L'ELECTION DU DUC DE CHARTRES

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Au XVIIIe (et l'usage s'en est maintenu dans certains pays), l'opportunité d'assurer à la maçonnerie protection et prestige conduisait souvent à choisir pour Grand Maître un très haut personnage, idéalement familier et parent du souverain - étant entendu qu'il régnerait sur l'Ordre mais ne le gouvernerait pas, ce rôle étant confié à un substitut désigné par lui ou avec son accord. L'élu faisait alors l'objet des marques les plus appuyées - et le cas échéant les plus imméritées, comme on le voit ici - de respect, d'affection et même de soumission et de vénération.

A la mort du comte de Clermont en 1771, c'est le duc de Chartres (futur duc d'Orléans et Philippe-Egalité) qui fut sollicité, mais sa disgrâce à ce moment fit que les choses traînèrent en longueur.

Son Installation eut finalement lieu le 22 octobre 1773, dans une cérémonie (très coûteuse) organisée dans sa petite maison de la Folie-Titon. Le Tracé en a été publié. La musique y était assurée par un ensemble de 19 Frères Amateurs, membres de la Loge de la triple Harmonie de Paris, qui ont exécuté en musique un divertissement en trois actes. Il y eut également des cantiques, l'un du Frère le Vasseur sur des paroles du Frère abbé Rozier, et deux composés et chantés respectivement par les Frères Cochet (de la triple Harmonie) et Pontet.

Nous ignorons si parmi ces cantiques figuraient les deux chansons relatives à cet événement que nous avons trouvées, celle ci-dessous (dont nous n'avons encore trouvé qu'une seule édition, aux pp. 174-6 d'une des éditions (C) du Recueil de Jérusalem) et cette autre dans un recueil publié aux Pays-Bas.

Comme l'indique le dernier couplet adressé à un Frère nouvellement initié, la chanson précédait probablement une Santé rituelle au nouveau Grand Maître. Et celle-ci était propre à susciter (Observez, d'un oeil curieux, Comment vont boire tous les frères) la curiosité de qui y assistait pour la première fois (ce qui fait écho à deux vers d'une chanson particulièrement célèbre, moquant les profanes qui ne sauront pas seulement Comment boivent les Frères).

Voir ici sur l'air du Vaudeville du Maréchal Ferrant.

Philippe-Egalité

Ce ne sont pas ses fonctions de Grand Maître qui ont fait de Philippe d'Orléans (1747-1793) un important personnage historique, mais bien son rôle dans les intrigues révolutionnaires, qui causa sa triste fin.

Tout cela est cependant suffisamment connu, et les quelques citations ci-dessous visent plutôt à situer le personnage sur le plan maçonnique.

Ci-dessous quelques extraits de la notice lui consacrée par Charles Porset dans l'Encyclopédie de la Franc-maçonnerie par divers auteurs sous la direction d'Eric Saunier (Pochothèque, 2000) :

C'est à la mort du comte de Clermont Grand Maître de la Grande Loge, le 16 juin 1771, à l'occasion d'une assemblée générale convoquée pour le 21 que des frères qui avaient été exclus en 1765-1766 se présentèrent en apportant la promesse écrite de son acceptation de la Grande Maîtrise en échange de la communication des rapports qui avaient motivé leur exclusion et la révision des opérations de la Grande Loge depuis 1767. Ils obtinrent gain de cause et le duc fut élu Grand Maître le 24 juin 1771, le duc de Montmorency-Luxembourg devenant Administrateur général de l'Ordre. Une circulaire d'octobre 1771 informa les loges de l'acceptation du duc de Chartres et les invita à s'associer à la cérémonie d'installation prévue pour la fin de novembre. Cependant le duc ne signa le procès-verbal d'acceptation que le 5 avril 1772. Ce ne fut que le 8 mars 1773 qu'une assemblée générale rassemblant les députés de province et ceux de Paris se réunit et confirma par acclamation l'élection du Grand Maître. Ce retard trouve son explication dans le fait que le duc qui s'était opposé à la réforme Maupeou était depuis avril 1771 sous le coup d'une interdiction de paraître à la Cour, interdiction qui ne fut levée qu'en décembre 1772.

