La cantate Amphion de Cherubini

Nous ne disposons pas encore de fichier midi pour cette partition, et serions particulièrement reconnaissant à qui pourrait en établir un.

En attendant, nous vous proposons (détails en bas de page) un extrait de l'Amphion d'Honegger, que vous pouvez entendre en cliquant ici

 

Selon la mythologie, quand Amphion, roi de Thèbes et fils d'Antiope et de Jupiter, fit construire des murailles autour de la cité, les pierres se mirent en place d'elles-mêmes au son de sa lyre : On dit même qu’Amphion, fondateur de la citadelle thébaine, remuait les pierres au son de la lyre, et, par sa prière harmonieuse, les menait où il voulait (Horace, Épîtres). Cette légende est évoquée en 1688 dans Niobe, Regina di Tebe d'Agostino Steffani.

Au début du XVIIIe, on trouve le personnage d'Amphion dans la troisième entrée (titrée la Musique) du ballet de Michel de la Barre le Triomphe des Arts (1700). Dans son Avertissement, le librettiste Houdar de la Motte écrit : 

Je n'ai presque rien changé à la fable d'Amphion, j'ai seulement rassemblé ce qu'on en publie ; les poètes disent qu'il éleva les murs de Thèbes au son de sa lyre, & les Mythologistes, qu'il rassembla les hommes jusqu'à lors dispersés dans les forêts, & qu'il les réunit sous les lois d'une société raisonnable.

Cette dernière idée, bien dans l'esprit des Lumières, ne pouvait que séduire les maçons de l'époque.

En 1737, dans son ballet héroïque "Le Triomphe de l'Harmonie", Jean-Jacques Lefranc de Pompignan - franc-maçon qui était pourtant très opposé au parti des philosophes et fut dès lors fort maltraité par Voltaire - fait également apparaître Amphion. Dans son ouvrage (Droz, 2002) Valeurs morales et religieuses sur la scène de l'Académie royale de musique (1669-1737), Jean-Noël Laurenti en écrit :

Lefranc de Pompignan reprend la légende d'Amphion en accentuant le thème du conflit entre les arts et la barbarie : alors que Thèbes est assiégée par des sauvages, le chant du héros non seulement relève ses murailles à demi ruinées, mais subjugue même la fureur des ennemis et les fait entrer dans le monde de la civilisation, qui est en même temps le monde de la paix universelle. 

ci-contre : détail d'un tableau (vers 1520) attribué à  Peruzzi

 

Amphyon Thébas Ego Domum 

[(avec sa voix) Amphion (a édifié) Thèbes, (avec la mienne) moi (j'ai édifié cette) maison] 

C'est ce que fit graver à l'entrée de son palais napolitain le célèbre et richissime castrat Caffarelli en 1754. L'anecdote est rapportée par Lalande en 1786 dans son Voyage en Italie.

Voilà qui atteste le fait qu'au XVIIIe la mémoire de la légende d'Amphion était bien vivace.

On raconte qu'en 1770 Léopold Mozart aurait montré cette inscription à son fils pour lui expliquer qu'il était possible de s'enrichir grâce à la musique.

Avec un lyrisme pompeux, Abraham évoque cette légende en 1801 dans l'introduction du Tome 2 de son Miroir de la Vérité :

Élevez-vous, colonnes majestueuses, portez vos brillans chapiteaux jusqu'aux cieux, soutenez la voûte azurée, et que votre airain émousse et brave la faulx du temps ; et vous, pierres cubiques, élevez-vous aussi aux accens harmonieux des enfans de la Veuve, comme autrefois les pierres sensibles aux accords parfaits d'Amphion, se rangeaient pour former les murs de Thèbes ; élevez-vous et pratiquez autour de tous les légitimes maçons une enceinte impénétrable au profâne vulgaire.

