vénération napoléonolâtre. C'est (détail à droite) le buste de l'Empereur qui surmonte une des colonnes (celui qui lui fait face serait le maréchal Berthier).

 

(ce tablier était présenté par la Loge de Genève Union et Travail à l'exposition L'art de la franc-maçonnerie tenue dans la même ville le week-end du 1er mai 2011, dans le cadre du Salon du Livre).

  

Napoléon franc-maçon ???

La gravure (ci-dessous) d'Ernest Seigneurgens, intitulée NAPOLEON 1er à la Loge du Faubourg St Marcel et le représentant entrant en Loge revêtu de décors maçonniques en donnant le mot de passe, a été abondamment utilisée pour répandre la thèse (qui, selon les historiens sérieux, n'est probablement qu'une légende) de son appartenance.

Dans son Histoire pittoresque de la franc-maçonnerie et des sociétés secrètes (1844), Bègue-Clavel accompagne cette image du (rocambolesque ?) commentaire ci-dessous (p. 244) :

Quelques années après, lorsque les désastres de la guerre et les levées d'hommes multipliées qu'ils avaient nécessitées eurent refroidi l'enthousiasme et provoqué un mécontentement général, on persuada à l'empereur que ses ennemis essayaient d'attirer les loges à leur parti. On lui signala spécialement une loge d'artisans, qui se réunissait dans un local du faubourg Saint-Marcel, comme un des principaux foyers de cette conspiration. L'empereur, avant de sévir, ce qu'il jugeait dangereux dans un pareil moment, voulut s'assurer par lui-même de la réalité des faits qui lui étaient dénoncés. Un soir donc, accompagné des frères Duroc et Lauriston, il se rendit incognito à une tenue de cette loge. Duroc entra le premier comme visiteur et alla s'asseoir à côté du vénérable. Il lui dit à mi-voix, et de manière à n'être entendu que de lui seul, que deux autres visiteurs allaient bientôt se présenter et qu'il le priait et au besoin lui enjoignait de les recevoir sans cérémonie et de s'abstenir de toute espèce de manifestation, dans le cas où il les reconnaîtrait. L'empereur et Lauriston s'étant ensuite présentés, furent introduits comme il avait été convenu. Ils se placèrent sur une des colonnes, et assistèrent pendant une demi-heure aux discussions qui eurent lieu. Certain alors que la dénonciation dont la loge avait été l'objet reposait sur des allégations mensongères, l'empereur se retira. Ce n'est qu'à la fin de la séance que le vénérable informa les frères de la qualité des visiteurs qu'ils avaient reçus au milieu d'eux. Certes, si Napoléon eût été présent alors, l'enthousiasme que cette déclaration excita dans la loge lui eût fourni une preuve nouvelle et sans réplique que les maçons qui la composaient n'étaient rien moins que disposés à conspirer contre lui.

Cette légende a la vie dure, comme en témoigne le commentaire de ce First Day Cover monégasque, qui se réfère à l'ouvrage de Denslow publié par Macoy, 10.000 Famous Freemasons, pour affirmer que Napoléon fut maçon avant qu'il devînt Empereur. On y évoque, en guise de preuve, le fait que selon Goblet d'Alviella un tablier de Chevalier Rose-Croix aurait été trouvé dans ses bagages ... après Waterloo.

L'auteur du commentaire manifeste également son ignorance en écrivant que plusieurs auteurs sont d'accord sur le fait qu'il y avait un Chapitre et une Loge itinérante dans la Grande Armée.

... et comme on le voit au First Day Cover ci-contre (qui associe curieusement Révolution française et bonapartisme), il se trouve des américains pour en remettre une couche, en considérant comme acquise l'Initiation en 1798 de Napoléon dans une "Army Philadelphe Lodge" dont nous n'avons pas trouvé trace ...

L'appartenance maçonnique de certains de ses frères de sang, évoquée sur le même document, est par contre plus probable ou certaine. C'est assurément le cas de Joseph Bonaparte, Grand Maître du Grand Orient de France.

