Guignon 

En cliquant ici, vous entendrez un extrait du 3e mouvement (Allegro poco e grazioso) de sa sonate pour flûte en la, Op. 1, No. 8, interprétée par Barthold Kuijken (CD Flute Music, French and Italian 18th Century, Accent ACC30009)

Né à Turin sous le nom de Giovanni Pietro Ghignone, Jean-Pierre Guignon (1702-1774), instrumentiste (d'abord au violoncelle, ensuite au violon) et compositeur, débuta au Concert spirituel en 1725. En 1730 il fut engagé à la chapelle privée des princes de Savoie-Carignan

En 1733, il entra au service du roi, et le resta jusqu'à sa vétérance en 1762. Il enseigna à plusieurs des enfants royaux.

Après 1750, il ne se fit plus entendre en public mais seulement à la Cour et dans les salons.

Ses oeuvres comprennent plusieurs livres de sonates, duos et concertos, ainsi qu'un Te Deum. Sa Grande Simphonie à cors de chasse a été exécutée au Concert spirituel en 1748.

Dans son article Leclair et Guillemain virtuoses sur le site du Centre de musique baroque de Versailles, Edmond Lemaître évoque la rivalité entre Guignon et Leclair :

On sait que les deux hommes se querellèrent. Dans son fameux ouvrage L’école française de violon de Lully à Viotti, Lionnel de La Laurencie nous révèle l’enjeu de la dispute : « Aucun d’eux ne voulait s’abaisser à tenir l’emploi de deuxième violon. Ils convinrent alors de changer de place tous les mois, et Guignon, beau joueur, laissa Leclair commencer en occupant la première place ; mais lorsque le mois fut écoulé, et que celui-ci dut, en vertu de la convention consentie, passer au second rang, il préféra se retirer et abandonner sa fonction de musicien du Roi. »

Là, Guignon ou Leclair, par différentes traces,
Semblent lancer la foudre et font parler les Grâces
.

Mercure de France, 1er décembre 1734

D’Aquin admirait le jeu de Leclair pour le « sentiment et le tendre » tandis que le violoniste Guignon, Piémontais, se faisait apprécier pour « le surprenant et le feu ».

Edmond Lemaître (article cité)

Au chapitre III (pp. 71-97) de son ouvrage Les ducs sous l’acacia ou les premiers pas de la franc-maçonnerie française 1725-1743 (Libr. Vrin Paris 1964), Pierre Chevallier, se basant sur les registres de la Loge Coustos-Villeroy, le mentionne dans la liste des membres de cette Loge.

Il nous apprend aussi que c'est Guignon qui, le 14 février 1737, avait proposé le duc de Villeroy, qui fut reçu 3 jours plus tard pour en devenir aussitôt le Vénérable. Il faut noter qu'en 1737 Guignon dédia au duc de Villeroy, pour qui, selon le Wikipedia allemand, il avait joué à Lyon en 1736, ses 6 sonates pour 2 violoncelles op. 2)

On peut dès lors se demander pourquoi Alberto Basso écrit (p. 149) dans son ouvrage L'Invenzione della gioia, Musica e massoneria nell'età dei Lumi :

Guignon per la verità non era membro della Loggia "Coustos-Villeroy", mais di una qualche altra loggia parigina non ancora identificata (Guignon en réalité n'était pas membre de la Loge Coustos-Villeroy, mais d'une autre Loge parisienne non encore identifiée).

Nous n'avons pas trouvé d'indication ultérieure d'une activité maçonnique de sa part.

Citons enfin une lettre du 31 mars 1737 (publiée par Chevallier, op. cit., p. 218) d'Anfossi au marquis de Caumont : on est reçu parmi eux [les maçons] ou pour la naissance ou pour les talents. Ainsi M. le duc de Villeroy et Guignon en sont. Villeroy et Guignon sont donc considérés comme des paradigmes respectivement de l'aristocratie et du talent.

Roi des violons ?

Fétis affecte un ton quelque peu méprisant pour parler du titre de Roy et maître des ménétriers et joueurs d'instruments, dont Guignon avait obtenu, par faveur royale, et en même temps que la nationalité française, les patentes en 1741 (alors que ce titre était alors tombé en désuétude) :

Il se servit de son crédit pour faire revivre en sa faveur le titre et les droits de roi des violons et des ménétriers : ses lettres patentes lui furent expédiées, le 19 juin 1741. A peine en fut-il possesseur, qu'il fit des règlements pour contraindre les organistes et compositeurs de musique français à se faire recevoir membres de la confrérie des ménétriers, et à lui payer un droit de patente ; ceux-ci formèrent opposition aux prétentions de Guignon, le 19 août 1747, et bientôt après le procès s'engagea ... Une multitude de mémoires et de requêtes furent publiés de part et d'autre, jusqu'à l'arrêt du parlement qui intervint le 30 mai 1750, et débouta Guignon de ses prétentions. En 1773, Guignon abdiqua un titre sans prérogatives, et depuis lors il n'y a plus eu de roi des violons.

