Les Rétractations de Félix Bovie
Cliquez ici (midi) ou ici (MP3) pour entendre cet air, séquencé par Christophe D.
Cette chanson qui figure dans un cahier autographe de Bovie porte sa signature et peut donc lui être attribuée avec certitude.
Nous n'en avons jusqu'ici pas trouvé de version imprimée - ce qui n'exclut pas qu'il puisse en exister.
Certainement destinée à être chantée à des Agapes ou Banquets, elle est un témoignage supplémentaire de l'anticléricalisme caractérisant les Loges belges après la condamnation épiscopale de 1837.
Bovie y fait mine de s'être laissé impressionner par la propagande catholique au point d'abjurer ses convictions et de se ranger dans le camp des croyants soumis défendant les positions politiques du parti catholique (notamment, cfr couplet 5, la dîme et la main morte ; en 1841, le parti libéral avait accusé le parti catholique d'envisager le rétablissement, au profit de l'Eglise, de ces privilèges d'Ancien Régime et cela avait provoqué une vive tension au Parlement ; voir, à la fin de la séance rapportée ici, une intervention de Verhaegen sur cette question : une chanson verviétoise de 1841 concerne le même thème).
Rétractation Air le premier pas 1. Quand on m’a dit que j’étais hérétique 2. Vrai St Thomas j’étais un incrédule 3. J’ai renié les frères de la loge |
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4. Pour mes couplets ne soyez pas sévères 5. Je voterai la dîme et la main morte ; 6. J’ai mis au feu le dernier exemplaire |
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7. Promettez-moi qu’à mon heure dernière (s) Félix Bovie |
Nous ne pouvons garantir la totale exactitude de la transcription.
Voir l'air du premier pas.
Un grand souci - dont témoigne ce couplet - des maçons de l'époque était de se protéger contre les intrusions du clergé tentant, sous la menace de leur refuser des funérailles religieuses et de faire jeter leur cadavre dans le trou aux chiens, de les récupérer à l'heure de leur agonie en les faisant renoncer à Satan, à ses pompes et à ses oeuvres ... maçonniques. C'est à une rétractation de ce genre que Bovie fait ici mine de se plier. Verhaegen, avant sa mort en 1862, s'était prémuni contre cela : il avait exprimé par testament sa volonté de refuser toutes funérailles religieuses et de n'avoir que des funérailles civiles - où de très nombreux maçons suivirent le corbillard parés de leurs décors maçonniques, au grand scandale de l'opinion catholique. A sa demande expresse, une garde rapprochée formée de membres de sa Loge Les Amis Philanthropes avait veillé sur lui pendant ses dernières heures, afin d'empêcher la famille de laisser un prêtre l'approcher pour profiter de sa faiblesse. On lira avec intérêt à ce sujet le chapitre La fin de sa vie à la page Wikipedia concernant Verhaegen. Quelques mois plus tard par contre, le bourgmestre (pour les Français : maire) de Bruxelles Fontainas, maçon notoire, fut enterré à l'église, ce qui provoqua des réactions triomphalistes dans les milieux catholiques et quelques remous dans les milieux maçonniques, où certains le soupçonnèrent d'avoir abjuré la maçonnerie pour obtenir cette faveur à sa famille. Cette interprétation nous semble cependant peu probable, puisque si cela avait été le cas l'Eglise n'aurait sans doute pas manqué de monter la chose en épingle. D'ailleurs, au cours des funérailles officielles de Fontainas, un discours, rendant hommage à ses qualités maçonniques, fut prononcé, en présence du clergé catholique, par le Frère Vanhumbeeck, Premier Surveillant de sa Loge : il est donc plus vraisemblable que l'Eglise, tenant compte de la notoriété du personnage, ait ici préféré adopter un profil bas. Lors de la cérémonie funèbre - purement maçonnique cette fois - organisée par sa Loge, l'Orateur de celle-ci fit d'ailleurs une allusion fort claire à cette question : Ici, mes Frères, je m'abstiens d'apprécier ce qui s'est passé à sa dernière heure ; loin de moi l'idée de me poser en inquisiteur de la conscience. En 1847, le Frère