Fridzeri

Cliquez ici pour entendre un extrait de l'air Sur une neige éblouissante (des Souliers mordorés) interprété par la soprano Elise Gabel sur le CD de Guy Penson Ignace Vitzthumb : il vous souvient de cette fête (Musique En Wallonie MEW1055)

Totalement oublié aujourd'hui, Alexandre (Alessandro) Frixer, dit Fridzeri (1741-1819 ou 1825 selon les sources), qui devint aveugle dès l'âge de 11 mois, eut cependant une vie mouvementée et fort épicurienne, sinon libertine ; malgré son infirmité, il fut un brillant interprète sur de nombreux instruments (particulièrement le violon et la mandoline) et,  même s'il ne bénéficia d'aucune formation académique, un compositeur réputé, ainsi qu'un inventeur imaginatif.

Voyons ce qu'en dit Fétis, qui dans son T. 3 lui consacre (p. 339) une assez longue notice :

FRIDZERI ( ALEXANDRE - Marie - Antoine FRIXER, dit), violoniste, compositeur et virtuose sur la mandoline, naquit à Vérone, le 16 janvier 1741. A peine âgé d'un an, il perdit la vue, qu'il n'a point recouvrée depuis lors. Dès ses premières années, il montra du goût pour la musique ; à huit ans, il fabriquait de petits instruments qui lui servaient à montrer son aptitude pour la musique. Cinq maîtres différents lui enseignèrent à jouer du violon, mais toutes leurs leçons réunies ne lui composèrent pas un cours d'études de plus de huit ou neuf mois. A onze ans, il se fit sa première mandoline sur laquelle il acquit seul le rare talent qui le distingua par la suite. Il apprit seul aussi depuis lors à jouer de la flûte, de la viole d'amour, de l'orgue, du cor et de plusieurs autres instruments. Il ne reçut jamais de leçons d'harmonie ni de contrepoint, et les compositions qu'on a de lui ont été écrites d'instinct. En parlant de lui dans sa vieillesse, il disait qu'à vingt ans il était musicien, architecte et poète, mais que son goût pour la musique l'emporta sur celui des autres arts. Pendant trois ans, il fut organiste de la chapelle dite la Madona del Monte Berico, à Vicence, où il avait été élevé. A vingt-quatre ans, il quitta la maison paternelle pour voyager avec un de ses amis, malgré la situation pénible où le plaçait sa cécité. Les concertos de Tartini, et quelques morceaux de Ferrari et de Pugnani composaient tout son répertoire ; il y avait ajouté quelques morceaux de sa composition. Partout il eut des succès, tant sur le violon que sur la mandoline. Arrivé à Paris, il se fit entendre au concert spirituel et y débuta par un concerto de Gaviniès. Après deux années de séjour dans cette ville, il parcourut le nord de la France, la Belgique et l'Allemagne du Rhin ; donnant partout des concerts et se faisant applaudir. En remontant le Rhin, il était arrivé à Strasbourg ; cette ville lui plut, et il y demeura dix-huit mois. Il y composa deux opéras en trois actes qui ne furent point représentés, puis il retourna à Paris, et y arriva en 1771. Ce fut alors qu'il fit graver ses premières compositions, qui consistaient en six quatuors pour deux violons, alto et basse, et six sonates pour la mandoline. L'année suivante, il donna à la Comédie italienne les Deux Miliciens, opéra comique en un acte, qui commença sa réputation de compositeur d'une manière brillante, parce qu'on y trouvait un sentiment juste de la scène, de l'élégance dans la mélodie, enfin, une harmonie naturelle. Après ce succès, il partit pour le midi de la France, où les amateurs des villes les plus importantes lui firent un accueil distingué. De retour à Paris, il imagina un bureau typographique pour écrire la musique, en construisit lui-même le modèle, et s'en servit pour la composition de son opéra intitulé : les Souliers mordorés qui fut représenté en 1776, et qui a toujours été considéré en France comme le meilleur ouvrage de l'auteur. Au moment où il venait d'obtenir ce nouveau succès, le comte de Châteaugiron proposa à Fridzeri de l'accompagner dans une de ses terres, en Bretagne ; l'artiste accepta et passa douze ans dans cette retraite. Cependant il fit quelques voyages à Paris dans cet intervalle, et dans l'un d'eux il donna l'opéra comique intitulé : Lucette, qui ne réussit pas, bien que le compositeur ait toujours considéré cet ouvrage comme supérieur aux Souliers mordorés, et aux Deux Miliciens. Pour se consoler de cet échec, il fit graver, avant de retourner en Bretagne, deux concertos de violon qui avaient été entendus avec plaisir au Concert Spirituel. La révolution survint et obligea le comte de Châteaugiron à sortir de France. Privé tout à coup, par cet événement, de ressources sur lesquelles il avait cru pouvoir compter jusqu'à la fin de ses jours, Fridzeri se vit contraint de recommencer ses voyages. D'abord il s'arrêta à Nantes, et y fonda une académie philharmonique ; mais les terribles drames de la guerre de la Vendée obligèrent le malheureux artiste à se réfugier à Paris, en 1794. Le Lycée des arts, qui venait d'y être établi, le reçut au nombre de ses membres. Il y joua plusieurs fois des concertos de violon et des morceaux concertants sur la mandoline. Peu de temps après, il fonda une nouvelle académie philharmonique, l'établit d'abord au Palais-Royal, puis la transporta au magasin de l'Opéra, rue Saint-Nicaise. La mauvaise fortune, qui l'avait poursuivi pendant la plus grande partie de sa vie, lui fit encore en cette occasion choisir ce local ; car il y était à peine établi depuis dix-huit mois, lorsque l'explosion de la machine infernale du 3 nivôse an IX (décembre 1801) eut lieu précisément dans la rue Saint-Nicaise, et anéantit le peu que Fridzeri possédait. Heureusement cet artiste était doué d'une de ces âmes courageuses que l'adversité ne saurait abattre, et quoique âgé de plus de soixante ans, il reprit le cours de ses voyages avec ses deux filles qui étaient bonnes musiciennes, qui chantaient bien, et dont l'aînée était d'une certaine habileté sur le violon. Aimable vieillard, Fridzeri sut intéresser en sa faveur les habitants de la Belgique au milieu desquels il se rendit ; on l'accueillit à Anvers ; il s'y fixa comme professeur, et y établit un commerce de musique et d'instruments. Il est mort dans cette ville, en 1819. Pendant son dernier séjour à Paris, Fridzeri avait écrit pour l'Opéra un ouvrage intitulé : les Thermopyles ; cet opéra fut reçu pour être joué, mais il n'a jamais été représenté. L'auteur en a fait graver une scène avec accompagnement de piano. Il a aussi publié dans le même temps un œuvre de duos pour deux violons, une symphonie concertante pour deux violons, alto et orchestre, un deuxième livre de six quatuors pour deux violons, alto et basse, et un recueil de six romances avec accompagnement de piano.