L'affaire est pourtant plus nuancée, et elle montre bien l'évolution dans la conception des privilèges de métier et notamment de l'accession au titre de maître, nécessaire à l'exercice rétribué du métier de musicien. 

Elle est racontée, avec plus de détails, mais dans des termes souvent semblables, par Bernard Bernhard dans ses Recherches sur l'histoire de la corporation des ménétriers ou joueurs d'instruments de la ville de Paris (Bibliothèque de l'école des chartes, Année 1844, Volume 5, Numéro 1, pp. 339-372, republié par Persée) et résumée par Pontécoulant dans son Essai sur la facture instrumentale (1857) :

A un grand talent Guignon joignait une âme noble et généreuse. Il aimait les jeunes artistes et donnait gratuitement ses conseils à ceux qui annonçaient de l’avenir. Occupant à la cour la place de premier violon de la chapelle et de maître de musique du dauphin, père de Louis XVI, il eut assez de crédit pour se faire nommer roi de la corporation, malgré les arrêts contraires, et le roi lui en octroya les provisions en 1741. La première chose qu’entreprit ce nouveau roi fut la restauration du corps à la tête duquel il se trouvait placé, et il promulgua, à cet effet, un nouveau règlement. Une assemblée générale des maîtres joueurs d’instruments et de danse de la ville de Paris et autres villes du royaume eut lieu dans la salle ordinaire de Saint-Julien, en 1747 ; on y rédigea des statuts en vingt-huit articles. Ils avaient pour objet de rétablir l’ancienne suprématie de la corporation et de son chef sur les associations des provinces ; de revendiquer, pour le corps, la maîtrise générale de tous les instruments d’approprier les conditions de la maîtrise musicale aux nouvelles exigences du temps ; enfin, de rétablir une bonne administration dans ce corps.

La question d’apprentissage et de la maîtrise, soit de danse, soit des instruments, était ainsi résolue : sentant qu’imposer la nécessité d’un apprentissage et le fixer à un certain nombre d’années était une chose qui n’était plus du siècle et dégradante pour les arts libéraux, Guignon décida que tous ceux qui seraient jugés capables d’être utiles au public par leur talent pourraient être admis à la maîtrise. A cet effet, tout aspirant, de Paris, à l’exception des vingt-quatre violons qui étaient maintenus dans le privilège d’être admis sans épreuves et en payant l’ancienne taxe de 50 livres, était tenu de faire expérience. La taxe de réception à la maîtrise de Paris était de 300 livres pour tout aspirant, non fils ou gendre de maître, dont 240 pour la communauté et 60 pour le roi ; pour un fils ou gendre de maître, 165 livres, dont 145 à la communauté et 20 au roi. La province était partagée en villes majeures et en villes non majeures. Dans les villes majeures, Aix, Alençon, Amiens, Arras, Besançon, Bordeaux, Bourges, Châlons-sur-Marne, Châlons-sur-Saône, Clermont, Dijon, Dunkerque, Grenoble, Laon, La Rochelle, Lille, Limoges, Lyon, Marseille, Metz, Montauban, Montpellier, Moulins, Nancy, Nantes, Orléans, Pau, Perpignan, Poitiers, Reims, Rennes, Riom, Rouen Sedan, Soissons, Strasbourg, Toulouse, Tours, Troyes et Valenciennes, le droit de maîtrise était, pour les aspirants, non fils on gendres de maîtres, outre les frais de réception, 50 livres, dont 20 revenaient à la communauté des ménétriers de Paris, 15 au roi des violons, et 15 à son lieutenant ou représentant. Dans les villes non majeures, les droits de maîtrise étaient de 25 livres, dont 5 à la communauté de Paris, 10 au roi, et 10 à son lieutenant.

En maintenant l’ancienne obligation de se faire admettre aux diverses espèces de maîtrises pour pouvoir exercer la profession d’instrumentiste, le nouveau chef toléra cependant l’existence de certains instrumentistes populaires qu’il eût été oppressif de priver de leur industrie. Mais pour que ces instrumentistes ne pussent enlever les profits des maîtres capables, Guignon, conformément aux usages, les réduisit au rôle purement populaire, et, à cet effet, il borna à l’usage exclusif du rebec ou violon à trois cordes les instrumentistes jouant du violon, et à l’usage de leurs instruments populaires ceux qui jouaient d’autres instruments agrestes.

