Sainte-Caroline
Ce n'est pas Caroline de Habsbourg, reine de Naples, qui est mise ici à l'honneur comme elle l'était au XVIIIe, mais bien Caroline Bonaparte (ci-contre à gauche, tableau de Gérard), qui en 1808 allait également devenir reine de Naples et de Sicile. Soeur de Napoléon Ier, elle avait en effet épousé en 1800 Joachim Murat (1771-1815 ; ci-contre à droite), qui devint Maréchal d'Empire en 1804, Grand Amiral en 1805, duc de Berg et de Clèves en 1806 et ensuite, en 1808, roi de Naples. Initié en 1801 à Milan à la Loge L'Heureuse Rencontre, Murat devint en 1805 Grand Maître Adjoint du Grand Orient de France et Premier Grand Surveillant avant d'être en 1809 le fondateur et le Grand Maître du Grand Orient du royaume de Naples. Caroline pour sa part devint Grande Maîtresse des Loges d’adoption du royaume des Deux-Siciles. Lucien Murat (1803-1878), qui fut de 1852 à 1861 l'autoritaire Grand Maître du Grand Orient, était le fils de Joachim et Caroline. |
Vénérable de La Colombe, Joachim Murat suivit la mode qui sanctifiait les membres de la famille impériale et en changea le titre distinctif en Caroline puis en Sainte-Caroline en l'honneur de son épouse. Sainte-Caroline était une Loge "prestigieuse", témoin d'une maçonnerie de mondanité. Comme les Loges du même style au XVIIIe (telle la Candeur), elle avait d'ailleurs une Loge d'Adoption tout aussi en vogue, comme en témoigne cet extrait du Tome II de l'Histoire de la Franc-maçonnerie française de Pierre Chevallier (Fayard, 1974, p. 91) :
ci-contre : le cordon de Grande Maîtresse de la reine Caroline. |
Sainte-Caroline, dont était membre son cousin et bienfaiteur Daru, est la Loge où Stendhal (qui ne fut pas un maçon très assidu) fut initié en 1806.
Guillaume Dupuytren, Naderman, Tulou et Masséna en furent également membres, ainsi que Caignart de Mailly qui y présenta diverses chansons dont celle-ci (où il est désigné comme Orateur) et les deux mentionnées plus bas.
On voit à une chanson de Dupaty en 1807 que Cambacérès, qui présidait tout ce qui en France avait une quelconque importance maçonnique, en était d'ailleurs aussi Vénérable d'honneur.
Voici ce qu'en dit, non sans cruauté, en 1834 Talleyrand (qui aurait été maçon) dans le Tome II de ses Mémoires pour servir à l'histoire de France (pp. 257 ss.) :
Il manquerait un trait caractéristique à la physionomie de Paris, à l’époque dont nous parlons, si nous gardions le silence sur la réouverture des loges de francs-maçons. L’autorisation en avait été donnée depuis quelque temps, et l’on était alors dans toute la ferveur d’une chose redevenue nouvelle. Peut-être le gouvernement avait-il pensé que ce serait un moyen pour arriver à cette fusion chimérique que rêvait I’Empereur. Il se trompa, car la noblesse, qui, n’osant prendre cette dénomination, se désignait exclusivement sous le nom de la bonne compagnie, eut sa loge instituée sous l’invocation de Sainte-Caroline.
C’était un hommage rendu à une sœur de l’Empereur, ce qui n’engageait à rien. A peine cette loge, fondée d’abord par des élèves de diplomatie, fut-elle ouverte, que toute la noblesse s’y précipita, et il fallut promptement borner le nombre des frères à deux cents. C’étaient des Choiseul, des Nadaillac, des Labédoyère, des Montmorency, des Luxembourg, des Noailles, des Larochefoucauld, des Castellane, des Destourmel, des Du Roure, des Moutesquiou , enfin tous les anciens grands noms de France. Quelques banquiers tinrent à l’honneur de s’y faire affilier ; ils avaient de l’argent, on les reçut, on se moqua d’eux ; tout fut dans l’ordre. Il y eut aussi des frères d’harmonie, au nombre desquels on compta Crescentini. Or, ici on reconnaîtra bien l’esprit de la noblesse ; un peu cabrée vis-à-vis la finance, elle se montra courtoise, caressante, et se mit sur le pied d’une parfaite égalité avec les artistes que la banque aspirait à protéger.
De bons frères ne pouvant long-temps vivre sans sœurs, la loge de Sainte-Caroline ne tarda pas à avoir une loge d’adoption, et lorsque ses colonnes furent métamorphosées en climats, la loge accueillit dans son sein tout ce qu’il y avait à Paris de femmes brillantes, jolies, élégantes, aimables, mais prises presque toutes dans les mêmes rangs de la société. La princesse de Vaudemont, dernière héritière du nom des Montmorency de Flandre, devint la grande-maîtresse de la loge-sœur de Sainte-Caroline. Quant aux travaux maçonniques de la loge privilégiée, nous devons croire qu’ils avaient surtout pour but le plaisir, car longtemps il ne fut question dans Paris que des fêtes brillantes qu’elle donna, tantôt à la rue Grange-Bateliére, tantôt à l’hôtel de Bouillon, tantôt à l’hôtel de Boulogne rue du Bac. La difficulté de s’y faire admettre irritait le désir d’y être admis ; mais les membres seuls de la loge pouvaient souscrire pour eux, un autre homme et deux dames ; et il fallait que le nom de celle-ci eût été soumis à madame de Vaudemont, ce qui rendait fort délicat sur le choix des invitées. Ceci ne serait qu’une puérilité, si ce n’était une preuve de plus de l’espèce d’exclusion dans laquelle la noblesse voulait se tenir au milieu de la nouvelle société. La reine de ces fêtes était la duchesse de Chevreuse, et madame de Balby les animait par ses bons mots.
On trouvera ici d'autres informations sur la prestigieuse composition tant de la Loge que de la Loge d'Adoption.