Santé du Vénérable ... et alia
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Dans toute société organisée qui partage des repas à l'occasion de ses réunions, se trouve tout naturellement respectée fidèlement l'immémoriale tradition de lever son verre à la santé de l'une ou l'autre personne particulièrement chère, présente ou non.
Dans une société aussi structurée, et ritualisée, que la maçonnerie, cette habitude va évidemment tendre à elle-même se ritualiser.
On peut observer cette évolution tout au long du XVIIIe siècle, pour aboutir à un rite formel comprenant - avec des variantes au cours du temps, en qualité et en nombre - les sept Santés d'obligation, souvent encore en vigueur aujourd'hui.
On trouve très tôt des allusions au cérémonial des Santés. On lit par exemple ceci dès 1745 à la célèbre divulgation de Perau, L'Ordre des francs-maçons trahi et Le secret des Mopses révélé (p. 53) :
Mais c'est plus tard qu'a été formalisée la procédure des Sept Santés. La première mention explicite que pour notre part nous en ayons trouvée est en 1800 à la p. 122 des Statuts de l'Ordre de la Franc-Maçonnerie en France :
C'est ce dispositif qu'on retrouvera dans de multiples textes par la suite, étant bien entendu que l'énoncé de la première Santé évoluera avec les circonstances politiques et deviendra par exemple celui-ci en 1806 :
On trouve une description plus détaillée en 1812 dans le Nécessaire maçonnique de Chappron :
Une formulation plus invariante et plus synthétique sera donnée (p. 30) dans un Tuileur de 1813 :
Elle diffère de la précédente par l'inversion des Santés 5 et 6. Il faut cependant bien comprendre que ces textes ne constituent qu'une uniformisation, dans un esprit de jacobinisme centralisateur qui caractérise bien le Grand Orient de France, d'usages en tout état de cause déjà bien formalisés dans les Loges et souvent spécifiques. C'est ainsi qu'en 1782 déjà, on pouvait lire, à la p. 54 du Règlement de la Parfaite Union de Bastia, un ordonnancement précis pour 9 Santés :
Une chanson utilisant un protocole (un peu différent) en 9 Santés est visible ici, dans des éditions du XVIIIe et du XIXe. Par la suite, on est revenu à 5 Santés. |
Le chansonnier reflète cette ritualisation progressive.
C'est seulement vers la fin du siècle que les santés sont regroupées dans un cantique unique.
Jusqu'alors, de nombreuses chansons sont composées pour saluer musicalement telle ou telle santé. Celle du Vénérable est évidemment la plus souvent chansonnée. Mais l'habitude se prend aussi d'échanger de bons procédés entre Officiers, ce qui annonce certaines des Santés formelles, particulièrement celle des Surveillants.
La Lire maçonne - tout comme d'autres chansonniers - contient un certain nombre de telles chansons. On signalera particulièrement, dans la Lire, celles des pages 482, 484, et aussi la Parodie pour boire à la santé du Vénérable.
Il est intéressant d'étudier par exemple l'évolution de celle ci-dessous, dont l'incipit est Unissons-nous à cette Table.
Cette version est probablement la plus ancienne, puisqu'on la trouve déjà vers 1744 dans les Chansons Originaires des Francs-Maçons de Chapelle (pp. 53-4), avec le titre Chanson pour porter la santé du Grand Maître.
Il s'agit de 3 couplets qui n'ont pour objet que la santé du Vénérable.
Au XVIIIe, Grand Maître peut désigner aussi bien le Vénérable d'une Loge que, comme actuellement, le principal responsable d'une Obédience. Cela est d'ailleurs explicitement mentionné (p. 70) dans une divulgation de 1748, L'ANTI MACON ou LES MYSTERES DE LA MAçONNERIE Dévoilés par un profane :
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On remarque que, si les vers sont de 8 pieds, le 3e du premier couplet est le seul à en comporter 10.
Chanson
Pour porter la santé du Grand Maître.
Unissons-nous à cette
Table, |
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Eloigne-toi
sombre discorde
Ce
portrait est le digne éloge
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On trouve la même partition et le même texte (avec le même titre) à La Muse maçonne de Lussy en 1752 (pp. 29-30). Mais Lussy mentionne en note de bas de page que Cette Chanson dans son véritable principe a été faite pour célébrer la santé de Monsieur le BARON DE WASSENAER Grand-Maître de toutes les Loges de la Hollande, ce qui apparaît comme abusif puisque Van Wassenaer n'est devenu Grand Maître qu'en 1749 et que la version ci-dessus semble bien dater de 1744. Le fait que Lussy dédie très respectueusement son recueil audit Van Wassenaer serait-il une explication de cette anomalie ?
