Couplets de réjouissance pour le Dauphin

En cliquant ici (midi) ou ici (mp3), vous entendrez le fichier de l'air Lison dormait, selon la partition donnée par la page concernée du site CENT CHANSONS FRANÇOISES AU SIÈCLE DES LUMIÈRES : Le manuscrit Berssous de la Chapelle d'Abondance.

 

Comme expliqué en bas du texte par Honoré, ces couplets ont été à la hâte ajoutés, puis complétés, puis - par un scrupule tardif visant à rendre ce morceau maçonnique - recomplétés, au moment où il s'apprêtait à boucler son recueil pour l'envoyer à l'imprimeur. L'événement qu'il met en valeur - et auquel il faisait déjà allusion dans ses notes au Cantique des Santés - est bien entendu la naissance du Dauphin, également mentionnée en note d'une autre chanson, au bas de la p. 71. 

La naissance du Dauphin

La naissance, tant attendue depuis des années, d'un Dauphin le 22 octobre 1781, fut fêtée avec un enthousiasme, un faste et une prodigalité particuliers dans toute la France.

La plupart des Loges - dont les Neuf Soeurs le 14 janvier 1782 - mirent un point d'honneur à se joindre avec splendeur à cette liesse.

à gauche : porcelaine de Sèvres réalisée pour la naissance du Dauphin.

Une anecdote montre à quel point cet événement monopolisa l'intérêt, d'une manière qui tourna au snobisme : la couleur à la mode pour les toilettes les plus élégantes devint le cacadauphin.

Le mot cacadauphin - qui figure encore de nos jours dans les tables de couleurs - entra aussitôt au vocabulaire. L'Académie française, pourtant traditionnellement très lente à la détente en matière d'inscription de néologismes, le fit même entrer immédiatement dans son dictionnaire.

Dans son Livre fait par force (intéressant ouvrage réédité en 2008), Le Bauld-de-Nans ironise sur cette précipitation de l'Académie, en l'opposant à sa lenteur à reconnaître des mots tels que persiflage et mystification. Ce que, dans ses notes, François Labbé commente en écrivant : l'ironie de l'auteur souligne l'inconséquence courtisane des censeurs de la langue, incapables par ailleurs de "recevoir" les mots nouveaux les plus courants !

Nous supposons que c'est au moment de la naissance du Roi de Rome que, par symétrie, ce mot acquit pour synonyme caca-de-Rome.


    

  
       

C O U P L E T S

Présentés à la Reine plusieurs jours avant son accouchement.

 

Le plus heureux QUINE prédit à la France.

 

Allusion au Grimoire & à la Loterie.

 

Air : Lison dormoit, &c.

 

 

Dans le Grimoire, ah! qui sait lire,
D'un beau secret, peut se vanter !
A sa faveur, chacun aspire :
C'est à qui veut le contenter :
En amour, en jeu, Loterie,
Toujours au gré de son désir,
Il voit s'offrir,    (bis.)
Ambe, Extrait, Terne, à la sortie ;
Il voit s'offrir,    (bis.)
Quaterne, Quine, à l'enrichir.

 

 

Dans le Grimoire, ah ! ma science,
Ou n'a donc pu percer bien loin,
Ou pour me rendre d'importance,
En défaut, le Ciel met son soin ; 
Car, n'importe quelle manie,
M'agite & trouble mon repos,
Bons Numéros,    (bis.)
Semblent me fuir à la sortie;
Et les Zéros,     (bis.)
A tous coups, ce sont là mes Lots.

 

 

Dans ce Grimoire, ah ! davantage,
Je ne veux plus fouiller pour moi :
A ma Reine j'en fais hommage ;
Sans crainte, ô France, applaudis-moi :
Un Dieu savant dans la Magie,
(Ce Dieu, sans pareil, c'est l'Amour,)
Sans nul détour,    (bis.)
Vient me prédire à la sortie,
Sans nul détour,     (bis.)
Un Dauphin, quel Quine ! heureux jour !

 

 

A   L' E M P E R E U R,

Frère de la  R E I N E.

Dans mon Grimoire, ah ! Prince aimable,
Qui nous nommerez un Dauphin,
Consultons ce que d'agréable,
Vous ménage aussi le destin ;
Mais il rend la plus longue vie,
L'objet constant de sa faveur ;
Et plein d'ardeur,    (bis.)
Avec moi tout Français s'écrie,
Digne Empereur !    (bis.)
Chacun de nous t'offre son coeur.

 

 

La prédiction de l'Auteur ayant eu le plus heureux succès, il a fait depuis le Couplet qui suit :

Continuation de l'allusion au Grimoire & à la Loterie.

a la R E I N E.

Même air.

A mon Grimoire, ah ! sans obstacle,
On croira partout désormais ;
Des Rois, le plus fidèle oracle,
Est dans le coeur de leurs sujets :
Quand le mien a su vous prédire,
O Reine ! en un couplet badin,
Quine incertain,    (bis.)
Daignez aujourd'hui vouloir lire,
L'Amour certain,    (bis.)
Des Français pour ce cher Dauphin.

 

 

Dernier Couplet ajouté par l'Auteur aux cinq précédens, pendant l’impression de l'Ouvrage, pour rendre ce morceau Maçonnique.

Même Air.

Dans mon Grimoire, ah ! vous, mes Frères,
A l'envi, vous pénétrez tous.
Vous y voyez, de nos mystères,
Le mieux révéré parmi nous :
Fêtons donc l'Auguste A
ntoinette,
C'est-là notre plus doux destin ;
Et pour refrein,    (bis.)
D'une harmonie aussi parfaite,
Chantons sans fin,    (bis.)
Louis & son charmant Dauphin.

 

Par le Frère André Honoré, Éditeur du Recueil, &c.

 

 

Nota. Ces Couplets n'ont pu être placés à leur ordre alphabétique, à la suite des trois autres morceaux de l'Auteur, à cause de la circonstance qui les a fait naître, laquelle ne s'est point accordée avec les tems convenables pour l'impression de cet Ouvrage.

 

 

 

 

Voir l'air Lison dormait dans un bocage.

Coup de bol ! Cette fois, c'est un garçon !

Ancêtre de notre actuel Loto, la Loterie était à l'époque un jeu de hasard où 5 numéros sur 90 sortaient au tirage, et où l'on pouvait jouer, outre les chances simples (l'extrait, payé 15 fois la mise), des combinaisons nommées l'ambe (sur deux numéros), le terne (sur 3), le quaterne (sur 4) et le quine (sur 5 - le mot est encore utilisé de nos jours, par exemple par la Loterie Romande). 

Tirer le quine (une chance sur 43.949.268 si nos calculs sont exacts, à comparer à une sur 5.245.786 pour l'actuel Lotto à 6 numéros et 42 boules), c'est donc remporter le gros lot, et c'est à une chance aussi appréciée que, contre toute vraisemblance mathématique (à partir du moment où la Reine était enceinte, la probabilité que ce fût d'un mâle était proche de 50 % ...), Honoré compare hyperboliquement la naissance tant attendue d'un Dauphin.

Nous n'avons par contre - mais peut-être un de nos lecteurs nous y aidera-t-il ? - pas pu déchiffrer aussi clairement la référence au Grimoire : peut-être s'agit-il d'un ouvrage où un exploiteur de la crédulité publique - il n'en manquait pas plus (y compris d'ailleurs dans le milieu maçonnique) à cette époque qu'à la nôtre - donnait une martingale pour ladite loterie ?

 

Retour au sommaire du recueil d'Honoré :

Retour au sommaire du Chansonnier :