La Grande Maîtrise n'était rien moins qu'une sinécure : inamovible, le Grand Maître présidait toutes les assemblées et en paraphait les comptes rendus. En réalité, Chartres ne manifesta guère de zèle et ne présida sa première assemblée du Grand Orient que le 3 juillet 1777. Il signa ce qu'on lui demanda de signer et entérina toutes les décisions que le duc de Montmorency-Luxembourg et son conseil de Grands Officiers avaient prises. Cela ne signifie pas pour autant qu'il se soit désintéressé de la francmaçonnerie. Ainsi, en juillet 1773, il visite La Vraie et Parfaite Harmonie, à l'orient de Mons, dans les Pays-Bas autrichiens loge qui avait été reconnue en 1765 par la Grande Loge de France comme Grande Loge des Pays-Bas, mais qui avait obtenu en 1770 des patentes de la Grande Loge de Londres ... En 1776, il engage une grande tournée provinciale qui le conduit à Bordeaux Agen Toulouse Montpellier Nîmes. On le voit aussi au château des Ormes, près de Châtellerault, propriété des d'Argenson, où il reçoit des délégations de frères.

S'il s'intéresse aux loges parisiennes (La Fidélité lui fait l'hommage d'une médaille en or frappée à son effigie et, en 1781 il demande son affiliation à La Candeur), son goût personnel lui fait préférer les loges de table, ou celles d'adoption. Il eut presque aussitôt sa loge personnelle, sous le titre distinctif de Saint-Jean de Chartres, à l'orient de Mouceaux [Monceau] créée le 9 septembre 1774 par le Grand Orient à la date du 20 décembre 1773 ...

... ce qui intéressait le Grand Maître était moins le travail maçonnique que la pratique des civilités aristocratiques ...

Accusé par le Journal de Paris de disposer d'un grand parti dans la capitale, Philippe Égalité avait démissionné le 22 février 1793 du Grand Orient ... Philippe Égalité, ci-devant Grand Maître du Grand Orient ne fut pas remplacé nonobstant la maçonnerie se maintint avec des fortunes diverses pendant la Terreur.

Bésuchet dans son T. 2 relate plus en détail la fin de sa Grande Maîtrise :

... on voit paraître dans le Journal de Paris, du dimanche 24 février 1793 (an II de la république), une lettre du duc d'Orléans où ce prince répudiait en quelque sorte la dignité de grand maître de l'ordre maçonnique en France. Nous en extrairons le passage plus particulièrement spécial à notre association. Le grand maître dit :

Dans un temps où assurément personne ne prévoyait notre révolution, je m'étais attaché à la franc-maçonnerie, qui offrait une sorte d'image de la liberté : j'ai depuis quitté le fantôme pour la réalité.

Au mois de décembre dernier, le secrétaire du Grand Orient s'étant adressé à la personne qui remplissait auprès de moi les fonctions de secrétaire du grand maître pour me faire parvenir une demande relative aux travaux de cette société, je répondis à celui-ci, en date du 5 janvier :

Comme je ne connais pas la manière dont le Grand Orient est composé, et que d'ailleurs je pense qu'il ne doit y avoir aucun mystère, aucune société secrète dans une république, surtout au commencement de son établissement, je ne veux plus me mêler en rien du Grand Orient ni des assemblées de francs-maçons.

On voit, d'après cette lettre, que l'abandon de la grande maîtrise était un sacrifice aux événements d'alors. M. Thory rapporte dans l'Histoire de la fondation du Grand Orient, page 76, que le Grand Orient assemblé le 13 mai 1793, déclara le duc d'Orléans « non-seulement démissionnaire de son titre de grand maître, mais de celui de député. » Il ajoute : « L'épée de l'ordre fut, dit-on, cassée par le président, et jetée au milieu de la salle d'assemblée. »

Citons aussi un pamphlet aussi perfide que méchant, publié contre lui en 1790, La Vie privée du Duc de Chartres, aujourd'hui Duc d'Orleans ; le texte de la chanson ci-dessous justifie hélas la cruelle opinion de l'auteur sur les adulations & les fadaises ordinaires & extraordinaires en pareilles cérémonies :

A la mort du Général des Capucins, du comte de Clermond, les loges de la Franche-Maçonnerie de France se trouvèrent plongées, non pas dans la douleur d'avoir perdu leur illustre Grand Maître, mais bien dans le plus grand embarras de le remplacer : & il était effectivement très-difficile de rencontrer autant d'ineptie jointe à la débauche la plus effrénée. Il est rare de trouver tant de prérogatives de cette espèce réunies sur-tout dans des Princes.