Dans son article Le militaire en Maçonnerie (XVIIIème-XIXème siècles) paru en 1983 ( 2e année, n°4, pp. 549-576) dans Histoire, économie et société, Jean-Luc Quoy-Bodin consacre un chapitre (pp. 566-8) à cette question si controversée. Reproduisons-en la synthèse suivante :

L'Empereur était fils, frère et époux de francs-maçons et franc-maçonne notoires.
La tradition maçonnique s'est maintenue chez les Bonaparte jusqu'à la fin du Second Empire. Or, depuis 1812, date à laquelle Thory soulevait la question de l'appartenance de l'Empereur à la F. M. pour y répondre par la négative, jusqu'à nos jours, on reste confondu par l'abondance des écrits consacrés à cette seule question. Les écrivains et éditorialistes maçons de la période romantique (Bègue-Clavel, Bésuchet) ont vu Napoléon initié soit à Malte en 1798 ou en Egypte (l'Abeille maçonnique, le Globe), soit même dans la forêt de Fontainebleau. A-t-il été initié par les Philadelphes, les Illuminés ou les Francs-Juges ? La remarquable école d'histoire maçonnique anglaise Ars Quatuor Coronatorum a emboîté le pas à la fin du siècle dernier (Gould, Crawley, Tuckett). En 1914 Tuckett offrait une excellente synthèse au terme de laquelle il concluait catégoriquement par l'appartenance certaine de Napoléon à la F. M. D'autres écrivains, royalistes (de Malet 1817, de Frondeville 1820) ou polémistes (J. de Maistre 1858) ont voulu voir en Napoléon une marionnette entre les mains de l'Ordre. A la fin du siècle dernier et au début de ce siècle, les historiens nationalistes (Deschamps, Cartier, Bernardin, Vallentin de Cheylard) et républicains (Lantoine, Caillé, Pariset, 1921) se renvoyaient la balle, les uns pour étayer la thèse sempiternelle du noyautage de l'armée et le mythe du coup de poignard dans le dos (thèse reprise en 1943 par C. de Flahaut), les autres pour s'indigner d'une interprétation de l'histoire basée sur un parti pris idéologique.
Depuis 1945, peu d'éléments nouveaux sont à verser au dossier : tout en perdant de son caractère passionné la controverse se poursuit entre partisans (Encausse, 1955, J. Palou, 1964, H. Bac, 1978, F. Collaveri, 1982) et sceptiques (Lepage, 1953, Boisson, 1967, Ligou, 1969, Chevallier, 1974).

Quoy-Bodin cite également des discours de loges d'époque et reflétant l'une et l'autre thèse, comme celui-ci (avril 1801, Frère Rizaucourt) :

Bien que notre lumière éblouissante n'ait jamais rayonné dans tes yeux, tu restes quand même notre frère. Que tu appartiennes ou non à la franc-maçonnerie, héros, avec tes vertus et ton génie on peut te considérer comme franc-maçon.

A quelques jours d'intervalle, le même Rizaucourt disait d'ailleurs la même chose en chanson [ndlr : cfr p. 212 du volume 1 du Miroir de la Vérité d'Abraham]:

Si notre éclatante lumière
Ne brilla jamais à tes yeux
Tu n'en es pas moins notre frère
La Lumière te vient des Cieux.
Que dans la Franc-Maçonnerie
Héros, tu te comptes ou non
Avec tes vertus, ton génie
Tu peux passer pour Franc-Maçon 

ou, en sens inverse, celui-ci :

Bonaparte est sûrement l'enfant chéri de la Veuve puisqu'il possède toutes les vertus maçonniques.

Dans les Mémoires de Constant, premier valet de chambre de l'empereur, sur la vie privée de Napoléon, sa famille et sa cour, on peut lire (au chapitre XVII du volume V) :

L'empereur, dès le temps où il n'était encore que premier consul, non-seulement ne s'était point opposé à la réouverture des loges maçonniques, mais il est permis de penser qu'il l'avait favorisée sous main. Il était bien sûr que rien ne sortirait de ces réunions qui pût être dangereux pour sa personne ou contraire à son gouvernement, puisque la franc-maçonnerie comptait parmi ses adeptes, et avait même pour chefs, les plus grands personnages de l'état. D'ailleurs, il aurait été de toute impossibilité que dans ces sociétés, où se glissaient quelques faux-frères, un secret dangereux, s'il y en avait eu de tel, pût échapper à la vigilance de la police. L'empereur en parlait quelquefois, mais comme de purs enfantillages bons pour amuser les badauds ; et je puis assurer qu'il riait de bon cœur quand on lui racontait que l'archi-chancelier, en sa qualité de chef du Grand-Orient, ne présidait pas un banquet maçonnique avec moins de gravité qu'il n'en apportait à la présidence du sénat et du conseil-d'état.

