Les chansonniers de Le Bauld-de-Nans
Un membre très actif de la Loge la Royale York de l'Amitié fut Claude-Etienne Le Bauld-de-Nans (1735-1792), comédien de renom, régisseur de la Comédie française de Berlin, professeur recherché, directeur depuis 1781 de la Gazette littéraire de Berlin, et auteur du Livre fait par force, ouvrage publié pour la première fois en 1783 (il a été réédité en 2008, avec une présentation et des notes de François Labbé), et qui n'est pas dépourvu de connotations maçonniques (certaines éditions, comme celle ci-dessous, portent d'ailleurs la date de 5784 au lieu de 1784).
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Né en 1735, il avait été initié à Parme en 1755 et il fut un des fondateurs en 1756 de la Loge de Mannheim Saint-Charles de l'Union (devenue par la suite Karl zur Eintracht, et toujours existante) dont il fut Orateur et Vénérable avant de s'installer à Berlin vers 1774. Il y fut souvent l'Orateur de la Royale York, et finalement, de 1789 à sa mort, son Vénérable.
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C'était d'ailleurs un Orateur particulièrement prolixe, comme l'indique le fait que, ainsi que le mentionne Fesch, nombre de ses discours ont été imprimés, dont :
Le
14 février 1777, Frédéric adressa
à la loge Royale York une lettre disant :
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Le prince Léopold de Brunswick avait péri en 1785 sur l'Oder, en tentant de sauver des naufragés. Ce fait semble avoir frappé durablement la mémoire maçonnique : en 1805, la Loge calaisienne Saint-Louis des Amis Réunis organisait un concours littéraire sur l'éloge d'un acte de dévouement, d'héroïsme ou de générosité exercé par un Maçon. Une ode sur la mort de Léopold, prince de Brunswick, signée de Burgaud, y obtint un accessit. On peut la lire aux pages 163 à 173 du Tome II des Annales maçonniques de Caillot. |
La Royale York a édité en 1781 un recueil rassemblant, parmi d'autres, certains des discours mentionnés ci-dessus.
En 1781, alors
qu'il en était l'Orateur, il édita à Berlin les Chansons pour les Santés dans les banquets
maçonniques à l'usage de la Respectable Loge "la Royale Yorck de
l'Amitié".
Le fascicule comprend (avec les partitions pour toutes, sauf la chanson des Surveillants) 7 chansons nouvelles (6 pour diverses Santés rituelles et un Choeur après le travail) et 4 chansons connues (celles des Apprentis, des Compagnons, des Surveillants et des Maîtres) qui ont été ajoutées afin de rendre cette petite collection d'un usage plus étendu pour les Banquets. Une réédition en fac-similé de ce fascicule a été effectuée en 1998 par l'éditeur Christian Lacour-Ollé, aux éditions Lacour/Rediviva (cet éditeur a un catalogue extrêmement riche de textes anciens, tant maçonniques que régionalistes, catalogue dédié à tous ceux qui possèdent le culte du passé et du souvenir reconnaissant). Partageant son souci du devoir de mémoire, nous sommes heureux de lui en rendre hommage. |
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En 1786 - il est alors Grand Orateur et Grand Secrétaire - il publie un ouvrage plus complet, la Lyre maçonne pour les travaux et les banquets, où il reprend d'ailleurs une bonne partie des chansons du précédent recueil. Cet ouvrage a été réédité en fac-similé en 2006 par Elibron Classics et il est maintenant disponible sur Google-livres. Ce recueil est particulièrement intéressant par les caractéristiques suivantes :
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En outre - chose assez rare à l'époque - ils mettent clairement en évidence le devoir pour les maçons d'améliorer le monde extérieur (p. 133 : il faut ... faire le bien du Monde - p. 33 : puisse notre Art ouvrant au Monde la route qui mène au bonheur l'arracher à la nuit profonde où tout l'asservit à l'erreur - p. 21 : Ordre que j'encense ... Dans l'Univers, par tes bienfaits, fais à jamais régner la paix - p. 44 : dans tous les temps qu'il [l'Art Royal] nous anime pour le bonheur universel !). Cela préfigure une évolution qui, particulièrement en pays francophone, se développera au XIXe.
Il faut également souligner le soin que met Le Bauld à donner les partitions des chansons, plutôt que de renvoyer à des airs connus, usage - évidemment plus commode et moins coûteux, mais la Loge, comme sa rivale des 3 Globes, était prestigieuse et certainement prospère - de plus en plus courant en France à ce moment (alors qu'il ne l'était guère en Allemagne).