Cependant on jetta les yeux sur le duc de Chartres & d'une voix unanime, il fut nommé successeur du défunt Grand-Maître, & Protecteur de cette Société ridicule qui enveloppe de mystères absurdes, une morale un peu moins pure que celle d'Epicure ...

Au fauxbourg Saînt-Antoine, est une maison immense connue sous le nom de la Folie-Titon. Ce fut en cet endroit que le duc de Chartres fut proclamé Grand-Maître, avec toutes les cérémonies extravagantes accoutumées, & toutes les adulations & les fadaises ordinaires & extraordinaires en pareilles cérémonies ...

 

L'ELECTION 

DE SON ALTESSE sérénissime

LE DUC DE CHARTRES,

A la place de grand-maître des Maçons de France.

 

Vaudeville du Maréchal.

 

Frères Maçons, dans ce beau jour,
Donnons l'essor à notre amour,
Travaillons d'une ardeur rapide,
Chérissons, bénissons nos loix,
C'est le noble sang de nos rois,
C'est Orléans qui nous préside.

Tôt, tôt, tôt,
Battez chaud ;
Tôt, tôt, tôt,
Bon courage ;
L'amour donne coeur à l'ouvrage.

 

 

L'architecte de l'univers ,
Dans tous ses ouvrages divers,
Du monde entier n'a fait qu'un temple ;

   

Un fils des dieux, par ses leçons,
Invite tous les Franc-Maçons
A travailler à son exemple.

Tôt, tôt, tôt, &c.

 

 

De tous les riches ornements,
Dont est revêtu d'Orléans,
Le plus glorieux c'est l'équerre :
A la jarretière, à la Toison,
A toute espèce de cordon,
En bon Maçon il la préfère.

Tôt, tôt, tôt, &c.

 

 

Notre art est donc vraiment royal :
Sur la terre il n'a point d'égal,
Quoiqu'un sot vulgaire en décide ;
Quel honneur d'être Franc-Maçon,
Quand nous voyons, après Clermont,
Un Orléans qui nous préside.

Tôt, tôt, tôt, &c.

 

 

Je le répète en ce beau jour,
Mes frères, redoublons d'amour
Pour notre art et notre grand-maître :
C'est en les aimant tous les deux,
Que nous serons sages, heureux,
Tels que des Maçons doivent être.

Tôt, tôt, tôt, &c.

 

Plus que jamais unissons-nous,
Chargeons, alignons aux deux bouts ;
D'un grand-maître, si chérissable,
Quand je propose la santé,
C'est l'accord le mieux concerté,
Qui doit régner à cette table.

Tôt, tôt, tôt,
Battez chaud ;
Tôt, tôt, tôt,
Bon courage ;
Le vin donne coeur à l'ouvrage.

 

 

A un Frère nouvellement initié.

Vous que l'estime et l'amitié
Ont dans ce jour initié
A nos secrets, à nos mystères,
Partagez nos plaisirs, nos feux :
Observez, d'un oeil curieux,
Comment vont boire tous les frères.

Tôt, tôt, tôt,
Battez chaud ;
Tôt, tôt, tôt,
Bon courage ;
Le vin donne coeur à l'ouvrage.

Pour en savoir plus sur le duc de Chartres

Un diplôme maçonnique à son effigie

Dans ses collections, la Bibliothèque nationale de France dispose de l’estampe ci-dessous, dont elle a rendu une reproduction accessible aux internautes sur son site Gallica.

Elle y donne comme légende : 

Titre : Portrait de L.-P.-J. d'Orléans, duc de Chartres, en buste, de 3/4 dirigé à droite dans un médaillon ovale soutenu dans les airs par un aigle, au-dessus d'un temple sur lequel on lit : A l'union des sciences et des arts avec la vertu.
Auteur : Choffard, P. P.. Graveur

Cette légende ne mentionne pas le caractère maçonnique de la pièce. Ce caractère est cependant manifeste si l’on s’en réfère à la description qui en est donnée au Tome I (deuxième partie) de l’ouvrage de Portalis et Béraldi, Les graveurs du dix-huitième siècle (Paris, 1880, Damascène Morgand et Charles Fatout éd.) ; à la p. 433 , elle est en effet mentionnée comme suit, sous le n° 29 dans le catalogue des œuvres de Choffard :