Je ne peux que vous recommander aussi sur cette question la lecture de l'excellent article, aussi nuancé que documenté, de Jacques Declercq, Quelques aspects de la franc-maçonnerie sous le premier empire.

Il n'est en tout cas, pendant cette période, pas une festivité maçonnique sans étalage de manifestations d'amour pour l'Empereur, comme en témoigne par exemple cette fête philanthropique en 1810 aux Chevaliers de la Croix et d'innombrables chansons traduisant une flagornerie servile autant qu'une mythologie guerrière et nationaliste aussi triomphaliste qu'irréaliste (voir par exemple les annonces successives de prochaine victoire sur l'Angleterre).

A titre historique, de telles chansons figurent en nombre à ce site ; en voici quelques exemples, outre les traditionnelles Fêtes de Saint-Jean du Grand Orient :

pour l'Inauguration du buste de sa Majesté (Toulouse, 1808)

Couplets chantés en loge pour l'inauguration du Buste de l'Empereur, qu'on croit n'être pas Maçon

sur le sacre (Angers 1805)

Une Tenue de Nouvel An pendant l'occupation de Vienne par la Grande Armée (1805)

Couplets en l'honneur des victoires du grand Napoléon (Paris 1806)

Hymne héroïque (Caen 1805)

Cantique pour la Paix et pour Napoléon (Reims 1806)

Le grand Saint-Napoléon (Saumur 1809)

Les Triomphes de nos Frères-d'Armes (Alençon 1805)

Couplets pour célébrer les victoires napoléoniennes (Paris 1806)

La Paix de Tilsit (Lyon 1807)

Hymne (Commercy, 1805)

La Loge des Champs Elisées ou la régénération de la Maçonnerie en France

Santé pour les armées françaises

Hommage à l'Empereur (Longwy, 1810)

Santés de l'Empereur au Banquet de la Paix immortelle en 1809

La Paix, hommage maçonnique à Napoléon et à la victoire par Dubois (Alençon, 1807)

Santé de l'Empereur à la Loge d'Anacréon (1806)

Santé de Napoléon à Gand en 1808

Couplet pour l'inauguration du buste de l'Empereur à la Loge de la Grande Armée

Fête pour la naissance du Roi de Rome à Alexandrie (1811)

Voir aussi les couplets 15 à 18 d'une Ode de Crouzet, qui remercie le (Grand) Architecte des Cieux d'avoir créé Napoléon comme gage de son amour pour la nation française (sic ! ).

Le culte de la personnalité napoléonien avait en fait commencé bien avant son accession à l'Empire : en 1801 et 1802 déjà on en trouve des manifestations.

En février 1807, une chanson en hommage à Napoléon est même chantée en polonais (avec une musique d'Elsner) ; elle sera reproduite en 1811 dans le recueil Pieśni wolnomularskie (chansons maçonniques) publié à Varsovie :

Ce culte de la personnalité s'étendait également aux créatures que Bonaparte avait désignées pour contrôler la maçonnerie et la mettre à son service, comme Cambacérès, Lacépède ou son frère Joseph, ainsi qu'aux autres membres de sa famille.

Dans les Mémoires de Garibaldi, Alexandre Dumas Père émet des considérations assez critiques (mais certes pas infondées) concernant la maçonnerie sous l'Empire :

Napoléon prit la maçonnerie sous sa protection ; mais, en la protégeant, il la faussa, la détourna de son but, la plia à sa convenance, et en fit un instrument de despotisme.
Ce n'est point la première fois que l'on a forgé des chaînes avec des épées. Joseph Napoléon fut Grand Maître de l'ordre ; l'archichancelier Cambacérès, Grand Maître adjoint ; Joachim Murat, second Grand Maître adjoint.