La Biblioteka Jagiellonska de l'Uniwersytet Jagielloński à Cracovie a eu l'extrême amabilité, dont nous la remercions chaleureusement, de nous communiquer (en nous en autorisant gracieusement l'usage sur ce site, vu le caractère non-commercial de celui-ci) les images d'un de ses trésors musicologiques : la cantate (qui n'a sans doute jamais été jouée) L'Alliance de la musique à la maçonnerie : Amphion élevant les murs de Thèbes au son de la lyre, composée en 1786 par Cherubini (dont c'était la première oeuvre en français) pour la Loge Olympique.

Ce manuscrit (non autographe) ne serait cependant qu'une ébauche, ou une copie partielle, d'une oeuvre plus développée (avec choeur à 4 voix et récitatifs), récemment éditée pour la première fois par Pietro Spada (qui désigne Mirabeau comme l'auteur du texte) et qui comprend, elle, une centaine de pages.

La partition d'origine polonaise (34 pages) est pour chant (en clé d'ut 3, pour baryton) et ensemble orchestral (flûtes, hautbois, cors de chasse, trompettes, violons, alto, bassons et basse). Comme elle est trop volumineuse pour être reproduite intégralement ici, nous en avons détaché les seules parties vocales (qui n'interviennent que dans les 8 dernières pages), que vous trouverez ci-dessous, après le texte correspondant.

Peuple vous n'avez point d'asiles
ou pasteurs indolents ou chasseurs vagabonds
vous vivez répandus sous des tentes mobiles
et quel champs vos mains inutiles
dédaignent de rendre féconds !

Je viens vous rassembler dans l'enceinte des villes
vous faire aimer d'heureux travaux 
rendre vos campagnes fertiles
et vous donner des arts, et des plaisirs nouveaux.

 

Le personnage d'Amphion est également évoqué au premier couplet de cette chanson de la Lire maçonne :

Truelle, qui m'enchante, 
Tu vaux, pour un Maçon,
Cette lire touchante,
La gloire d'Amphion

En Angleterre aussi ...

Une Ode à la Maçonnerie publiée en 1738 par John Bancks (et qui fut reprise dans de nombreux chansonniers anglophones) évoque (au 6e couplet) le fait que lorsqu'Amphion chanta, même les rocs rugueux reconnaissaient la musique :

As when AMPHION tun'd his Song,
Ev'n rugged Rocks the Musick knew;
Smooth'd into Form they glide along,
And to a THEBES the Desert grew.
So at the Sound of HIRAM'S Voice,
We rife, We join, and We rejoice.

De même que lorsqu'Amphion chanta, 
Même les rocs rugueux reconnaissaient la Musique ;
Adoucis une fois mis en forme, ils glissent 
Et vers une Thèbes le désert se déplaça : 
De même, au son de la voix d'Hiram, 
Nous nous levons, nous unissons et nous réjouissons.

Nous avons relevé l'existence de Loges ayant Amphion comme titre distinctif :

- il existe à la Grande Loge Nationale Française une Loge de ce nom, dont nous avons trouvé l'image de la médaille (ci-contre à gauche) sur le site de son fabricant, HB Médaille.

 - une Loge de la Grande Loge de France porte également ce nom (image à droite)

 

Amphion est aussi le titre d'un ballet-pastorale-héroïque en un acte de Laborde, sur un texte d'Antoine-Léonard Thomas, créé à Paris en 1767 à l'Académie royale de musique, et dont l'argument peut se résumer comme suit :

Antiope (personnage curieusement homonyme de la mère d'Amphion) a été choisie comme épouse par le chef des sauvages ; alors que la cérémonie, dont il est prévu qu'elle s'accompagne de sacrifices humains, se prépare, Antiope se désespère car d'une part elle abhorre ces moeurs, d'autre part elle est amoureuse d'Amphion, dont la musique l'a charmée. Celui-ci apparaît et fait tomber par son chant les fers des prisonniers promis au massacre. Sa musique élève une ville, subjugue les sauvages, et convainc leur chef de reconnaître son empire et ... de lui laisser Antiope.