Ci-dessous la table de ces deux recueils :
n° dans les Santés | page dans la Lyre | Titre indiqué dans le recueil | Incipit |
1 | S | Première chanson pour la Santé du roi | De notre roi chantons la gloire |
2 | S | [Santés] Chanson pour la Santé du prince royal de Prusse [Lyre] autre [chanson pour la Santé du Roi] | Préparons tous de nouveaux feux / Maçonnons tous avec ardeur |
S | autre [chanson pour la Santé du Roi] | Profane dans notre temple | |
3 | 77 | [Santés] Chanson pour la santé de la GL d'Angleterre, du Grand Maître de l'Ordre, des Officiers de la Grande Loge et de tous les Grands Maîtres [Lyre] Santé de la Sublime Grande Loge | Pour notre mère sublime |
4 | 84 | Chanson pour la Santé du Vénérable Maître en Chaire | Exaltons et chantons notre digne Maître |
5 | 92 | Chanson pour la Santé des Surveillants | Portons nos yeux vers l'Occident |
6 | 98 | Pour les Frères Visiteurs | Marquons notre reconnaissance |
7 | 144 | Chœur après le Travail | A l'instant nous rentrons |
8 | S | [Santés] Chanson des Apprentifs [Lyre] Chanson ancienne de l'Ordre des Apprentifs | Frères et Compagnons de la Maçonnerie |
9 | Chanson des Compagnons | Art divin l’Etre suprême (version à 3 couplets) | |
10 | Chanson des Surveillants | Adam à sa postérité | |
11 | Chanson des Maîtres | Tous de concert chantons à l’honneur de nos Maîtres | |
3-7 | La sagesse en ce sanctuaire | ||
8-11 | Esprit de l'Ordre des francs-maçons * | Des divins sages de Grèce | |
12-21 | Dialogue entre un maçon et un profane | Je dis de vos leçons | |
22 | La charité envers tous les hommes * | Homme insensible et vain | |
28 | Hymne à l'amitié * | Présent du ciel, amitié sainte | |
34 | Sur la présomption de quelques jeunes maçons | A peine as-tu vu la Lumière | |
40 | Tableau de l'art royal | Qu'à son gré l'ignorant vulgaire | |
45 | Sur les persécuteurs des francs-maçons | L'ignorance dans tous les temps | |
54 | Hommage des francs-maçons aux dames * | Sexe enchanteur, âme du monde | |
61 | Les francs-maçons sauvés par la Reine de Naples | Heureux ce temps où dans le monde | |
70 | Pour la clôture de l'année | En augmentant l'âge du monde | |
102 | Les plaisirs des francs-maçons * | Accourez troupe agréable | |
109 | Philosophie des francs-maçons | Loin d'ici ta morgue austère | |
114 | Pour la fête de St Jean * | De l'un à l'autre pôle | |
121 | Pour la fête de St Jean | Faisons feu de tous nos canons | |
128 | Frères maçons mes compagnons | ||
134 | Le nombre maçonnique trois fois trois | Nos nombres mystérieux | |
139 | Frères et Compagnons célébrons l'art |
S dans la colonne page dans la Lyre signifie qu'il s'agit d'une page supplémentaire non numérotée ajoutée en fin de volume, comprenant 3 chansons à la Santé du Roi (avec la mention ces chansons n'étant qu'à l'usage particulier de cette Loge, on les a imprimées à part pour les joindre à la nouvelle Lyre maçonne) et l'inévitable Chant des Apprentis.
Pour les chansons marquées *, Le Bauld précise que l'auteur de la musique est le Frère Concialini (qui était membre de la Loge).
Pour celle de la p. 134, il indique que la musique est de M. Schulz, Maître de Chapelle de S. A. R. Mgr Henri de Prusse Oncle du Roi (à la table des matières, il précise du F. Schulz) ; Henri de Prusse était effectivement le frère de Frédéric II.
La Lyre, datée de 1786, est en effet postérieure (de fort peu) au décès (le 17 août 1786) de Frédéric II - les trois chansons pour la Santé du Roi qui figurent au supplément désignent d'ailleurs nommément Frédéric-Guillaume (II) comme le souverain régnant, tout en soulignant son appartenance à la maçonnerie (cette appartenance est mise en doute par les historiens).
D'autres chansons utilisent - tout en en reproduisant la partition - des airs profanes existants, parfois en en mentionnant la source (comme à la p. 139), parfois en négligeant de le faire (comme à la p. 84, où nous avons cependant pu identifier celle-ci grâce à une symétrie d'incipit).