CHARTRES (le Duc de), depuis Philippe-Egalité, dans une grande composition en largeur, destinée à servir de Diplôme de Franc-Maçonnerie. — Dessiné par Monnet, peintre du Roi, Maître de la loge des neuf sœurs, gravé par P. P. Choffard, 1777. in-fol. en largeur. 
A gauche, un temple, A l'union des Sciences et des Arts avec la vertu ; à droite, les Muses et Pégase. Dans le haut, à droite, Apollon, et à gauche, un aigle tenant dans ses serres un petit médaillon sur lequel est délicatement gravé le portrait de Louis Philippe Joseph Duc de Chartres, Grand Maître du Grand Orient de France — Un lion, un chien, un pélican, etc. — Présenté par le Frère Abbé Cordier de St Firmin, Instituteur et Orateur de la Loge des Neuf-Sœurs. Le Vénérable De La Lande, de l'Ac. des Sci. Ecl. L'O. L. D. L. V. 5777. — Un cartouche au-dessus de la composition et deux autres sur les côtés. 

Le Frère Monnet, peintre du roi, mentionné par Amiable comme membre des Neuf Soeurs (ndlr : les Muses figurent à la gravure), nous est notamment connu pour avoir, pendant la réception de Voltaire, dessiné le portrait du frère de Voltaire, qui s'est trouvé plus ressemblant qu'aucun de ceux qui ont été gravés, et que toute la loge a vu avec une extrême satisfaction.

Cette gravure a effectivement été utilisée comme diplôme, et précisément aux Neuf Soeurs : on trouve (sous le n° 253) au catalogue de la vente publique de la maison Alde, le 29 novembre 2012, la pièce suivante (qui, estimée à 3/4000 Euros, fut adjugée à 11000 Euros) :

présentée ainsi :

Benjamin FRANKLIN (1706-1790). P.S., cosignée par une trentaine de francs-maçons, dignitaires et membres de la Loge des Neuf Sœurs, Paris 1er jour du 6e mois de l’an 5785 de la Vraie Lumière [1er septembre 1785 - ndlr : c'est plutôt le 1er aoüt] ; in-plano (à vue 31 x 48 cm), fragment de cachet cire rouge ... Rarissime et exceptionnel brevet maçonnique de la célèbre Loge des Neuf Sœurs, signé notamment par Benjamin Franklin qui en fut le Vénérable, et par nombre de ses illustres membres.

Le brevet est rédigé dans les marges d’une grande planche gravée par Pierre-Philippe Choffard d’après un dessin de Charles Monnet, peintre du Roi : elle représente un temple dédié « à l’union des sciences et des arts avec la vertu », neuf sœurs entourées d’emblèmes des arts et sciences, Apollon descendant des cieux, Pégase, un lion couché et un portrait en médaillon du duc de Chartres, Grand-Maître de toutes les Loges régulières de France.

« Nous, Vénérable, Premier et Surveillans, et autres Officiers, et Membres de l:. R:. L:. des IX:. SS:. à l’O:. de Paris Certifions que le T:. C:. F:. Claude Jacques Notté, Peintre, M:., est Maître et Membre de cet Atelier, que, réunissant à un talent distingué le caractère le plus fraternel, il s’est concilié l’estime et l’amitié de tous ses FF:., comme il s’est acquis des droits sur la reconnaissance de l:. R:. L:. pour l’intelligence et le zèle qu’il a montrées dans les divers offices qui lui ont été confiés : Prions tous ll:. MM:. répandus sur les deux hémisphères de faire à ce ch:. F:., dès le premier abord, l’accueil favorable qu’une plus ample connaissance les forcerait de lui accorder : Promettons de notre côté de faire le même accueil aux bons et vrais FF:.:.:. qui nous seront ainsi recommandés. Le présent certificat avait été assûré au T:. C:. F:. Notté, de l’an de l:. v:. L:. 5780, et signé par le V:. M:. Franklin, alors éclairant l’O:. de l:. R:. L:.:.:. des IX SS:.:.:. ; Les progrès que le T:. C :. F:. dans la vertu, l’accroissement de ses talens, la multiplicité de ses services, n’ont fait qu’ajouter aux sentimens de la R:. L:. qui s’empresse de joindre son témoignage général à celui d’un Ex V:. M:. dont la seule signature eut pû suffire pour attester à l’Univers M:. la vérité des faits, et l’unanimité de l’Attelier »... Claude-Jacques Notté (1752-1837), originaire de la Brie, fut peintre, portraitiste et miniaturiste ; il est notamment l’auteur d’un portrait de John Paul Jones, largement diffusé par la gravure. Il figure comme sous-surveillant dans un document de la Loge des Neuf Sœurs daté de 1780. 

