Cantique des Santés

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Sur base d'une identification à Napoléon (faite notamment par Ligou dans Chansons maçonniques des 18e et 19e siècles, ABI éd., 1972) de l'illustre guide qui brave la guerre et les flots d'un courage intrépide mentionné au 2e couplet, on considère généralement que ce célèbre Cantique des Santés date de l'Empire, puisqu'on le trouve notamment au Code Récréatif de Grenier de 1807 (pp. 189-191).

Ce n'est pas exact : nous l'avons en effet déjà trouvé dès 1782 dans le recueil d'Honoré, dont il constitue d'ailleurs la toute première chanson - par exception au principe de classement adopté par Honoré, qui est l'ordre alphabétique des auteurs. Dans une note très alambiquée (note 3 de la p. 4), Honoré justifie cette exception par le fait qu'il était plus propre que tout autre à ouvrir la scène.

Et l'illustre guide est en fait le vainqueur (en titre ! son incompétence a transformé en simple succès ce qui aurait dû être une déroute de la flotte anglaise, mais cela n'a pas empêché de lui en attribuer tout le mérite) de la bataille navale d'Ouessant (27 juillet 1778) : le duc de Chartres (arrière-petit-fils du Régent, futur duc d'Orléans et Philippe Egalité), Grand Maître du Grand Orient de France et à ce moment inspecteur général de l'armée navale de Brest- auquel la deuxième santé est ici, à ce dernier titre, logiquement dédiée.

Bel exemple de flagornerie - à laquelle un autre cantique du recueil d'Honoré participe également.

 

ci-contre : la p. 1 du recueil d'Honoré , avec le début du Cantique des Santés

 

L'air indiqué est, comme aux versions ultérieures, Mon père était pot.

Refrain

Frères alignons :
La main aux Canons; 
En joue, allons mes frères, 
Feu, très-brillant feu, 
Faisons triple feu, 
Ces santés nous sont chères.

1

Tandis que je vois la gaieté 
Briller à cette table, 
Frères, donnons d'une santé 
Le signal agréable;

note de bas de page : on ordonne ici la première santé d'obligation, celle du Roi, de la Reine, de la Famille Royale. On y joint celle de la Reine de Naples, etc.

2

Souhaitons victoire et repos
A notre illustre guide,
Qui brave la guerre et les flots
D'un courage intrépide.

note de bas de page : on ordonne ici la deuxième santé d'obligation, celle du T S Grand Maître, celle du Grand Administrateur, du Grand Conservateur et des autres Officiers d'honneur du Grand Orient.

3

N'oublions pas dans nos concerts
Les maîtres vénérables, 
Qui, des Loges de l'univers 
Rendent les noeuds durables.

note de bas de page : on ordonne ici la troisième santé d'obligation, celle de tous les Respectables Maîtres des Loges Respectables 

4

Aux lumières de l'Occident
Rendons de même hommage ;
Leur zèle, actif, intelligent
Eclaire notre ouvrage.

note de bas de page : on ordonne ici la santé des deux Frères Surveillants

5

On dit que notre Reine enfin,
Comble notre espérance,
Que ce soit Princesse ou Dauphin,
Buvons à sa naissance.

note de bas de page : on ordonne ici une santé qui dans tous les temps ne peut qu'être bien précieuse, mais qui, pour le moment, nous offre le même intérêt des jours où ce Cantique fut composé, etc.

(Note sur le couplet 5) Ce couplet a donc été écrit à l'époque où, pour la première fois, et après huit ans d'un mariage qui n'avait été consommé qu'en août 1777, Marie-Antoinette se trouvait enfin enceinte : l'enfant (une fille, Marie Thérèse Charlotte de France, dite Madame Royale) allait naître le 19 décembre 1778, ce qui confirme la date de 1778 pour la composition du cantique.

En octobre 1781, un second enfant naîtra ; cette fois, ce ne sera plus Princesse mais bien - enfin - Dauphin. Voilà sans doute l'explication de la note d'Honoré, qui ajoutera d'ailleurs in extremis, en fin de recueil, des Couplets consacrés à ce fait.

6

A célébrer son fondateur 
La Loge est obligée,
C'est par ses soins pleins de ferveur 
Qu'elle fut érigée.

note de bas de page : on ordonne ici la santé du Fondateur de la Loge etc.

7

Chantons les Maçons répandus 
Sur les deux hémisphères,
Rendons les honneurs qui sont dus 
A ce peuple de freres.

note de bas de page : on ordonne ici la dernière santé d'obligation, celle de tous les Maçons et Maçonnes etc.

