Garcia

En cliquant ici, vous entendrez un extrait de son célèbre air Yo que soy contrabandista, interprété par Cecilia Bartoli 

Manuel Garcia (1775-1832), ténor-baryton, organisateur de spectacles, pédagogue et compositeur, n'est plus guère connu maintenant que d'une part comme le père de trois enfants qui furent célèbres, un fils et deux filles, Pauline (devenue Viardot) et surtout Maria, qui devint la Malibran, et d'autre part comme le compositeur de quelques airs espagnols tirés de son oeuvre énorme (dont le fameux Yo que soy contrabandista).

Selon Loïc Métrope (dans une communication publiée sur la page Neukomm du chapitre Biographies du site Musica et Memoria), il fut membre de la Loge parisienne des Chevaliers de la Croix.

Le procès-verbal de la Fête funèbre célébrée par le Grand Orient de France, comme chef d'Ordre de la Maçonnerie en mémoire de S. A. R. le Très Illustre et Sérénissime Frère Duc de Berry mentionne en 1821 l'exécution de stances du Frère Leclerc, Officier du Grand Orient, dont la musique est du Frère Garcia ; celui-ci participa également à l'exécution d'une cantate. 

Fétis, qui fut son ami, en parle longuement dans son T. 3 :

GARCIA (Manuel-del-Popolo-Vicente), compositeur et célèbre chanteur dramatique, naquit à Séville, le 22 janvier 1775. Admis comme enfant de choeur de la cathédrale, à l'âge de six ans, il y fit ses premières études musicales, et y eut pour maîtres don Antonio Ripa et Juan Almarcha. Il n'y avait point alors de théâtre à Séville, et la musique d'église était la seule qu'on y entendait. Ce genre fut aussi celui vers lequel les idées du jeune Garcia se dirigèrent d'abord. A l'âge de dix-sept ans, il était déjà connu avantageusement comme chanteur, compositeur et chef d'orchestre. Sa réputation s'étendit bientôt, et le directeur du théâtre de Cadix l'attira près de lui, et le fit débuter dans une Tonadilla où Garcia fit entrer plusieurs morceaux de sa composition. Sa voix avait du timbre, de l'agilité et de l'étendue, mais il avait, disait-il lui-même plus tard, tant de gaucherie sur la scène, qu'il aurait été impossible aux plus clairvoyants de découvrir en lui le germe du talent dramatique qui, depuis lors, a fait sa réputation. De Cadix il se rendit à Madrid où il débuta comme chanteur dans un oratorio. Il y fut applaudi, et le succès de plusieurs tonadillas qu'il y composa ne lui fut pas moins favorable. Dans une excursion qu'il fit à Malaga, il écrivit son premier opéra intitulé el Preso; le sujet de cet ouvrage était imité de l'opéra comique français, le Prisonnier ou la Ressemblance. Garcia était encore en cette ville, lorsque la fièvre jaune s'y déclara et y fit d'affreux ravages ; échappé à ce danger, il retourna à Madrid, où il mit à la mode les petits opéras comiques en un ou deux actes, semblables à ceux qu'on jouait alors en France, et dont les livrets étaient presque tous traduits du français. Parmi ces ouvrages, on remarque el Poeta calculista, monodrame en un acte, écrit en 1805, et qui fut entendu à Paris quatre ans plus tard. C'est dans cet ouvrage que fut intercalé le fameux chant devenu depuis lors populaire dans toute l'Espagne : Yo che soy contrabandista. La propriété de cette originale mélodie a été contestée à Garcia, mais à tort, car il en est réellement l'auteur. Les opéras de Garcia furent représentés sur la plupart des théâtres de l'Espagne, et y obtinrent du succès; mais déjà ce pays était trop petit pour son ambition d'artiste ; le besoin de se produire au grand jour du monde musical l'aiguillonnait : il se décida à se rendre à Paris, et quoiqu'il n'eût jamais chanté en italien, quoiqu'il n'eût même jamais fait de véritable étude du chant, il osa débuter à l'Opéra-Bouffe, le 11 février 1808, dans la Griselda de Paër, et fit pardonner sa témérité par ses succès. Son âme ardente lui fournissait les moyens de triompher de toutes les difficultés. Il n'y avait pas un mois qu'il était au Théâtre-Italien, et déjà il était devenu le chef de la troupe chantante, composée d'artistes distingués qui possédaient un talent pur, mais un peu froid ; Garcia les échauffait de sa verve indomptable. Garat, bon juge des qualités et des défauts des chanteurs, disait alors de lui : J'aime la fureur andalouse de cet homme ; elle anime tout. Ce fut alors que je connus Garcia, et que nous nous liâmes d'amitié par l'analogie de nos goûts en musique. Le 13 mars 1809, il chanta, dans une représentation à son bénéfice, son monodrame el Poeta calculista. L'enthousiasme du public pour cette musique espagnole, la première qu'on eût entendue à Paris, se manifesta en faisant répéter quatre morceaux par le chanteur ; Garcia fut obligé d'interrompre les représentations de l'ouvrage, parce que ces témoignages répétés de l'estime publique lui causaient beaucoup de fatigue. 