Ont signé tout en haut du brevet, outre Benjamin Franklin, le premier maître (et fondateur de la Loge) l’astronome Jérôme de Lalande (1732-1807), et l’avocat Jean-Baptiste Jacques Élie de Beaumont (1732-1786), qui était alors le Vénérable de la Loge. Ont également signé, en bas, à côté du sceau, pour délivrer ce brevet, le premier secrétaire, le poète Jean-Antoine Roucher (1745-1794), le second secrétaire, le naturaliste Bernard-Germain-Étienne de Lacépède (1756-1825), et Claude Guyot Desherbiers (1745-1828, magistrat et législateur, grand-père d’Alfred de Musset). De part et d’autre de la gravure, figurent les signatures des principaux membres de cette loge prestigieuse : Philippe Jouette (peintre), Charles-Étienne Gaucher (1741-1804, graveur), Pierre-Philippe Choffard (1730-1809, dessinateur et graveur), Couasnon, Henri Jabineau (1724-1792, prêtre et avocat), Bastin, Jean-Simon Berthelemy (1743-1811, peintre d’histoire), Abel Claude Marie de Vichy (1740-1793, demi-frère de Julie de Lespinasse), Adrien-Nicolas Piédefer marquis de La Salle (1735-1818, officier et littérateur), Jean-François Cailhava (1731-1813, auteur dramatique), Jean-Baptiste Greuze (1725-1805, peintre), Niccolo Piccinni (1728-1800, compositeur) et son fils Giuseppe, Emmanuel de Pastoret comme surveillant (1755-1840, avocat et homme politique), Jean-Jacques Duval d’Epremesnil comme premier orateur (1745-1794, magistrat), le chevalier de Stapleton, Perrault, Pierre Changeux (1740-1800, journaliste et physicien), l’abbé de Baremont, Armand Élie de Beaumont, Luc Saint-For, Michel chevalier de Cubières (1752-1820, écrivain), Joseph Vernet (1714-1789, peintre).

Chartres et la bienfaisance

Dans son Histoire pittoresque de la franc-maçonnerie et des sociétés secrètes (p. 233), Bègue-Clavel raconte  l'anecdote suivante, qu'il illustre, sous le libellé Banquet maçonnique dans un couvent, par cette gravure :

... Le grand-maître eut plus tard occasion de s'arrêter dans une petite ville de la Normandie, où se trouvait une riche abbaye de bénédictins. Il s'y fit conduire et fut reçu par les révérends pères avec tous les honneurs dus à un homme de son rang. En descendant de voiture, il avait remarqué devant la porte du monastère une foule de femmes et d'enfants couverts de haillons, réunis là pour recevoir les misérables aumônes que distribuaient les pères, non de leurs propres deniers, mais en exécution d'une ancienne fondation pieuse dont ils étaient les dispensateurs. Il apprit que la plupart des habitants de la ville étaient plongés dans un complet dénûment. Cette circonstance lui suggéra l'idée de tenir, dans le couvent même, une loge de table, et d'y faire une collecte en faveur de ces pauvres gens. Sa suite était nombreuse et toute composée de maçons. Il admit à la réunion les supérieurs de la communauté. A peine eut-on pris place, que les frères, tirant de leurs poches leurs tabliers et leurs cordons, s'en décorèrent, à la grande stupéfaction des religieux, qui eussent bien voulu se retirer, mais que le respect retint. On porta la santé du roi. Ce fut pour les pères un autre sujet d'étonnement et de mortification ; car, après avoir tiré le dernier feu, les convives maçons brisèrent leurs canons, suivant l'usage qui ne permet pas de boire deux fois dans un verre qui a servi à porter la santé du souverain. A la fin du repas, le grand-maître fit circuler le tronc des pauvres, et il y déposa ostensiblement une offrande libérale. Tous les seigneurs de sa suite imitèrent son exemple, et les moines eux-mêmes, que le prince avait auparavant avertis de ce qui allait se passer, et invités à se montrer généreux. Ce fut un beau jour pour les pauvres, à qui la collecte fut distribuée ; mais peu s'en fallut qu'ils repoussassent ce bienfait ; les moines, qui ne voulaient pas s'engager par un pareil précédent, leur ayant fait insinuer que le don qu'ils recevaient avait une source diabolique.