Les maîtres pauvres ne furent point oubliés « Afin, dit le nouveau chef, d’attirer la bénédiction du ciel sur la communauté et remplir les pieuses intentions des anciens ménestriers fondateurs de la chapelle et hôpital de Saint-Julien, il sera préalablement réservé, sur le prix de chaque réception à la maîtrise, une somme qui sera distribuée aux maîtres pauvres hors d’état d’exercer, soit par vieillesse, soit par infirmités, ainsi qu’aux pauvres veuves de maîtres... »

Tel fut le règlement de Guignon, qui projetait de réorganiser son corps sur une échelle grandiose et d’une manière complète ; il rétablissait sa suprématie universelle ; rendait tributaires de ses lois les instrumentistes de toutes espèces ; relevait enfin l’honneur de la maîtrise menacé. Ce règlement, approuvé par le roi en 1747, fut loin d’obtenir force de loi. En inscrivant derechef, sur les rôles de la corporation, les organistes et les professeurs de clavecins, Guignon n’avait pas prévu la résistance que lui opposeraient tous les artistes sans distinction et notamment les compositeurs et professeurs d’instruments d’harmonie. A la première nouvelle du nouveau règlement, les organistes de la chapelle du roi, faisant profession d’enseigner le clavecin, au nombre de vingt et un, mirent, au greffe, opposition à son enregistrement, Guignon, en 1749 fit assigner les opposants au Parlement ; il sentait bien que sa prétention n’était guère soutenable ; aussi déclarait-il, avant le prononcé de l’arrêt, se désister à l’égard des organistes, compositeurs-professeurs de clavecin, sous-condition que ceux-ci ne s’immisceraient point dans l’enseignement d’autres instruments que l’orgue et le clavecin. Mais les organistes, compositeurs et professeurs, n’étaient pas gens à se contenter de si peu. Soutenus par l’opinion publique, ils voulurent l’affranchissement complet de l’art musical, et ils obtinrent gain de cause le 30 mai 1750. Cet arrêt étouffa, dans son germe, la réforme tentée par Guignon, et son règlement fut, de fait, anéanti ; la communauté subsista bien encore pendant vingt-six années, mais ce ne fut pour elle qu’une suite de déceptions.

Depuis le règne de Louis XV, à mesure que les charges des vingt-quatre violons de la grande bande étaient venues à vaquer, elles avaient cessé d’être attribuées à des ménétriers ; on les donna à des musiciens libres ; enfin, les charges elles-mêmes furent définitivement abolies par l’édit du mois d’août 1761. Le roi, supprimant les deux anciens corps de musique de la chambre et de la chapelle, les remplaça, ainsi que cela avait été antérieurement au règne de François 1er, par un corps unique, composé de musiciens libres, ne jouissant d’aucun privilège particulier.

La suppression des vingt-quatre violons fut suivie d’une nouvelle confirmation des privilèges accordés à l’Académie Royale de Musique, ce qui enleva à la corporation tout espoir, de pouvoir la soumettre à son règlement. Mais l’échec le plus grave, et qui fut comme le tombeau creusé à la corporation, fut celui qu’elle éprouva en 1773.

La communauté, conformément à ses derniers statuts, avait créé en province des charges de lieutenants du roi des violons. Ainsi Lelièvre était lieutenant à Saint-Quentin, Chauveau à Blois, Jouan à Vitry-le-Français, Pensieu à Soissons, Barbotin à Poitiers. Ce dernier, ancien laquais d’un avocat, dans l’antichambre duquel il avait appris à racler du violon, avait acquis de la communauté, par acte passé en 1762, pour le prix de 25,293 livres, une lieutenance générale qui comprenait près des deux tiers de la France. Ce Barbotin revendit un grand nombre de lieutenances particulières à une foule d’intrigants qui pressurèrent les ménétriers et qui mirent, malgré l’édit de 1750, tous les instruments, même les orgues et clavecins, à contribution ; de là, plainte en vexation par une foule de symphonistes. Ces réclamations, présentées et soutenues par les gentilshommes de la chambre, furent écoutées, et, en 1773, survint un arrêt annulant toutes les ventes et concessions faites par la communauté des charges de lieutenants généraux et particuliers.

L’arrêt de 1773 coupa court à la réforme projetée par Guignon, réforme déjà bien compromise par l’arrêt de 1750. Ce chef sentit qu’il lui était impossible de lutter davantage, et, après trente-deux années d’un règne fort agité, il abdiqua l’office de roi et maître des ménétriers, et en demanda la suppression définitive, suppression qui fut suivie, presque immédiatement, de celle de la corporation elle-même.

Le désintéressement de Guignon en cette affaire est en tout cas mis en évidence par Bernhard, qui signale qu'il ne voulut jamais toucher les droits qui lui étaient personnellement réservés par le dispositif qu'il avait fait instituer.

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