Le fait qu'il ait joué au Concert Spirituel n'est pas une preuve certaine de son appartenance maçonnique.

Mais - sans que cela constitue une preuve absolue, puisqu'il y a toujours des vantards et même des naïfs - Fridzeri évoque lui-même cette appartenance.

Peu avant sa mort, il dicta en effet à sa fille Rose (qui était cantatrice et harpiste, et avec laquelle il donna des concerts, notamment à Liège en 1805) ses mémoires, restées en manuscrit. Ce manuscrit a été mis en vente, et il est intéressant de lire la notice que lui consacre le vendeur car elle donne des éléments supplémentaires sur sa biographie. Dans le résumé donné de celle-ci par cette notice, nous pouvons lire que, pendant son séjour à Paris à partir de 1771, il donne des leçons à Madame de Genlis, se meuble avec luxe, devient franc-maçon et décide de se marier.

N'ayant pas eu l'occasion de consulter ce texte, nous ignorons si Fridzeri donne des détails plus précis.

Cette appartenance soulève en tout cas une question, dans la mesure où l'initiation d'un aveugle était en principe à l'époque interdite (voir à ce sujet notre encadré sur la page Peut-on recevoir Maçon un aveugle? de notre site Chansons et chansonniers maçonniques).

Mais cette interdiction ne semble pas avoir pesé lourd, puisque, dans son riche ouvrage Les Musiciens francs-maçons au temps de Louis XVI (Véga, 2009), Pierre-François Pinaud mentionne qu'il l'a trouvé en 1785-9 comme membre de la Loge versaillaise Le Patriotisme.

Dans les Annales de la musique et du théâtre à Liège de 1738 à 1806 par Henri Hamal (publiées chez Mardaga par Maurice Barthélémy en 1989), on trouve différents témoignages de ses passages à Liège, ainsi que des reproductions de la couverture  (p. 83) d'une édition des Deux Miliciens et (p. 85) d'une de ses partitions, une ariette de cette comédie, publiée à Liège :

Il s'agit sans doute d'une édition-pirate de l'original, paru à Paris en 1772 chez la veuve Duchesne. L'auteur est Louis-Guérin d'Adhémar de Saint-Maurice de Casevieille (?-1826), mentionné par ailleurs comme auteur de quelques petites oeuvres dramatiques.

On trouvera ici une liste de ses oeuvres pour la scène. Il a également composé de la musique de chambre et des chants révolutionnaires.

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