Un cantique sauvage

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C'est d'un exemplaire en assez mauvais état de ce document qu'un visiteur de ce site nous a communiqué des images, et nous espérons en avoir sur cette base correctement restauré l'aspect.

Il s'agit d'un feuillet d'un seul tenant comportant 4 pages numérotées, et qui date manifestement du XVIIIe.

Ce Cantique a toutes les allures d'un document antimaçonnique, en tout cas à première vue et si l'on s'en tient à ses deux premiers couplets. Mais c'est quelque peu arbitrairement que nous l'avons classé dans ce chapitre : un examen plus approfondi donne en effet à penser que ce n'est pas la maçonnerie qui est ici attaquée, mais une manière de la pratiquer, jugée exagérément pompeuse, formaliste et solennelle (le style apprêté mentionné au couplet 6). 

Manifestement, quelques joyeux drilles partageant ce point de vue furent les créateurs d'une Loge sauvage, en abomination réciproque avec la Loge officielle, et dont le nom seul indique qu'elle ne devait pas ambitionner la moindre reconnaissance obédientielle. On sait qu'il arrivait fréquemment, au XVIIIe, quand existait dans une ville une Loge de notables, qu'elle fasse des pieds et des mains pour contrarier tout projet de constitution, dans la même ville, d'une Loge plus populaire. Ce cantique refléterait-il une telle situation ?

Les bibus mentionnés au couplet 3 sont, selon le wiktionnaire, des choses frivoles, sans importance, sans valeur ou sans raison d’être.

La Lanterne à la main est la célèbre chanson de Fréron.

 

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Cantique 

A l'Honneur et A l'USAGE de La Loge

DES SAUVAGES

Naissante à l'Orient de Narbonne.

Sur l'Air : La Lanterne à la main.

FAnatiques Maçons,
Vos augustes foutaises,
Ne sont que des chansons,
Et de vaines fadaises.
Grâce aux loix de vos loges,
On sait que parmi vous,
Les plus dignes d'éloges,
Sont toujours les plus fous.

Lorsque pour célébrer
Vos prétendus mystères,
Vous courez vous coffrer
Dans vos sombres repaires.
Quelle erreur singulière !
Vous fuyez le grand jour,
Pour chercher la lumière,
Dans un obscur séjour.

Graces à vos Bibus
Notre voûte azurée
Dans quinze pieds au plus 
Se trouvant mesurée, 
Réduit notre hémisphère
A vingt pieds d'horison ; 
Et de son atmosphère,
Ne fait qu'une prison.

Maçons, qui parlez tant 
De la circonférence, 
D'Astres & d'Orient,
Voilà votre science.
Sur quelques vieilles toiles,
Un Barbouilleur hardi, 
Vous trace des étoiles, 
Qu'on voit en plein midi.

Loin des profanes yeux, 
Dans ces Temples augustes, 
Bravez des Envieux 
Les censures trop justes. 
Les cris de la discorde 
En éloignent la paix ; 
Et l'esprit de concorde 
Ne s’y montre jamais.

SALUT, FORCE, UNION
Prospérité, prudence,
Gloire, perfection,
Double, triple alliance ; 
Tous ces mots de rubrique 
Font le stile aprêté, 
Dont votre Art fantastique: 
Tire tant de vanité.

Suivez toujours ce train 
Pour faire vos Recruës : 
C'est le plus sûr chemin 
Pour amorcer des Gruës. 
Les propos ridicules, 
Et les mots fastueux, 
Chez les Ames crédules 
Sont toujours fructueux.

Chez l’Homme vicieux,
Une adresse perfide 
Cache un cœur odieux
Sous un masque timide ; 
Et celui qui se joue 
Des Loix & de l'honneur, 
Porte une ame de boue 
Sous un front imposteur.

Lorsque par un accord, 
Que la raison condamne, 
Vous insultez à tort
Tout honnête Profane : 
Dans ces accès de rage,
Vous portez mille coups 
A la Loge sauvage, 
Qui se moque de vous.

Dans tous vos Atteliers, 
Yvres de ce grimoire, 
Vous cueillez les lauriers 
D'un triomphe illusoire :
Vous commencez par croire 
Les Sauvages vaincus ; 
Et vous chantez victoire, 
Sans les avoir battus.

Tout n'est-il parmi vous 
Qu'emblème & que dévise ? 
Vous, Maçons, si jaloux 
De l’austère franchise : 
Ce captieux système, 
Ce langage emprunté, 
Ne vous laisse pas même 
Un air de vérité.

Pourquoi, le verre en main, 
(grace à votre grimoire) 
Une fois qu'il est plein, 
S’abstenir de le boire ?
Et faut-il qu'une amende 
Force d'honnêtes Gens 
A rire de commande, 
Ou de boire en trois tems.

Trop de sévérité 
Nuit à la discipline ; 
La franche honnêteté 
N'y voit que sa ruine. 
Pourquoi tant de contrainte 
Dans vos sombres manoirs ? 
N'est-ce donc que par crainte 
Qu’on s’y plie aux devoirs ?

O ! vous qui d'Abiram 
Suivez si bien les traces, 
Qui, pour pleurer Hiram, 
Faites tant de grimaces ; 
Venez chez les Sauvages 
Y recevoir gratis,
Quelques préceptes sages, 
Pour vivre plus unis,

Nous, qui pour moissonner
La gloire et les hommages,
Venons tous maçonner
Chez les Maçons sauvages ;
Croyons qu'en leurs boccages
Notre Art prospérera :
Car c'est sur leurs rivages
Que brille l'Acacia.

On peut voir ici que les Archives départementales de l'Aude détiennent, sous la cote 3 J 708, un exemplaire de cet imprimé paraphé par son auteur Rozier.

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