La réception d'Askeri-Khan
Aux pages 74 et ss. du Tome VII des Annales maçonniques de Caillot, figure le compte-rendu (dont le début est reproduit en bas de cette page) de la Séance solennelle pour la réception dans l'Ordre des Franc-maçons du Frère Askeri-Khan, Ambassadeur de Perse près la Cour de France. Cette cérémonie eut lieu le 24 novembre 1808 à la Loge parisienne de Saint Alexandre d'Ecosse, sous le Vénéralat de Thory.
Aux pages 104 à 108 du même recueil, on trouve des Couplets et une Cantate qui furent sans doute chantés à cette occasion.
Environ un mois plus tard, Askeri-Khan était mis à l'honneur (mais, sans doute pour la raison mentionnée à la page correspondante, sans allusion à sa qualité maçonnique récemment acquise) par le Grand Orient de France, au cours de sa Fête de l'Ordre à la Saint-Jean d'Hiver, dans une Stance (sur une musique d'Henry Darondeau) faisant partie d'un programme plus vaste, dont les textes ont été reproduits à la page 244 du volume antérieur (Tome VI) des mêmes Annales maçonniques de Caillot :
STANCE
En l'honneur de son Excellence l’Ambassadeur de Perse, Paroles de *** , Musique du Frère d'Arondeau ; chantée par le Frère Baptiste. Mais de la rive Orientale, On reprend le choeur. Jour heureux, jour d'ivresse, etc. |
Askeri Khan est sans doute ainsi l'un des premiers mahométans, sinon le premier, à avoir été initié en Europe. On sait que l'ambassadeur de Perse à Londres fut également initié, en 1810. Thierry Zarcone signale, dans l'Encyclopédie de la Franc-maçonnerie (Pochothèque) qu'en Iran l'idée de franc-maçonnerie était cultivée par des diplomates iraniens, reçus francs-maçons en France et en Angleterre dès le début du XIXe siècle, et dont le rêve était de réformer et de moderniser les institutions de leur pays. Il semble cependant que des musulmans aient été initiés antérieurement, dans leur pays. Il a notamment été signalé dès 1748 qu'à Constantinople un français avait commencé à tenir Loge dans la maison d'un drogman anglais et qu'on y avait invité des Turcs (source : Eliane Brault, la Franc-maçonnerie et l'émancipation des femmes, Dervy 1967, p. 13). Par ailleurs, dans son article Mobilité négociante et réseaux maçonniques: une rencontre réussie, Pierre-Yves Beaurepaire signale qu’en 1738, une relation anonyme publiée par le Saint James Evening Post laissait déjà entendre « que les loges de Smyrne et d’Alep ont pris une extension considérable et que plusieurs Turcs de haut rang ont été initiés ». en France L'attitude des maçons français du XVIIIe semble avoir été très variable, d'Orient en Orient, sur la question de l'accueil des mahométans, comme en témoignent ces quelques exemples : 1. Dans l'ouvrage de Francis Masgnaud, Franc-maçonnerie et francs-maçons en Aunis et Saintonge sous l’Ancien Régime et la Révolution (Ed. Rumeur des Ages, La Rochelle 1989), nous lisons (p. 163), à propos de L'Union Parfaite de la Rochelle, que : Dans les années 1780, à plusieurs reprises des Maçons algériens visitent L'Union Parfaite, sans problème.
2. Mais, selon le même auteur, à Nantes l'accueil est moins chaleureux : Le procès-verbal de l'Assemblée du Grand Orient du 7 avril 1786 mentionne que le frère Mehemet Celibi, Maçon algérien s'étant trouvé a l'orient de Nantes et désirant fraterniser avec les maçons Français, s'etait présenté a la loge de la Parfaite située sous le même orient. Les frères de cette loge, quoiqu'il fut connu du Vénérable, lui ont refuse l'entrée de leur Temple en lui faisant dire que la différence de religion ne leur permettait pas de l'admettre à leurs travaux. Il fit viser les patentes maçonniques constatant sa qualité de frère par le Grand Orient, afin que pareille mésaventure ne puisse plus lui arriver. 3. J.-P. L., dans son article Une Loge à Jérusalem en 1785 (in Cahiers de la Grande Loge provinciale d'Occitanie de la GLNF ,numéro de février 1986), signale la présence, le 28 novembre 1784, d'un Frère algérien visiteur à la Loge toulousaine des Coeurs Réunis. 4. Nous citerons aussi Pierre-Yves Beaurepaire qui, dans son article Sociabilité des Lumières et exclusion dans les ports méditerranéens au XVIIIe siècle : l’exemple de la Franc-maçonnerie (Cahiers de la Méditerranée, vol. 69 Etre marginal en Méditerranée) et dans son article L’exclusion des Juifs du temple de la fraternité maçonnique au siècle des Lumières, mentionne également qu'à Marseille (ville pourtant très commerçante et ouverte sur la Méditerranée), la loge de la Parfaite Sincérité stipule dans l’article 12 de ses Statuts et Règlement que « tous profanes qui auraient le malheur d’être juifs, nègres, ou mahométans ne doivent point être proposés ». Cette attitude semble bien avoir été la règle générale, à laquelle les quelques cas recensés de visiteurs (et seulement de visiteurs) admis font figure d'exception.
Il ne faut pas manquer de lire l'analyse plus récente publiée (2016) par Pierre-Yves Beaurepaire dans son article Perception et réception des musulmans dans les loges maçonniques du siècle des Lumières. |
Il nous semble manifeste, à la lecture du Tracé mentionné ci-dessus, que cette Réception tenait plus de l'opération de relations publiques (au profit de l'Empire) que du Rituel maçonnique, les motivations en étant de nature plus politique que philosophique ... Le projet d'Askeri d'établir une Loge en Perse avait d'ailleurs été évoqué, pour la plus grande utilité notamment des Frères qui suivent la carrière des armes ou du commerce.
L'épisode suivant montre en tout cas qu'Askeri n'avait pas été privé de ses métaux :
Sur une autre page, nous reproduisons le texte dans lequel Alexandre Dumas Père évoque cet événement dans les termes suivants :
Bernadotte était maçon ; son fils, le prince Oscar, fut Grand Maître de la loge suédoise ; dans les différentes loges de Paris, furent successivement initiés : Alexandre, duc de Wurtemberg ; le prince Bernard de Saxe-Veimar, et jusqu'à l'ambassadeur persan, Askeri-Khan ; le président du Sénat, comte de Lacépède, présidait le Grand Orient de France, duquel étaient officiers d'honneur les généraux Kellermann, Masséna et Soult. Les princes, les ministres, les maréchaux, les officiers, les magistrats, tous les hommes enfin remarquables par leur gloire ou considérables par leur position, ambitionnaient de se faire recevoir maçons.
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