Au recueil de la Veuve Jolly (pp. 38-40), on trouve la même partition sous le même titre Chanson pour porter la santé du Grand Maître, mais, aux couplets 2 et 3, le vers 3 est également porté à 10 pieds :
texte
Chapelle vers 3-4
couplet 2
Nous ne consultons que ses loix couplet 3
Son exemple est notre leçon : |
texte
Jolly vers 3-4
couplet 2 Nos coeurs toujours
attentifs à sa voix, couplet 3 Ses sentiments sont nos
sages leçons, |
Mais la chanson est complétée par une réponse du Grand Maître qui nous semble inédite :
On trouve le même texte (à quelques variations près) aux pages 72 et 73 du Recueil de chansons pour la maçonnerie des hommes et des femmes (Recueil de Sophonople), avec le titre Couplets de Table pour porter la santé du grand Maître.
Ici aussi, c'est le 3e vers de chaque couplet, et pas seulement du premier, qui comporte 10 pieds, mais la modification de texte est différente de celle ci-dessus.
Le recueil indique comme air celui du Menuet des Francs-Maçons. Quel peut être cet air, que nous n'avons trouvé sous ce titre dans aucun chansonnier ? Celui du menuet (en néerlandais) de la p. 133 de la Lire ? C'est peu probable, car la métrique en est très différente. Serait-ce alors celui ci-dessous et ci-contre, qui, précisément sous ce titre, est utilisé par l'Attaignant (pp. 6-7) pour un Bouquet à Mme de V... Ma... au Tome III des Poésies de M. L'Abbé de L'Attaignant (1757) ? Mais ici aussi se pose un problème de métrique (les vers 2 et 4 sont de 5 pieds plutôt que de 8).
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Il semble en tout cas bien qu'un air ait été connu dans le monde profane sous le nom de Menuet des Francs-Maçons : on trouve par exemple à la p. 62 du Volume 3 des Chansons choisies avec les airs notés une chanson (de métrique semblable) renvoyant en fin de volume à l'air de ce titre (n° 14), reproduit ci-dessous et très voisin de celui de L'Attaignant ci-dessus :
3. Versions de la Lire maçonne
La chanson figure aussi, avec une partition très proche de celle de Chapelle mais un texte différent, aux pp. 476-7 de La Lire Maçonne.
C'est l'évolution du texte qui attire l'attention : si le premier couplet est (à part les 2 derniers vers, dont cependant la rime est maintenue) conservé, les 2 couplets suivants disparaissent pour faire place à une Réponse du Maître ainsi qu'à un Autre par le Frère de Vignoles et à un couplet pour la Santé des Surveillans & Officiers.
C'est l'édition de 1766 qui est reproduite ci-dessous ; elle porte le titre abrégé Chanson pour porter la Santé du Vén. M. &c.
Dans l'édition de 1787, le titre est devenu, sans abréviations, pour porter la santé du Vénérable Maître, &c. et, au 2e vers du 1er couplet, le Vénérable est remplacé par le Respectable. A part cela, le texte est le même, mais la partition a été regravée pour tenir sur une page.
Chose curieuse, dans l'édition intermédiaire, celle de 1775, le dernier couplet, Pour la Santé des Surveillans & Officiers, ne figure plus dans cette chanson, mais il a été déplacé à la p. 483. Il reviendra dans l'édition 1787, mais tout en restant à la p. 483, si bien que finalement il figure deux fois dans cette édition 1787 !
En outre, dans cette édition 1775, la chanson s'intitule cette fois Chanson pour porter la santé du Respectable, ou d'un Vénérable Maître (au 2e vers du 1er couplet, cette alternative est même explicitement mise en évidence : les deux mots sont l'un au-dessus de l'autre, avec une accolade). La partition est encore (avec de minimes différences) dans une gravure différente de l'antérieure et de la postérieure, mais reste sur 2 pages.
On remarquera aussi qu'ici tous les vers sont ramenés à 8 pieds (Qu'un Vivat trois fois répété remplace Qu'un rouge bord & trois fois répété).
Chanson
Pour porter la santé du Vén. M. &c.
Unissons-nous à cette
Table,
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Réponse du Maître Pour répondre à vos vœux
sinceres
AUTRE par le Frère de VIGNOLES Qui ne chérirait la
tendresse,
Pour la Santé des Surveillans & Officiers. Surveillans, Ancien Vénérable, |
Une parodie de cette chanson figure dans les recueils dits de Jérusalem. Le premier couplet y est, hormis les 2 premiers vers, très semblable, et la couplet Réponse du Maître presque identique.
C'est la version de la Lire qui sera reprise (pp. 403-4) au chansonnier de Holtrop, mais sans le troisième couplet (celui de Vignoles) et avec le titre A la santé du Vénérable et des Officiers. On le trouve aussi (p. 299) à la Muse de 1806, ainsi que (p. 74) à un autre chansonnier (Vrijmetselaars gezangen, chansons de francs-maçons) anonyme paru aux Pays-Bas et daté par Google (peut-être abusivement) de 1816.