L'impératrice Joséphine étant à Strasbourg, en 1805, présida la fête de l'adoption de la loge des Francs-Cavaliers de Paris. Dans ce même temps, Eugène de Beauharnais était Vénérable de la loge de Saint-Eugène de Paris. Venu depuis en Italie, avec la dignité de vice-roi, le Grand Orient de Milan le nomma maître et souverain Commandeur du Suprême Conseil du trente-deuxième grade, - c'est-à-dire lui accorda le plus grand honneur que l'on pût lui faire, selon les statuts de l'ordre.

Bernadotte était maçon ; son fils, le prince Oscar, fut Grand Maître de la loge suédoise ; dans les différentes loges de Paris, furent successivement initiés : Alexandre, duc de Wurtemberg ; le prince Bernard de Saxe-Veimar, et jusqu'à l'ambassadeur persan, Askeri-Khan ; le président du Sénat, comte de Lacépède, présidait le Grand Orient de France, duquel étaient officiers d'honneur les généraux Kellermann, Masséna et Soult. Les princes, les ministres, les maréchaux, les officiers, les magistrats, tous les hommes enfin remarquables par leur gloire ou considérables par leur position, ambitionnaient de se faire recevoir maçons. 

Les femmes elles-mêmes voulurent avoir leurs loges, dans lesquelles entrèrent : mesdames de Vaudemont, de Carignan, de Girardin, de Narbonne, et beaucoup d'autres dames de grandes maisons ; cependant, une seule fut reçue, non pas comme soeur, mais comme frère. C'était la fameuse Xaintrailles, à laquelle le Premier Consul avait donné un brevet de chef d'escadron (voir note x). Mais ce n'était pas en France seulement que florissait alors la maçonnerie. Le roi de Suède, en 1811, instituait l'ordre civil de la maçonnerie. Frédéric-Guillaume III, roi de Prusse, avait, vers la fin du mois de juillet de l'année 1800, approuvé par édit la constitution de la Grande Loge de Berlin. Le prince de Galles ne cessa de gouverner l'ordre, en Angleterre, que lorsqu'en 1813, il fut nommé régent. Enfin, dans le mois de février de l'année 1814, le roi de Hollande, Frédéric-Guillaume, se déclara protecteur de l'ordre, et permit que le prince royal, son fils, acceptât le titre de Vénérable honoraire de la loge de William-Frédéric d'Amsterdam. Lors du retour des Bourbons en France, le maréchal Bournonville pria le roi Louis XVIII de mettre l'ordre sous la protection d'un membre de sa famille ; mais Louis XVIII était homme de bonne mémoire, il n'avait pas oublié la part qu'avait eue la maçonnerie à la catastrophe de 1793 ; en conséquence, il répondit qu'il ne permettrait jamais à un membre de sa famille de faire partie d'une société secrète, quelle qu'elle fût. En Italie, la maçonnerie tomba avec la domination française ; mais en ses lieu et place commença d'apparaître le carbonarisme, qui semblait reprendre la tâche où la maçonnerie l'avait abandonnée, pour la continuer dans son sens libérateur.

(x) NB : cette histoire n'est pas un fruit de l'imagination oh combien fertile de Dumas. On trouve en effet dans le Dictionnaire de la Franc-maçonnerie de Ligou (PUF) : Xaintrailles (Mme de), ?-1800. Femme du général de ce nom, très liée avec le Premier Consul. Une légende dont Bésuchet et Clavel se font l'écho - il est difficile de savoir tout ce qui est vrai là dedans - affirme que Mme de Xaintrailles suivait, habillée en homme, son mari au feu. Elle devait être reçue dans une loge d'adoption, mais à la suite d'une erreur d'horaire, elle se présenta à la tenue de la loge "les Frères Artistes" et fut initiée comme si elle était le général de Xaintrailles. Par la suite, la loge, considérant les services que Mme de Xaintrailles avait rendus à la République, reconnut la validité de cette initiation.