Un grand noceur

C'est encore Bègue-Clavel, dans le même ouvrage (pp. 115-7), qui donne cet exemple des moeurs fort libertines du duc :

... Une association d'un tout autre genre fut établie, vers la même époque, sous le titre d'ordre des chevaliers et des nymphes de la Rose. Le but qu'elle se proposait était la bienfaisance prise dans un sens fort restreint, et l'amour du prochain y était circonscrit dans les limites les plus étroites. C'était tout simplement une réunion de plaisir qui s'était trompée de date, et qui appartenait, par ses tendances et par sa composition, aux beaux jours de la Régence. M. de Chaumont, secrétaire particulier du duc de Chartres pour ce qui concernait la franc-maçonnerie, était l'inventeur de cet ordre, qu'il avait imaginé pour complaire aux désirs du prince. La société avait son siège principal à Paris, rue de Montreuil, à la Folie-Titon, petite maison de Son Altesse; elle avait aussi des succursales dans les hôtels de plusieurs seigneurs. La salle où se faisaient les réceptions s'appelait le Temple de l'Amour. Les murs, ornés de guirlandes de fleurs, étaient chargés d'écussons où étaient tracés des emblèmes et des devises érotiques. L'assemblée était présidée par deux officiers de sexe différent, dont l'un avait le titre d'hiérophante, et l'autre celui de grande-prêtresse. Le premier recevait les hommes ; les femmes étaient initiées par la seconde. Un chevalier, nommé Sentiment, une nymphe nommée Discrétion, deux introducteurs, homme et femme, aidaient l'hiérophante et la grande-prêtresse dans l'accomplissement des réceptions. Les assistants se qualifiaient de frères et de sœurs. Les hommes avaient une couronne de myrte ; les femmes, une couronne de roses. L'hiérophante et la grande-prêtresse portaient, en outre, un large ruban rose sur lequel étaient brodées deux colombes au centre d'une couronne de myrte. Au moment où les réceptions avaient lieu, la salle n'était éclairée que par une lanterne sourde que tenait à la main la sœur Discrétion ; les réceptions achevées, le temple étincelait de la clarté de mille bougies.

Voici de quelle manière s'opéraient ces réceptions, d'après le rituel de l'ordre, que nous copions textuellement :

« L'introductrice (si l'on admet une nymphe), et l'introducteur (si c'est un chevalier) les dépouillent de leurs armes, bijoux ou diamants ; leur couvrent les yeux ; les chargent de chaînes, et les conduisent à la porte du Temple de l'Amour, à laquelle on frappe deux coups. Le frère Sentiment introduit les néophytes, par l'ordre de l'hiérophante ou de la grande-prêtresse. On leur demande leur nom, leur patrie, leur état, enfin ce qu'ils cherchent. Ils doivent répondre à cette dernière question : Le bonheur.

« D. Quel âge avez-vous? — R. (Si c'est un chevalier : ) L'âge d'aimer. (Si c'est une nymphe : ) L'âge de plaire et d'aimer.

« Les candidats sont ensuite interrogés sur leurs sentiments particuliers, leurs préjugés, leur conduite en matière de galanterie, etc. Après les réponses, on ordonne que les chaînes dont ils sont chargés soient brisées, et remplacées par celles de l'Amour. Alors des chaînes de fleurs succèdent aux premières. Dans cet état, on commande le premier voyage. Le frère Sentiment leur fait parcourir un chemin tracé par des nœuds d'amour, qui part du trône de la grande-prêtresse et vient aboutir, à l'autre extrémité de la salle, à la place occupée par le frère Sentiment. Le second voyage est ordonné, et la même route est suivie en sens contraire. Si c'est une nymphe qui doit être admise, elle est conduite par la sœur Discrétion, qui la couvre de son voile. Ces deux voyages terminés, les candidats s'approchent de l'autel de l'Amour, et s'engagent par le serment suivant :

« Je jure et je promets, au nom du maître de l'univers, dont le pouvoir se renouvelle sans cesse par le plaisir, son plus doux ouvrage, de ne jamais révéler les secrets de l'ordre de la Rose. Si je manque à mes serments, que le mystère n'ajoute rien à mes plaisirs ! qu'au lieu des roses du bonheur, je ne trouve jamais que les épines du repentir !

