Cantiques en l'honneur de Lioy

 

Le roi de Naples, Ferdinand IV, sur les conseils de son père Charles III, roi d'Espagne, avait promulgué en 1775 un édit de prohibition de la maçonnerie. Désireux de faire un exemple, le Secrétaire d'Etat Tanucci et le ministre Pallante firent arrêter quelques maçons surpris au cours d'une réunion et préparèrent leur procès, où ils risquaient la peine de mort. Mais leur avocat, Felice Lioy, montra que la réunion qui avait permis leur arrestation n'était en fait qu'un coup monté par Pallante. Comme en même temps Lioy s'était livré à une apologie de la maçonnerie (dont il était membre), Ferdinand IV ordonna que l'avocat soit ... arrêté pour être jugé avec les autres, et que le texte de sa plaidoirie soit interdit et brûlé. Lioy parvint heureusement à s'enfuir.

L'affaire, entre 1775 et 1782, de la persécution des maçons napolitains est rapportée, avec tous ses détails (pp. 603-631), par José Ferrer-Benimeli dans les Archives secrètes du Vatican et (de) la Franc-maçonnerie (Dervy-Livres, 1989).

L'ouvrage original est paru en espagnol sous le titre Los Archivos secretos vaticanos y la Masoneria, ce qui ne peut se traduire que par les Archives secrètes du Vatican et la Franc-maçonnerie ; c'est effectivement le titre des éditions françaises récentes (à droite) ; mais l'édition originale (à gauche) s'intitulait les Archives secrètes du Vatican et de la Franc-maçonnerie : un contresens malvenu, puisqu'il n'est pas question dans ce livre d'archives secrètes de la Franc-maçonnerie - lesquelles n'ont en tout état de cause aucune existence.

Le nouvel avocat des accusés, Avena, démasqua cependant la supercherie de Pallante, qui y perdit son poste. Il fut ainsi établi, comme l'écrit lui-même Ferdinand IV à son père, que la loge fut réunie à dessein par le Conseiller Pallante en utilisant mon nom et celui de Votre Majesté, et ensuite il la fit surprendre. Les prisonniers furent libérés en 1777, mais ne furent définitivement innocentés qu'en 1782, Tanucci ayant fait traîner les procédures et évité la condamnation de Pallante.

On lira aussi à ce sujet les Mémoires des francs-maçons de Naples, parus à Londres en 1780 et 1790.

On peut lire aussi l'article Anecdotes relatives au procès contre les francs-maçons de Naples paru en mai 1794 dans une publication profane, L'esprit des journaux (volume 5, pp. 341-53).

La reine de Naples Marie-Caroline (1752-1814), fille de l'empereur François Ier (qui était maçon) et soeur de Joseph II, étant d'esprit plus éclairé que son mari a, tout au long de cette affaire, tenté de protéger les maçons, ce qui lui valut leur reconnaissance (notamment, elle était, jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, régulièrement mentionnée lors des Santés rituelles ; on connaît d'ailleurs deux chansons écrites spécifiquement en son honneur ). 

Dans une lettre de 1782 à sa soeur Marie-Anne (elle-même très probablement maçonne d'Adoption à Vienne), elle qualifiera d'ailleurs la maçonnerie de société de personnes que j'estime, sans en faire partie, que j'ai toujours trouvée honnête, serviable et fidèle, pour laquelle j'éprouve une grande confiance, car c'est l'intrigue et la cabale qui la persécutent, ajoutant Je les soutiendrai toujours tant que je pourrai (même source, p. 648).

ci-contre : Marie-Caroline en 1790, détail du tableau d'Elisabeth Vigée-Lebrun (1755-1842 )

Lioy pour sa part, échappé de Naples, voyagea en Italie, en Suisse, en France, en Angleterre et en Hollande, où il fut accueilli, protégé et fêté par les maçons et reçu dans les Loges les plus prestigieuses. On le trouve notamment, avec les mentions Avocat à Naples et Grand Garde des Sceaux du Grand Orient de Naples, en tant que Frère associé honoraire, agrégé le 26 mars 1777, aux tableaux de la Candeur.

Les Mémoires secrets donnent un autre témoignage de l'intérêt suscité par son passage à Paris :

8 Septembre 1777. Monsieur le chevalier de Berainville, frère de la loge de Thalie, a terminé sa gravure concernant la délivrance des francs-maçons de Naples, par la protection de l'auguste reine de ce royaume. Elle commence à paraître , & est dédiée à son altesse sérénissime monseigneur le duc de Chartres, grand-maître de toutes les loges de France. On lit autour pour légende : Votum unum per orbem. Et au bas : Carolina regina fratrum Neapolitanorum frangit vincula. En voici l'explication intéressante.

La Vertu maçonnique, chargée de chaînes, est traînée par l’lmposture dans les horreurs du cachot. La Vérité lève le voile qui cachait aux yeux des profanes le temple érigé par les maçons à la gloire & au bonheur de l’Humanité.

L'auguste Caroline, Minerve de nos jours, conduite par la Bienfaisance, sa compagne inséparable, vient au secours de l'innocente victime...... l’imposture frémit, son masque tombe, & la perte de sa proie met le comble à ses fureurs. L'auteur y a joint ce quatrain, simple & historique.

Au fond d'un noir cachot, sans espoir, sans appui,
La timide Vertu que l'Imposture immole,
Voit en Caroline aujourd'hui,
Et son salut & son appui.

Aux deux colonnes du temple, d'une part, est écrit Justitia, & de l'autre Beneficentia. Tous les frères s'empressent de se pourvoir de cette allégorie, & l'on ne doute pas que cet heureux essai ne procure au chevalier de Berainville la dignité de médailliste, chargé des devises & inscriptions de l'ordre.

Nous avons trouvé deux chansons composées en son honneur au cours de ces voyages :

Un autre son de cloche

Dans le Tome I de son ouvrage posthume (dont la rigueur historique est telle qu'il fait toujours autorité), La Franc-Maçonnerie templière et occultiste aux XVIIIe et XIXe siècles, (réédition de 1987 par La Table d'Emeraude), René Le Forestier mentionne que Lioy (qu'il appelle Livy) fut également reçu à la Loge lyonnaise (rectifiée) de La Bienfaisance où il fut armé Chevalier. Après avoir signalé au passage que c'est sur la prière d'un amant maçon que la reine Caroline aurait fait rapporter en 1777 l'édit d'interdiction de la maçonnerie, il trace de Lioy (pp. 423-4) un portrait peu flatteur, signalant notamment que :

Ils [les Frères de Lyon] s'aperçurent un peu tard qu'il était un parasite éhonté, quand, sous prétexte qu'il lui fallait 1200 livres pour retourner dans son pays, il tira en août une lettre de change de cette somme sur J. B. Willermoz, sans lui en avoir demandé l'autorisation ... 

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