On trouve, avec la mention Extrait des Mémoires demeurés manuscrits d'un ancien officier du Grand-Orient de France, une autre version aux pp. 29-30 du recueil du Tome premier (première année, 1839) du périodique maçonnique Le Globe :

L'épouse du général Xaintraille, revêtue d'un costume militaire, a rempli, auprès de son mari, les fonctions d'aide-de-camp. S'étant distinguée dans quelques faits d'armes, et surtout par un trait d'humanité remarquable, cette femme extraordinaire fut confirmée par le premier consul dans les fonctions qu'elle-même s'était données, et obtint de lui un brevet de chef d'escadron. La loge des Frères-Artistes, dans laquelle se trouvaient plusieurs officiers, ayant indiqué une fête d'adoption, s'était réunie en travaux d'hommes avant d'ouvrir les barrières du jardin d'Eden. On prévient le vénérable qu'un officier supérieur en grande tenue se présente pour prendre part à la fête qui a été indiquée. On fait demander à cet officier s'il est porteur d'un diplôme, en l'invitant à le remettre. On apporte cette pièce au vénérable (le frère Cuvelier), qui, surpris de reconnaître un brevet d'aide-de-camp au grade de chef d'escadron , au nom de Mme Xaintraille, se rappelle qu'effectivement cette dame a mérité, par sa bravoure et son héroïsme, le titre extraordinaire qu'elle porte. Il ne doute plus que ce ne soit elle-même qui se trouve dans le salon des Pas-Perdus. Il conçoit alors l'idée de la faire initier au grade d'apprenti maçon. Il pérore en conséquence l'atelier, en faisant remarquer que si le premier consul a trouvé, dans la conduite héroïque de cette femme des motifs suffisants pour autoriser le déguisement de son sexe, la loge ne pourra être blâmée pour imiter un tel exemple. Les rigoristes s'y opposent, et craignent les foudres du Grand-Orient. Un nouvel élan d'éloquence du vénérable entraîne une partie des opposants, et ceux-ci, secondant les efforts de leur chef, emportent la loge, qui décide que l'aide-de-camp recevra, sur-le-champ, l'initiation, comme s'il appartenait au sexe des maçons. Des commissaires sages et prudents sont chargés de préparer la récipiendiaire en l'informant de la très-haute faveur qui lui est accordée ; puis on improvise sa réception, en se conformant au rituel, et en abrégeant toutes les cérémonies qui peuvent l'être.
La loge ayant ouvert ensuite ses travaux de l'adoption, a vu siéger sur ses climats le nouveau frère qu'elle venait de se donner.
C'était le frère Cuvelier de Trie, vénérable de la loge, qui faisait cette réception.

ensemble et détail (l'empereur sur son aigle) d'une gravure mise en vente par Franc-maçon Collection sous le titre : Joseph Kiner, la Franc-maçonnerie napoléonienne, début XIXe.

à propos de cette gravure : il semblerait qu'il s'agisse plutôt de l'oeuvre (1860) décrite comme suit (p. 29, note 3) dans l'article de Vidal Philippe-Jean, Les «Desaix» in: Annales historiques de la Révolution française, N° 324, 2001, pp. 21-37 :

... une estampe intitulée Berceau historique des Mystères de la Franc-Maçonnerie, deuxième tableau ... a été conçue, tracée et éditée en 1860 par deux membres du Grand Orient de France : Henri Janin, peintre, graveur, lithographe, affilié à l'Association des artistes du baron Taylor, et François-Joseph Kiener, éditeur-libraire à Paris, Chevalier Kadosch, 30e degré, fondateur de la loge Bonaparte à l'Orient de Paris ; ex-député au Grand Convent de France, commissaire-inspecteur des loges du Grand Orient, et membre affilié à plusieurs loges. Soixante et onze personnages historiques y sont représentés. Sur la colonne de gauche on voit : Washington, Frédéric le Grand, Voltaire, Diderot, Lacépède, Lafayette, Parmentier, Helvétius, etc. Sur celle de droite, Desaix, derrière Cambacérès, à côté de Kléber et, non loin de ses amis Davout, Lannes, Murat, Lasalle et, bien sûr, de ce père spirituel que fut Mathieu Dumas.