Au commencement de 1811, il partit pour l'Italie : à Turin, à Naples, à Rome, il fut accueilli comme un artiste distingué. Murat le nomma, en 1812, premier ténor de sa musique particulière et de sa chapelle. Cette époque de la vie de Garcia fut celle où il acquit une connaissance théorique de l'art du chant. A Naples, il s'était lié d'amitié avec Anzani, un des meilleurs ténors de l'ancienne école italienne ; les conseils de cet artiste lui dévoilèrent les secrets de cet art, et devinrent la base de la méthode que Garcia employa ensuite avec ses élèves. En 1812, il fit jouer au Théâlre-Saint-Charles, à Naples, son opéra il Califo di Bagdad, qui fut vivement applaudi. En 1815, Rossini écrivit pour lui dans la même ville un des rôles de l'Elisabetta; l'année suivante, il lui confia à Rome le rôle d'Almaviva dans le Barbier de Séville. De retour à Paris vers la fin de l'année 1816, il y débuta, le 17 octobre, comme premier ténor du Théâtre-Italien, placé alors sous la direction de madame Catalani.Les amateurs habitués de ce théâtre remarquèrent les progrès que l'artiste avait faits en Italie, et le rôle de Paolino dans il Matrimonio segreto fut pour lui un véritable triomphe ; ses succès se consolidèrent dans la Griselda, Cosi fan tutte, l'llaliana in Algeri, il Califo di Bagdad et le Nozze di Figaro. Bientôt cependant, dégoûté des tracasseries que lui faisait subir l'administration du théâtre, el de la position subalterne où les prétentions de la directrice voulaient le placer, il rompit son engagement, et partit pour l'Angleterre, vers la fin de 1817. Dans le cours de cette année, il avait écrit pour l'Opéra-Comique le Prince d'occasion, en 3 actes, qui fut représenté au mois de mars : cet ouvrage eut peu de succès. A Londres, il chanta avec madame Foder le Barbier de Séville et une multitude d'autres ouvrages anciens et modernes. De retour à Paris au mois de novembre 1819, il y fit sa rentrée au théâtre par le Barbier de Séville qu'on y entendait pour la première fois, et qui fit enfin connaître Rossini aux Français. Depuis ce moment jusqu'en 1824, Garcia ne quitta plus le Théâtre-Italien de celte ville ; on peut considérer cette époque comme la plus brillante de sa carrière, soit comme chanteur, soit comme compositeur. Otello, Don Juan et le Barbier lui fournirent les moyens de mettre en évidence la flexibilité de son talent, et les ressources de son jeu énergique. Il avait écrit pour l'Opéra le Grand Lama et l'Origine des Grâces, mais ces ouvrages ne furent pas représentés. La Mort du Tasse et Florestan, autres opéras en trois actes, eurent un sort plus heureux, et furent joués en 1821 et 1822. Garcia donna aussi, au Théâtre-Italien, il Fazzoletto, en un acte, et, au Gymnase dramatique, la Meunière. C'est aussi à cette époque de sa vie que Garcia commença à fonder une école de chant qui, par ses résultats, l'a classé parmi les professeurs les y plus distingués de cet art difficile. 

