Religion universelle :

Devenez tous maçons

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Ce cantique, intitulé Religion Universelle et désigné comme imitation de la Sainte-Alliance (de Béranger), figure (pp. 107-110) au recueil Chansons par Alfred André, dédiées à M. P.-J. de Béranger, publié à Douai en 1842.

Il développe un thème qu'on trouvait déjà dans le chansonnier du XVIIIe : Ah ! comme la Terre serait heureuse si elle n'était peuplée que de maçons !

 

Une curiosité

On notera la quasi-identité des 10 premiers mots du cantique, De longs éclairs ont sillonné la nue, La foudre éclate, avec ce passage de la célèbre traduction de l'Enéide de Virgile par Deguerle, publiée en 1825 :

(on peut voir ici le texte latin Namque improviso fulgor vibratus ab æthere venit cum sonitu).

Coïncidence surprenante ... ou réminiscence d'études classiques ?

Voir ici sur l'air de la Sainte-Alliance de Béranger.

Les 3 premiers couplets, avec quelques légères modifications de forme mais attribués à André, figurent également (colonnes 212-213) à l'Univers maçonnique en 1835 sous le titre La maçonnerie universelle et ensuite au recueil d'Orcel (pp. 135-136) sous le titre La maçonnerie universelle, ou Devenez tous maçons.
       



          

Cantique

 

 

Religion Universelle

 

 

Imitation de la Sainte-Alliance (de Béranger.)

 

 

 

De longs éclairs ont sillonné la nue,
La foudre éclate, et, des cieux entr'ouverts,
Une harmonie aux mortels inconnue
Semble de l'Ange annoncer les concerts. -
La lyre d'or qui dans ses mains scintille,
D'une voix douce accompagne les sons :
« Mortels, formez une grande famille ;
« Devenez tous maçons. »

 

 

La main du Temps, sur son front qu'elle ride,
Avait empreint la trace des malheurs ;
Même on eût cru, sous leur paupière humide,
Voir ses beaux yeux qui roulaient quelques pleurs.
« Ah ! disait-il, que désormais tranquille,
» Le monde entier s'instruise à mes leçons ;
» Mortels, formez une grande famille,
» Devenez tous maçons. »

 

 

« Au Créateur pour rendre un digne hommage,
» D'une âme libre apportez le tribut : 
» Dieu créa l'homme, et, pour un noble usage,
» Lui décerna son plus bel attribut !
» La Liberté, du ciel auguste fille,
» Révèle un Dieu que tous nous bénissons ;
» Mortels, formez une grande famille,
» Devenez tous maçons. »

 

 

« De Charles Neuf, Philippe et Louis Onze (*)
» Les temps affreux reculent devant nous :
» L'humanité fera taire le bronze
» Qui des tyrans servit trop le courroux.
» La Rose naît partout où la Croix brille,
» Unissez-les par d'heureux écussons ;
» Mortels, formez une grande famille,
» Devenez tous maçons. »

 

 

« La vieille Europe en vain soumit les ondes,
» Un peuple vierge a secoué ses fers.
» Mais, quel lien réunit les deux mondes ?
» Quel est leur Dieu ? le Dieu de l'Univers !
» Dans vos guérets où glane la mandille (1),
» Seul, il jaunit l'or mouvant des moissons ;
» Mortels, formez une grande famille,
» Devenez tous maçons. »

 

 

« De vos vertus recevez la couronne ;
» Dieu sur la terre abaisse ses regards,
» Tout va changer ; oui, sous sa voix qui tonne,
» Je vois crouler fers, cachots et remparts.
» L'homme, entouré d'une simple charmille,
» Vit étranger aux haines, aux soupçons ; (2)
» Mortels, formez une grande famille,
» Devenez tous maçons ! »

 

 

L'Ange, à ces mots, vers la voûte éternelle
Reprend son vol et de loin nous sourit.
Molay n'est plus, mais sa cendre immortelle
Féconde un sol où l'acacia fleurit. (3)
Le feu sacré dans tous les yeux pétille,
L'autel s'élève, et l'écho des chansons
Redit : « Formez une grande famille
» Devenez tous maçons. »

(*) La note correspondante (qui ressemble à un règlement de compte d'André avec la Royauté) se trouve en fin d'ouvrage (pp. 226-7) :

Charles Neuf, à l'âge de 22 ans, ordonna les massacres de la Saint-Barthélémy où périrent égorgés, dans Paris seul, 10.000 protestants. - Le jeune Roi de France y prit une horrible part d'action. « Le Roi, s'oubliant lui-méme, dit un Historien naïf, tirait sur ses propres sujets avec une longue arquebuse, par une fenêtre qui donnait sur la rivière, et criait qu'on n'en laissât échapper aucun. »

Les massacres durèrent sept jours. - Le continuateur de son nom, Charles X, n'ensanglanta Paris que pendant trois jours. - Il y a progrès.

Philippe IV, dit Philippe-le-Bel, prince ambitieux, dissimulé, vindicatif, persécuta et brûla les Templiers. Tout le monde connaît la fin héroïque de Jacques Molay, grand maître de l'ordre : debout sur le bûcher qui s’allumait, n'ayant plus que la langue de libre : « Philippe, s'écria-t-il, je t'ajourne dans l'année au tribunal de Dieu. »

Le Roi mourût effectivement dans ce délai, ainsi que le pape Clément V, le complice de ses cruautés.

Louis Onze, surnommé le Néron de la France. Il fut accusé d'avoir empoisonné son frère et son père. « Il fit périr, dit Mezerai, plus de quatre mille personnes par divers supplices, la plupart sans forme de procès. Les unes noyées, une pierre au cou, les autres précipitées en passant sur une bascule. » C'était pourtant, au dire de l'historien Comines, le meilleur des princes du temps. - Quelle idée cela donne des autres ! 

(1) mandille : Vêtement d'extérieur symbolisant la pauvreté - Veste portée autrefois par les laquais et les personnes de basse condition.

(2) comme une référence au mythe rousseauiste du bon sauvage.

(3) référence au soi-disant héritage templier de la maçonnerie.

 

Religion universelle

L'évocation d'une religion universelle est un thème très fréquent dans la littérature maçonnique des XVIIIe et XIXe siècles.

On lira avec intérêt à ce propos l'article de Tomasz Szymański intitulé « Chaque esprit est maçon » : l’art royal et l’idée de religion universelle dans la littérature française du XIXe siècle. Citons-en cet extrait :

... l’une des idées-clefs de la maçonnerie spéculative moderne est celle de la « religion sur laquelle tout le monde est d’accord », mentionnée dans les Constitutions d’Anderson. L’idée d’une religion universelle transcendant les religions positives, qu’il s’agisse d’une religion naturelle, d’une nouvelle religion appelée à supplanter le christianisme, ou qu’elle renvoie à une révélation primitive, connaît bien des variantes au XIXe siècle, et les influences maçonniques ne manquent pas dans leur formulation et leur développement.

Malgré son titre, le cantique d'André ne semble cependant pas relever de cette tradition philosophique.

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