A noter : Le 3 octobre 2012, au cours de l'émission de FR3 L'ombre d'un doute sur le sujet Napoléon était-il franc-maçon ?, cette gravure a été présentée (de 34'01" à 34'50") et commentée ... mais malheureusement sans en préciser la date et en donnant à penser qu'elle était contemporaine de l'Empire !

Le douteux concubinage entre maçonnerie et institutions sous l'Empire est bien dénoncé dans le texte suivant, émanant de la Loge bruxelloise des Amis Philanthropes en réponse à une invitation, datée du 25.4.1807, de la Loge douaisienne de la Parfaite-Union, à participer à un Congrès maçonnique en vue d'aviser aux moyens de réprimer les indiscrétions et les spéculations honteuses qui minent la maçonnerie :

L'entrée forcée des grands fonctionnaires de l'Etat dans les Loges y a amené à leur suite une foule de profanes, qui se font initier par intérêt et esprit de lucre. L'amour des hochets a inondé la France, et la maçonnerie compte bien plus d'enfants perdus que de sectateurs véritables.

(source : Lartigue, Précis historique des Amis Philanthropes, 1893, p. 38)

A la Restauration, les Loges firent bien entendu assaut de dévouement au Trône rétabli.

L'enthousiasme napoléonien n'avait cependant pas faibli chez certains maçons ; en témoigne l'Hommage maçonnique à la mémoire de l'Empereur Napoléon, discours que Bazot a prononcé en Loge à l'occasion du triomphal retour en France des cendres de celui-ci en 1840 (une réédition de ce texte a été effectuée en 2001 par l'éditeur Christian Lacour-Ollé, aux éditions Lacour/Rediviva ; l'original est maintenant consultable chez Gallica ; on peut également lire ce texte aux pages 107-110 du recueil du Tome 3 du périodique maçonnique Le Globe, qui l'avait publié en 1841). Voir également ici cette proclamation d'idolâtrie d'Alfred André.  

C'est peut-être l'explication de l'enthousiasme manifesté par certains maçons lors de l'élection, en 1848, de Louis Napoléon Bonaparte à la présidence de la nouvelle République  (qu'il maintiendra par sa prudence comme l'affirme, avec un optimisme qui sera bientôt démenti, la médaille ci-contre, visiblement d'origine maçonnique vu ses symboles, mais sans aucune mention d'émetteur).

D'autres par contre ont manifesté une plus grande réserve, qui allait se révéler justifiée.

C'est ainsi (source : Histoire de la Franc-maçonnerie française de Pierre Chevallier, Fayard, 1974, T. 2, p. 340) que la Loge de Dôle le Val d'Amour protestait avec douleur en décembre 1848 contre une circulaire émanant de Frères parisiens et invitant les maçons de province à appuyer, pour la présidence, le citoyen Louis Napoléon Bonaparte. Elle estimait en effet inopportun que les Maçons se constituent publiquement en courtiers d'élection.

Second Empire

Le Second Empire allait être l'occasion de ressusciter le culte napoléonien. On voit ci-contre un document, daté du 19 mars 1859, émanant de la Loge marseillaise La Française de Saint-Napoléon.

En 1852 fut créée à Paris la très sélecte (son Tableau - voir plus bas - est un véritable Gotha) Loge Bonaparte.

ci-dessous : les deux faces d'un jeton de présence de cette Loge, encadrant une image empruntée aux pages Musée virtuel du site de la Grande Loge Nationale Française : médaille (surmontée d'un aigle impérial) de fondateur de la Loge Bonaparte, offerte au Frère Papeil.

Son Vénérable eut à ce moment l'aplomb d'écrire : Bonaparte a été la maçonnerie incarnée, comme le Christ notre divin maître a été l'incarnation de la Divinité.

(source : Histoire de la Franc-maçonnerie française de Pierre Chevallier, Fayard, 1974, T. 2, p. 395

On trouvera plus de détails sur l'histoire de cette Loge dans l'article Napoléon, Lucien, "Plon-Plon" et les autres : la maçonnerie "officielle" sous le Second Empire de Yves Hivert-Messeca, accessible sur le site de l'IDERM).

Point final : la Loge Bonaparte disparut en 1871, malgré que préalablement elle ait eu la prudence de se renommer La Modération.

 

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