Honoré mentionne comme auteur du texte le Très Cher Frère Le Boux de la Bapaumerie

La chanson est reprise (cfr pp. 125-127 de l'édition 1787) dans le Recueil de Cantiques du Manuel des franches-maçonnes ou la vraie maçonnerie d'Adoption, mais débarrassée du couplet 5 (qui était purement circonstanciel) et avec des notes de bas de page pratiquement identiques (à la 3e santé, il est cependant ajouté ainsi que du respectable maître de la loge). Elle est donc à ce moment devenue un cantique des 6 Santés.

Ces 6 Santés correspondent approximativement à celles qui, au nombre de 7, seront définies en 1801, à l'exception de la 6e (celle des Visiteurs) et avec un changement dans la 5e (qui est devenue celle des Officiers au lieu d'être celle du Fondateur)

Cette version de 1787 sera reprise, quasi à l'identique, dans la partie francophone du Free-mason's vocal assistant paru à Charleston en 1807 (pp. 187-8).

Le texte se retrouve au n° 19 de ce carnet manuscrit.

Voici maintenant la version de Grenier en 1807

Elle figure aux pp. 189-191 et ne contient aucune note de bas de page :

Refrain

Frères alignons :
La main aux Canons; 
En joue, allons mes frères, 
Feu, très-brillant feu, 
Faisons triple feu, 
Ces santés nous sont chères.

1

Tandis que je vois la gaîté 
Briller à cette table, 
Frères, donnons d'une santé 
Le signal agréable;

2

Souhaitons victoire et repos
A notre illustre guide,
Qui brave la guerre et les flots
D'un courage intrépide.

3

N'oublions pas dans nos concerts
Les maîtres vénérables, 
Qui, des loges de l'univers 
Rendent les noms durables.

4

Aux lumières de l'occident
Rendons le même hommage;
Leur zèle actif, intelligent
Eclaire notre ouvrage.

5

A célébrer son fondateur 
La Loge est obligée,
C'est par ses soins pleins de ferveur 
Qu'elle fut érigée.

6

Chantons les Maçons répandus 
Sur les deux hémisphères,
Rendons les honneurs qui sont dus 
A ce peuple de freres.

Elle reprend les 6 couplets de la version 1787, avec quelques minimes variations (Rendent les noeuds durables au lieu de Rendent les noms durables; Rendons de même hommage au lieu de Rendons le même hommage).

Comme signalé plus haut, Ligou fait l'hypothèse que l'illustre guide qui brave la guerre et les flots d'un courage intrépide du couplet 2 est Napoléon.

Si l'on accepte cette interprétation, le couplet 1 ne serait plus qu'une introduction générale, et le cantique deviendrait alors un cantique de 5 Santés : le Chef de l'Etat, les Vénérables, les Surveillants, le Fondateur et l'ensemble des maçons des deux hémisphères. Il faut noter qu'un tel dispositif ne correspond pas à celui (à 7 Santés) imposé à l'époque par le Grand Orient.

Le cantique figure également aux pages 7 et 8 de la Collection de Cantiques de la Loge La Paix Immortelle, sous le titre Cantique pour les Santés. Le texte est comme chez Honoré - il n'intègre donc pas les minimes variations apportées par Grenier - mais en n'utilisant bien entendu que les mêmes six couplets retenus par celui-ci. Par contre, à célébrer son fondateur est remplacé par à célébrer ce fondateur, sans doute pour donner l'occasion, celui-ci étant présent, de le désigner du geste.

On retrouve également cette dernière version à la Lyre maçonnique de 1809 (p. 65).

Dans son remarquable ouvrage La Fraternité en choeur, Sylvain Chimello mentionne qu'on trouve aussi, isolé, le couplet 4 à la p. 49 du recueil de cantiques maçonniques dédiés à la Respectable loge des Amis réunis à l'Orient du 9e Régiment d'Infanterie légère à l'Orient de Longwy (1810), sous le titre Cantique pour la 4e Santé.

Le Recueil de la Loge Ernest Renan reprend cette chanson à ses pages 2 et 3, en en donnant une partition, plus élaborée que celle que vous entendez.

Une amusante curiosité : dans une édition du Recueil de Cantiques du Manuel des franches-maçonnes ou la vraie maçonnerie d'Adoption portant la date de 1807, la chanson - simple distraction ? - figure (pp. 116-8) comme à l'édition 1787 du même recueil, sans l'actualiser le moins du monde, c'est-à-dire avec le texte comme dans les éditions d'Empire ci-dessus, mais avec les notes telles que dans les éditions du XVIIIe, mentionnant donc encore la famille royale et la reine de Naples, et attribuant les couplets 1 et 2 respectivement à celles-ci et aux Officiers du Grand Orient (particulièrement le Grand Maître - à l'époque, Joseph Bonaparte, qui n'était pas spécialement marin, contrairement au duc de Chartres, qui passait pour tel) :

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