« Ce serment prononcé, on ordonne que les néophytes soient conduits dans les bosquets mystérieux, voisins du Temple de l'Amour. On donne aux chevaliers une couronne de myrte, aux nymphes une simple rose. Pendant ce voyage, un orchestre nombreux exécute une marche tendre, avec des sourdines. On les conduit à l'autel du Mystère, placé au pied du trône de l'hiérophante ; là, des parfums sont offerts à Vénus et à son fils. Si l'on reçoit un chevalier, il échange sa couronne avec la rose de la dernière sœur admise. Si c'est une nymphe qu'on reçoit, elle échange sa rose avec la couronne du frère Sentiment. L'hiérophante lit des vers en l'honneur du dieu du Mystère, après quoi il fait ôter le bandeau qui a couvert les yeux des candidats pendant toute la cérémonie. Une musique mélodieuse se fait entendre et vient ajouter au charme du spectacle qu'offrent aux initiés une réunion brillante et un lieu enchanteur. Pendant qu'on exécute cette musique, l'hiérophante ou la grande-prêtresse donne aux néophytes les signes de reconnaissance, qui se rapportent tous à l'amour et au mystère. »

D'autres mystères suivaient, dont le rituel ne fait pas mention, mais qu'on a pu lire dans la chronique de l'époque.

On trouve les mêmes informations (moins la perfide allusion terminale) chez Ragon.

Une médaille

Cette rare médaille à l'effigie du Duc de Chartres est celle de la Loge La Fidélité et on trouvera ici, sur le très riche site les Métaux et la Mémoire de Marc Labouret, son histoire et sa description.

Marin d'eau douce ?

L'illustre guide mentionné au deuxième couplet du célèbre Cantique des Santés est en fait le vainqueur (en titre ! son incompétence a transformé en simple succès ce qui aurait dû être une déroute de la flotte anglaise, mais cela n'a pas empêché de lui en attribuer tout le mérite) de la bataille navale d'Ouessant (27 juillet 1778) : le Grand Maître, duc de Chartres, est à ce moment inspecteur général de l'armée navale de Brest. Dans Le noyé du Grand Canal, Jean-François Parot conte cette bataille et éclaire d'une lumière peu flatteuse la personnalité du duc de Chartres.

Un pamphlet féroce publié contre lui en 1790, La Vie privée du Duc de Chartres, aujourd'hui Duc d'Orleans, relate également ces événements et conclut :

La flotte Française une fois rentrée à Brest, le duc de Chartres ne pensa plus qu'à retourner à Paris. On lui avait fait à croire qu'il s'était comporté, sans s'en douter, avec le plus grand héroïsme, & qu'il méritait les plus grand éloges & du Roi & de toute la France. Plein de cette idée, qu'il avait lui-même peine à nourrir dans son imagination, il partit le plutôt qu'il lui fut possible de Brest pour Versailles, où il arriva le premier Août. Le Roi, peut-être par un pressentiment dont on ne peut rendre raison, ne lui fit qu'un assez froid accueil, malgré les détails circonstanciés de la victoire douteuse remportée sur les Anglais, dans la journée du 27 Juillet précédent.

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la bataille d'Ouessant

Il existe des témoignages de l'(immérité) culte de la personnalité voué dans les Loges au Grand Maître à cette occasion : le 19 août 1778, la Loge l'Union Parfaite de la Rochelle écrit au Grand Orient en évoquant les craintes et les alarmes occasionnées en son sein par les dangers où notre illustre Grand Maître allait s'exposer lorsque nous avons été certains que parti de l'orient de Brest il allait se livrer généreusement aux périls multipliés d'une guerre meurtrière où son courage et l'honneur qui le guident devaient nécessairement l'exposer. Il est très vrai, continue la Loge, ... que ce digne et respectable Grand Maître a couru tous les dangers qui pouvaient justifier nos inquiétudes et nous plonger dans la plus profonde douleur ; mais grâce au ciel nous n'avons qu'à nous féliciter de ce qu'au milieu de tant de périls il n'en a recueilli que la gloire puisque après avoir vu fuir l'ennemi qui avait osé l'attaquer il est revenu vainqueur au port et jouissant d'une santé conforme à nos désirs. En foi de quoi la Loge décide d'en rendre grâce au Grand Architecte de l'Univers en faisant célébrer une messe solennelle et chanter un Te Deum pour le remercier de ce qu'il a daigné conserver notre Respectable Grand Maître... et le préserver de tout accident fâcheux dans ce combat où ce digne prince a donné des preuves de son courage et de son amour pour le service du Roi et de la Nation. (source : Francis Masgnaud, Franc-maçonnerie et francs-maçons en Aunis et Saintonge sous l’Ancien Régime et la Révolution, Ed. Rumeur des Ages, La Rochelle 1989, pp. 151-2)

Bel exemple de flagornerie - à laquelle un autre cantique du recueil d'Honoré participe également.

ci-contre : la p. 1 du recueil d'Honoré , avec le début du Cantique des Santés

... flagornerie d'ailleurs traditionnelle : bien plus tôt, Louis de Bourbon-Condé, Comte de Clermont, qui fut Grand Maître de la Grande Loge de France de 1743 à 1771, avait participé à la Guerre de Succession d'Autriche (1740-1748).