Au printemps de 1824, il retourna à Londres comme premier ténor du théâtre du Roi. Malgré les travaux dont il était accablé pour le service de la scène, il y reprit ses cours de chant, et telle fut la vogue dont il jouit, qu'il eut quelquefois quatre-vingts élèves à ses leçons. L'éducation vocale de sa fille, l'illustre Marie Malibran de Bériot, fut aussi terminée alors, et ce fut à Londres qu'elle parut au théâtre pour la première fois (en 1825), dans le rôle de Rosine du Barbier. Déjà Garcia avait formé le projet de se charger de l'entreprise du théâtre de New-York ; il le réalisa dans cette même année, et s'embarqua à Liverpool. La troupe qu'il conduisit dans l'Amérique septentrionale se composait de lui-même, de Crivelli fils, ténor, de son fils Manuel et d'Angrisani, bouffes chantants, de Rosich, buffo caricato, de madame Barbieri, de madame Garcia et de sa fille. Un tel ensemble de talents était une chose inconnue chez les Américains ; l'enthousiasme des habitants de New-York n'eut point de bornes. Garcia livra tour à tour à leur admiration Otello, Romeo, il Turco in Italia, Don Juan, Tancredi, la Cenerentola, enfin l'Amante astuto et la Figlia deil' aria, ouvrages écrits par lui-même, pour sa fille et pour Angrisani. Les succès de son entreprise étaient tels, que jamais il n'eût songé à l'abandonner, si la rigueur du climat n'eût porté atteinte à l'organe des chanteurs. Garcia s'éloigna en 1827 de New-York pour se rendre à Mexico, dont le ciel est plus favorable à la santé des artistes. Les premiers opéras qu'il y fit jouer étaient en italien ; mais les Mexicains, qui goûtaient fort la musique, n'entendaient rien aux paroles. Il fallut les traduire, et ce fut encore Garcia qui fit cet immense travail. Après dix-huit mois de séjour dans la capitale du Mexique, il sentit le besoin du repos et voulut revenir en Europe ; il rassembla ce qu'il avait de plus précieux, et se mit en route pour la Vera-Crux, où il devait s'embarquer ; mais malgré la protection de son escorte, son convoi fut arrêté et pillé par des brigands masqués qui lui enlevèrent tout ce qu'il possédait, entre autres choses de prix, une cassette qui contenait mille onces d'or. L'énergie de Garcia ne l'abandonna pas dans ce désastre ; il revint à Paris, et y ouvrit des cours de chant qui furent fréquentés par beaucoup de jeunes artistes et d'amateurs distingués. Il reparut aussi au Théâtre-Italien dans Don Juan et dans le Barbier ; mais l'âge, les fatigues et ses malheurs avaient altéré sa voix ; il comprit qu'il n'était plus lui-même, et se retira pour toujours. Entièrement livré aux soins de l'éducation vocale de ses élèves et à ses travaux comme compositeur, il passa doucement ses dernières années. Il est mort, à Paris, le 2 juin 1832, dans sa cinquante-huitième année. 

Comme chanteur et comme acteur, Garcia avait une verve irrésistible; sous ce rapport, il n'a jamais été égalé. Il avait en général un très-bon sentiment de musique, même dans les choses gracieuses ; mais quelquefois il portait l'usage des fioritures jusqu'à l'excès. Son imagination lui fournissait des formes nouvelles pour ces fioritures, ce qui donnait à son chant quelque chose d'original et d'inusité. 

Comme compositeur, il mérite moins d'éloges. Sa facilité à écrire était grande, mais il en abusait et ne choisissait pas assez ses idées. Il a eu rarement des succès décidés pour ses ouvrages, mais il se consolait facilement de leurs échecs, parce qu'ils lui avaient coûté peu de peine à écrire. Au milieu des agitations de sa vie dramatique et aventureuse, on est étonné qu'il ait trouvé le temps d'écrire l'énorme quantité d'opéras qu'on connaît sous son nom. Il en a laissé un grand nombre inédits et dont les titres ne sont même pas tous connus. 

[suivent des listes d'oeuvres et d'élèves].

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