Maçons mythologiques

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On ne s'attendrait vraiment pas à trouver une chanson maçonnique dans un livre scolaire, et c'est donc tout-à-fait par hasard que je suis tombé sur celle-ci, lors d'une recherche portant sur tout autre chose.

Le livre en question est celui-ci, témoignage de la francophonie en Louisiane : 

Alphabet 

ou 

méthode simple et facile 

de montrer promptemenT à lire aux enfants 
ainsi qu'aux étrangers 
qui veulent apprendre le français. 

Plus 

Principes de Grammaire Générale, appliqués à la
 Langue Française,

 Suivis de 

Plusieurs Exercices, propres à développer l'intelligence des élèves,
orner leur mémoire et former leur jugement.

par P. CHERBONNIER 

 Nouvelle-Orléans, 

De l'imprimerie de Buisson et Boimare.

1829.

Cet ouvrage commence par une Epître dédicatoire à la jeunesse louisianaise, à laquelle il s'adresse sous la suscription Braves petits Camarades.

Il se termine par une partie (pp. 303-358) intitulée Des différents genres de poésie, qui comprend (pp. 346-7) le chapitre De la chanson dont l'exemple est la chanson ci-dessous.

Cherbonnier 

Dans Les écrits de langue francaise en Louisiane au XIXe siècle d'Edward Larocque Tinker, on peut lire (p. 77) :

CHERBONNIER Pierre. L'annuaire de la Nouvelle-Orléans pour 1822 cite Pierre Cherbonnier comme courtier : nul indice de ce qu'il aohetait ou vendait. De 1823 à 1830, l'annuaire lui donne la profession de professeur. A. Dubourg et lui, cependant, avaient acheté en avril 1820 L'Amí des Lois et l'avaient revendu le 25 novembre de la même année.

Cherbonnier est aussi l'auteur en 1847 à Baltimore de l'ouvrage L'Americain français: or A new, plain and easy method of learning, in a very short time, to read fluently, pronounce correctly and write with accuracy every word of the French language.

D'autres sources, que nous n'avons pu vérifier, indiquent que, né à Saintes en 1781, il fut médecin dans la marine française et émigra en 1803 à Saint-Domingue.

On sait que la Loge l'Union désirée de Port-au-Prince (Saint-Domingue), fondée en 1764 et rallumée en 1797, se reconstitua en 1806 à la Nouvelle-Orléans. Cherbonnier, qui était vraisemblablement maçon, en aurait-il été membre ?

La chanson, si elle évoque des maçons opératifs mythologiques, n'est évidemment pas présentée comme maçonnique. Mais la manière dont elle évoque des profanes glosant sur nos mystères, mystères qui auront toujours des autels dans les deux hémisphères ressemble furieusement à un signe de reconnaissance ... destiné à qui peut le comprendre.

 
Mythologies

 

Trois personnages mythologiques sont considérés comme maçons par la chanson : Amphion, D[e]ucalion et Apollon.

les cailloux de Deucalion

Selon les Métamorphoses d'Ovide, les humains se sont montrés tellement criminels depuis leur création que Jupiter décide de les anéantir par le déluge. Seuls deux justes, Deucalion et Pyrrha, survivent après s'être réfugiés sur le mont Parnasse. Une fois les eaux retirées, selon cette page, ils consultent l'oracle du temple de Thémis pour savoir ce qu'il faut faire. La déesse leur demande de jeter derrière eux les os de leur grande mère. Indignés, ils refusent, mais Deucalion comprend finalement le sens des propos de la déesse : la terre est leur grande mère et les pierres sont ses os. Ils jettent donc des cailloux. Ceux lancés par Deucalion se transforment en hommes, ceux par Pyrrha en femmes.

Amphion

Quand Amphion, roi de Thèbes, fit construire des murailles autour de la cité, les pierres se mirent en place d'elles-mêmes au son de sa lyre (la gravure ci-contre remplace la lyre par un violon et les murailles par les bâtiments de la ville elle-même).

Apollon, maçon de Laomédon

Laomédon, roi de Troie, fit bâtir les murailles de la ville par Poséidon et par Apollon, alors exilés de l'Olympe (et il eut le grand tort de refuser de les payer). Ce thème est déjà abordé dans une chanson du début du siècle.

                                         

AIR : MON PERE ETAIT POT.

 

1er couplet.

 

Laissons de prophanes mortels,
Gloser sur nos mystères,
Toujours ils auront des autels
Dans les deux hémisphères.
Chantons Amphion,
Ce docte maçon,
Et sa verve féconde;
A peine il chanta
Que Thébe[s] exista,
Pour embellir le monde,

 

2eme. Couplet.

 

Croyons bien que Ducalion
Fut un maçon lui-même,
Car de cette profession
Ses cailloux sont l'emblême.
La planette en deuil
N'offrait qu'un cercueil,
Partout horreur profonde,
Dans cet abandon,
Il reste un maçon
Qui repeuple le monde.

 

3eme. Couplet.

 

Qui bâtit pour Laomédon
Cette cité puissante ?
Admirez du grand Appolon
La fabrique savante ;
C'est peu pour sa main,
Le maçon divin
Partout anime et fonde,
Donne à ses enfants,
L'esprit, les talents
Et la lumière au monde.

 

4eme. Couplet.

 

Chers amis, je pardonne au sort
Ses trop nombreux outrages ;
Ici je retrouve le port
Après tant de naufrages,
Oui ce fut envain,
Qu'un cruel destin
Me fit traverser l'onde ;
Je brave ses coups,
Je suis parmi vous.
                                Et je renais au monde.               (Le Clerc.)

Voir ici sur l'air.

Le dernier couplet pourrait être une allusion aux tribulations des réfugiés français de Saint-Domingue.

Cette chanson a fait aussi l'objet en 2017 d'une page du blog mvmm.

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