Par la plume de Jean-Jacques Le Franc de Pompignan (1709-1784), les maçons de Bagnères lui écrivaient en 1744 :

Vole, Bourbon, cours où t'envoie
Un Roi, l'amour de nos guerriers.
Cours dans des routes de lauriers,
De la paix aplanir la voie.

Et, le 24 juin 1748 (après la prise de Maastricht, la guerre s'était interrompue pour faire place aux pourparlers d'Aix-la-Chapelle, conclus par le traité qui allait être signé le 18 octobre), le Frère de H***, orateur, prononçait en Loge un discours (imprimé le 6 juillet 1748 A Maastrick, chez André L'imprenable, à l'enseigne de la Reddition - ce texte a été republié en 1994) dont nous extrayons quelques lignes :

Enfin le plus grand roi du monde enchaîne la victoire, il fait triompher cette aimable paix qui régna toujours dans son coeur.

...

Prince protégé et protecteur de la maçonnerie, notre très respectable Grand-Maître, vous nous êtes enfin rendu.

Nous cessons de trembler pour ces jours nécessaires, jusqu'ici exposés à tant de périls par l'ardeur de votre courage.

Que l'épée du Grand Condé se repose à l'ombre de ces nobles exploits, et mettant de côté ces faisceaux de lauriers que vous avez moissonnés dans les campagnes belges, venez recevoir de la main des frères une couronne d'olivier et goûter parmi nous les douceurs du repos ...

Copieusement brocardé par les chansonniers de son temps (voir à le sujet le vol. VII du Chansonnier historique de Raunié, p. 300 : un pauvre prince dont un auguste titre éclaire le néant), Clermont, surnommé par Frédéric II le Général des Bénédictins (il était abbé commendataire de Saint-Germain-des-Prés), n'était pourtant pas le foudre de guerre ainsi évoqué par l'hagiographie maçonnique ; son commandement lui fut même retiré après sa défaite à Crevelt en 1758.

Un Te Deum en son honneur

On peut lire dans les Mémoires secrets, à la date du 10 Septembre 1777 : 

Monsieur le duc de Chartres, actuellement grand-maître de toutes les loges de France, est un prince trop cher aux francs-maçons pour qu'ils ne célèbrent pas sa convalescence. Monsieur l'abbé Cordier, frère très-ardent & très-zélé, a fait mettre le projet en délibération dans la loge des Neuf-Soeurs, & le voeu unanime ayant été pour son exécution, il a été arrêté que mercredi prochain, 17 de ce mois, il serait chanté une messe et un Te Deum en musique, dans l'église des cordeliers, en actions de grâces de cet heureux événement. Il y a des billets d'invitation, une marche différente pour les femmes & pour les hommes, & l'on ne pourra entrer qu'avec des signes de reconnaissance.

Une détestation générale ?

Mais la vénération (obligée) des maçons pour leur Grand Maître ne semble pas avoir été partagée dans l'opinion publique. Du moins si l'on en croit cet autre extrait des Mémoires secrets, à la date du 28 mai 1783 :

Poltron sur mer, escroc sur terre, prince nulle part, polisson partout.

Tel est le titre d'un manuscrit que font circuler les ennemis du duc de Chartres, & qui remplit assez bien leurs intentions en représentant sa vie comme un tissu d'infamies, de lâchetés, d'escroqueries. […] Dans le détail de ce qu'ils racontent, ils ne disent rien de neuf, & la manière dont ils le disent n'est pas même bien piquante ; mais n’importe, ce sont des injures contre le duc de Chartres & il est si détesté, qu'à quelque prix que ce soit on veut les acheter & les lire.

 

  […]

 ci-contre : le souvenir (en partie estompé : escroc est remplacé par un double emploi de poltron) de ce pamphlet était encore vivace après la révolution.

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