Le Recueil d'Honoré
Alors que les premiers chansonniers maçonniques - comme le Chansonnier de Naudot et celui de Ste-Geneviève - ne semblent comprendre que des airs originaux, composés spécialement pour des textes maçonniques, l'usage d'utiliser des airs connus pour y greffer des textes maçonniques est apparu très rapidement. Les partitions données par la Lire maçonne sont d'ailleurs souvent des airs préexistants.
Pour qui a composé un poème et souhaite le chanter, il est en effet beaucoup plus facile d'utiliser un air existant, souvent bien connu de tous, que de rechercher un partenaire pour écrire une partition originale ou éventuellement, s'il s'en estime capable, de l'écrire lui-même.
De nombreux chansonniers du XVIIIe sont basés sur ce principe ; comme il n'était plus nécessaire de graver les airs, l'édition en était d'ailleurs beaucoup moins coûteuse, et les chansonniers avec partitions se sont rapidement fait rares.
A quelques exceptions près, il n'était cependant pas d'usage, pour de telles chansons, de désigner nommément l'auteur des vers.
Certains - moins modestes ? - n'ont cependant pas désiré rester anonymes : une première occasion leur en fut donnée en 1782 par le recueil d'André Honoré. Celui-ci avait eu l'idée - qui connut un succès mitigé - de transposer au monde maçonnique un usage très répandu (voir encadré ci-dessous) dans le monde profane : tout poète estimant que ses oeuvres - et son nom - étaient dignes de pérennisation était invité à les soumettre à un éditeur spécialisé, qui, à intervalles réguliers - annuels le plus souvent, s'il s'agissait d'almanachs ou d'étrennes - les éditait - ou éditait les meilleurs - en fascicules.
Meilleurs voeux ! Un tel usage est illustré par exemple par les Etrennes de Polymnie, l'Almanach des Muses ou celui des Grâces, les Etrennes lyriques anacréontiques, et tant d'autres Il se maintiendra pendant la Révolution, pendant l'Empire et longtemps encore par la suite, avec de nouveaux titres comme le Chansonnier des Grâces (à partir de 1796). A la période révolutionnaire, ce n'est plus le marivaudage, mais le civisme, qui tient la vedette, avec par exemple le Chansonnier national, ou Recueil de chansons choisies et patriotiques sur la Constitution française & les Droits de l'Homme, la Muse républicaine, le Recueil de chansons nouvelles dédiées aux vrais républicains, le Chansonnier patriote ou recueil de chansons nationales et autres, l'Almanach républicain chantant, le Chansonnier de la République, le Recueil de chansons patriotiques dédiées aux vrais républicains (qui se poursuit ... sous l'Empire). Pour plus d'information à ce sujet, voir le volumineux inventaire, intitulé les Almanachs français, édite par Grand-Carteret en 1896. |
Honoré lance donc son Recueil de couplets, romances, hymnes et cantiques maçonniques nouveaux, de la composition de différents Frères, tous membres actuels de Loges respectables, offert à ceux qui ne savent pas lire mais épeler par le Frère André Honoré. D'emblée, il fait appel à la fraternelle bienveillance des lecteurs en écrivant au frontispice : Ce sont les vers de nos amis Le premier cahier (il semble bien qu'il n'y en ait pas eu d'autre !), relatif aux années 1781-1782, s'en trouve à la Bibliothèque du Grand Orient de France, que nous remercions de nous avoir autorisé à en photographier les pages. Ce recueil fut édité (censément ?) à La Haye en 1782. Le Frère André Honoré (qui avait déjà publié en 1779 l'Ecole des Francs-Maçons, ou le Franc-Maçon sans le savoir, comédie en un acte et en prose) est lui-même l'auteur de quatre des chansons du recueil : les trois premières sont classées dans l'ordre alphabétique, et la quatrième a été rajoutée - puis complétée - in extremis, en fin du recueil, pour annoncer puis commenter la naissance du Dauphin. |
Au bas de la première de ces quatre chansons, Honoré s'identifie comme Fondateur de la Loge des Coeurs sans fard, à l'Orient de Caen (voir sur cette Loge une page du site de la Loge caennaise Union et Fraternité, page où il est désigné comme L'Honoré du Fresne) :
Selon Le Bihan dans son ouvrage Loges et Chapitres de la Grande Loge et du Grand Orient de France (2e moitié du XVIIIe siècle), cette Loge fut constituée en 1761 et reconstituée par la Grande Loge le 16 septembre 1766 en faveur d'André L'Honoré, puis encore reconstituée par le Grand Orient en 1773.
Bord signale :
(p. 414) que sa constitution primitive date du 8 mars 1761, et fut donnée par une puissance maçonnique inconnue au Vénérable André Honoré. Le 16 septembre 1766, elle fit renouveler ses titres par la Grande Loge et le 15 novembre 1773, par le Grand Orient. Ses débuts ne semblent pas avoir été très prospères, car en 1777, elle ne comptait que 13 membres. A cette époque son Vénérable était Revel, procureur du roi
(p. 415) que l'Honoré du Fresne des Cœurs sans fard participa en 1767 à l'installation de Union et Fraternité.
Selon une autre page du site précité, Les Coeurs sans Fard et la Constante Amitié ont fusionné en 1784 pour ne faire qu'une seule loge : Coeurs sans Fard et Constante Amitié. On ne trouve plus mention d'Honoré à ce moment.
Honoré ne jouissait pas d'une estime généralisée. Le 24 juin 1781, la Loge nivernaise de La Colombe
(source : La franc-maçonnerie nivernaise, p. 45) |
Il s'agit généralement de textes nouveaux, que, sauf les deux des pp. 68-71, qui figurent également dans les dernières éditions de la Lire maçonne, on ne retrouve dans aucun des autres chansonniers du XVIIIe. Trois des chansons (celles des pp. 5, 68 et 69) sont cependant recopiées du Tome premier de l'Etat du Grand Orient de France pour 1777.
Comme on peut le
voir par exemple à son Cantique des Santés, le recueil
d'Honoré se distingue notamment par l'usage systématique de "..." (trois
points alignés) après les abréviations (sé pour santé,
sal
pour signal, f pour feu, FF pour Frères, en
j pour en joue, mys pour mystère, ...) de nombreux mots.
Il est très fier de cette originalité (qu'il mentionne dès la page de titre, voir
ci-dessus) et, dans son style balourd, il s'en explique naïvement dans sa
préface, en spécifiant que le premier de mes soins a été de le composer
de façon, qu'à quelque égard que ce put être, il n'y eut absolument que ceux
qui doivent être supposés savoir, non point lre..., mais
parfaitement épelr..., qui pussent effectivement le faire ici, ne
m'étant permis à aucun endroit d'y laisser paroître un seul mt...
à découvert, même de ceux qui sont des plus indifférens sur la Mie...
(orthographe d'origine).
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Ce recueil est à présent disponible sur Google.
Certaines pages
en sont ici, soit publiées, soit (au cas où elles se retrouvent dans d'autres
recueils) référencées :
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