orateur eut l'occasion de dire hautement qu'un vrai maçon doit mourir comme il a vécu, c'est-à-dire en libre penseur et que loin de considérer une telle mort comme une honte, c'est un titre qu'il faut franchement revendiquer. Un Frère avait refusé le secours du clergé à son lit de mort, déclarant à son fils qu'il ne voulait pas d'intermédiaire entre le Grand Architecte de l'Univers et lui. Le Journal de Bruxelles avait publié que ce Frère s'était confessé à ses derniers moments et qu'en conséquence il avait par le fait abjuré la maçonnerie ; sur la proposition du Frère Fontainas, l'atelier décida de rectifier publiquement les inculpations de la feuille cléricale. Aussi malgré le triomphe de nos adversaires, malgré l'audace de leurs affirmations, j'ose affirmer à mon tour, sans crainte d'être démenti par ceux qui connaissaient intimement notre vénéré maître, j'ose affirmer que celui qui a été un type d'honnêteté, n'a jamais accompli aucune lâcheté à ses derniers moments ; j'ose affirmer que sa vie a été trop pure pour qu'il ait jamais pu faire alliance avec ceux qui combattent le libre examen ; j'ose affirmer qu'il a pratiqué la maçonnerie jusqu'au dernier jour, qu'il n'a point abjuré, mais qu'il lui est resté fidèle jusqu'au dernier souffle de son existence ... Détournons nos pensées des douleurs nombreuses qui assiégent souvent le lit de nos frères mourants ; rendons à notre Vénérable Maître l'hommage complet de notre reconnaissance et profitons de la leçon que nous donne cette mort pour nous pénétrer de la nécessité impérieuse de nous prémunir contre nos adversaires et préserver notre mémoire contre d'injustes accusations. Dans le Tracé de cette cérémonie, qu'elle a fait imprimer, la Loge a d'ailleurs mis les points sur les i en ajoutant en note : Pour prévenir toute fausse interprétation de ce passage du discours du Frère orateur, nous croyons devoir rappeler que la Franc-Maçonnerie a toujours professé la plus complète tolérance en toute matière et surtout en matière de religion et que les colères de la papauté ne l'ont pas fait dévier de ce principe. Quelque pratique d'une religion positive qu'un Frère juge convenable d'observer, il ne cesse pas d'être franc-maçon s'il reste fidèle au principe de la liberté d'examen et s'il répudie cet enseignement absurde que, hors de son Église, il n'est point de salut. |
Dans le chapitre Pratiques funéraires de l'ouvrage Bruxelles - les francs-maçons dans la cité (Marot-Tijdsbeeld, 2000), Jeffrey Tyssens examine cette problématique, dont il effectue une pénétrante analyse, écrivant notamment : S'il est clair que, bien des années après cette fameuse condamnation, la grande majorité des francs-maçons belges prenaient congé de l'existence terrestre avec l'absolution de tel ou tel curé, d'autres scénarios existaient aussi. Les ministres du culte pouvaient tout simplement refuser les derniers sacrements au franc-maçon non repentant et interdire des funérailles à l'église. Mais le franc-maçon pouvait tout aussi bien refuser ce support de sa propre initiative. Dans les deux cas, le cadre social et rituel de la mort et des funérailles était battu en brèche. Le cas bruxellois offre des exemples intéressants des deux possibilités. |
On lira aussi l'article du même Jeffrey Tyssens, Le maçon et la mort en Belgique au XIXe siècle, paru en 2018 dans le n° 85 de La chaîne d'union.
On lira encore sur le même sujet le chapitre la question des cimetières dans l'ouvrage Nouvelle histoire de Belgique de Michel Dumoulin et Els Witte.
Rappelons que le même grand et long débat sur la possibilité de funérailles civiles sans déshonneur a également agité la France ; citons en exemple, en 1899, le cas de ce républicain libre-penseur douaisien qui avait exprimé par testament sa volonté d'être enterré civilement et qui fut quand même enterré religieusement, le tribunal ayant donné raison à sa famille agissant en référé (source : l'ouvrage d'Allender & Rousseau, Les francs-maçons dans la Loge et la Cité Orient de Douai 1743-1946, p. 185).