Cette version, même si elle innove par rapport aux antérieures en introduisant une intrigue sentimentale avec Antiope, reste, comme en témoignent les deux extraits ci-dessous de ce livret, fidèle à leur thématique et à leur idéologie : les valeurs humanistes, représentées par Amphion qui fait figure de souverain éclairé, doivent faire le bonheur de l'Humanité. On notera d'ailleurs la parenté d'esprit entre le deuxième de ces extraits et le texte de la cantate de Cherubini.

Le texte de Thomas a été traduit en suédois par le poète Adlerbeth (le secrétaire du roi Gustave III) pour l'opéra-ballet Amphion (1778, Stockholm) du maçon Johann Gottlieb Naumann.

Amphion est encore, en 1801, un des personnages du ballet Les Créatures de Prométhée du chorégraphe Salvatore Viganò (1769-1821), sur une musique de Beethoven. Il vaut la peine de lire à ce sujet l'analyse de Laurent Marty pour ResMusica.com, dont nous extrayons les passages suivants :

Viganò avait conçu lui-même l’argument du ballet et le texte des affiches, qui donne d’intéressantes précisions sur sa conception du mythe :

     « Les philosophes de la Grèce, qui savaient de quoi ils parlaient, ont expliqué le sens de ce mythe. Ils dépeignent Prométhée comme un esprit fort qui, ayant trouvé les êtres humains de son temps dans un état d’ignorance, les élève par l’art et par la connaissance tout en leur donnant des principes de bonne conduite.
     Fidèle à cette source, le ballet présente deux statues qui vont s’animer et que le pouvoir de l’harmonie va rendre sensibles à toutes les passions de l’existence humaine.
     Prométhée les emmène au Parnasse pour être instruits par Apollon, dieu des arts, qui ordonne à Amphion, Arion et Orphée de leur enseigner la musique ...»

     Si le livret est aujourd’hui perdu, on a pu le reconstituer d’après diverses sources, articles, partitions annotées de la main du copiste et esquisses de Beethoven, ainsi que par une biographie de Viganò parue en 1838 :

     Prométhée ... rejoint deux statues d’argile qu’il a modelées et leur donne vie. Mais ses créatures semblent privées d’intelligence et refusent de lui obéir, si bien que, de dépit, il songe un instant à les détruire. Au matin, il a l’idée de leur montrer des fruits et des fleurs; sensibles à cette beauté naturelle, les créatures acceptent enfin de suivre Prométhée jusqu’au Parnasse où il demande à Apollon de les instruire et de leur accorder raison et sentiments. Apollon invite alors Euterpe et Amphion ... à jouer. Au son de la harpe, les créatures s’éveillent à la sensibilité et se découvrent homme et femme.

Signe des temps peut-être, si Amphion joue ici, comme au siècle précédent, le rôle d'un éveilleur, c'est plutôt à la sensibilité qu'à la raison ...

En 1811, Méhul écrivait lui aussi un Amphion (rebaptisé Les Amazones ou La Fondation de Thèbes).

CD Timpani 1C1035 - Chœur et Orchestre Philharmonique de Timisoara, dirigés par Jean-François Antonioli

Amphion sera également en 1929 un mélodrame d'Arthur Honegger sur un texte de Paul Valéry, comprenant un choeur des Muses en forme de fugue (forme qui, comme chez Mozart dans l'ouverture de la Flûte Enchantée, évoque parfaitement la construction) intitulé la construction de Thèbes (cliquez ici pour en entendre le début, extrait du CD ci-contre) :

Et l'inerte matière et les brutes charmées
Seront captives de la Lyre !

Que ma Lyre enfante mon Temple,
Et que le roc s'ébranle au nom du Nom Divin.

Tire-moi du chaos ces ruines des monts.

NB : sur cette oeuvre, voir les très intéressants commentaires d' Anne Gourio aux pp. 94 à 103 de son ouvrage Chants de pierre ( ELLUG, 2005)

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