Cantique de Chastaing

Le Rameau d'or d'Eleusis publié par Marconis de Nègre en 1861 contient (p. 106) ce pompeux cantique maçonnique, chanté avec l'accompagnement d'une musique céleste, suave harmonie que rêva Pythagore ; il est inséré dans un récit de l'Egypte ancienne, intitulé Une Loge à la bienveillance et censé avoir été narré par le 1er Surveillant au cours d'un Banquet :

Temple silencieux, témoin de nos mystères,
Toi qui dans ce grand jour brilles de tant d'attraits ;
Colonnes d'union, où le beau nom de frère
Vit en ineffaçables traits,
Nous venons de nos coeurs déposer les prémices,
En payant au mérite un sincère tribut ;
Proclamer les vertus et combattre les vices,
Des Maçons est le noble but.

  Une Loge à la bienveillance

Une Loge à la bienveillance est un rocambolesque conte ésotérique (pp. 105-8) qui fait référence à une mythique Egypte ancienne où l'antique maçonnerie (figurant évidemment la maçonnerie égyptienne de Marconis) de Ménès (i. e. le premier pharaon, fondateur de Memphis) survit, grâce à la protection de Jéhovah, aux cultes nouveaux ayant renoncé aux anciens mystères pour s'oublier dans une joie mondaine (ce sont bien entendu les autres obédiences qui sont ainsi visées).

Ce texte figure également, dans une version un peu plus longue, aux pp. 128-130 du Soleil mystique du même Marconis, sous le titre Un temple à Ménès.

Marconis signale que l'auteur en est le Frère M. Chastaing. Il s'agit certainement du célèbre journaliste social et républicain lyonnais Marius Chastaing (1800-1870).

Chastaing (dont nous n'avons pas trouvé d'autre trace d'activité maçonnique) fut membre de la Loge lyonnaise de la Bienveillance (constituée en 1835 au rite de Misraïm). Cette Loge ne survécut pas longtemps, après avoir en 1837 été en conflit avec une Loge rivale. Elle avait une Loge d'Adoption, dénommée les Prêtresses d'Isis.

Dans un article (sévère quant au misraïmisme) de Juge, sont élogieusement commentées trois oeuvres maçonniques de Chastaing, dont (1838) Astrée, discours maçonnique sur la justice, et (1836) Logos, discours à un nouvel initié, qui est en partie une paraphrase de la règle de Wilhelmsbad. 

Dans le Rameau d'or, Marconis reproduit de Chastaing, outre le conte ci-dessus, Astrée (pp. 108-112) ainsi que (pp. 92-4), un discours sur la maçonnerie (qui figure également au Soleil mystique, p. 130).

La prétendue antériorité (et supériorité), évoquée par Chastaing, des rites égyptiens sur les autres rites maçonniques se base sur de délirantes légendes telles que celles exposées par Marconis dans l'Histoire abrégée de la maçonnerie qu'il publie (pp. 1-11) dans le Sanctuaire de Memphis en 1849 et dont voici quelques extraits :

(p. 3) Quant à l'initiation égyptienne, sa renommée a parcouru le monde de l'antiquité et le monde moderne : toutes les initiations furent ses filles...

(p. 5) Mais de qui les Templiers avaient-ils reçu l’ensemble de la science maçonnique ? Des Frères d'Orient, dont le fondateur était un sage d'Egypte du nom d'Ormus, converti au christianisme par saint Marc. Ormus purifia la doctrine des Egyptiens, selon les préceptes du christianisme. Vers le même temps, les Esséniens et autres Juifs fondèrent une école de science Salomonique, qui se réunit à Ormus. Les disciples d'Ormus, jusqu'en 1118, restèrent seuls dépositaires de l'ancienne sagesse égyptienne, purifiée par le christianisme et la science Salomonique. Cette doctrine, ils la communiquèrent aux Templiers : ils étaient alors connus sous le nom dé Chevaliers de la Palestine ou Frères Rose Croix d'Orient c'est eux que le Rit de Memphis reconnait pour fondateurs immédiats.
En 1150, quatre-vingt-un d'entre eux arrivèrent en Suède, sous la conduite de Garimont, et se présentèrent à l’archevêque d'Upsal, qui reçut d'eux le dépôt des connaissances maçonniques. Ce furent ces quatre-vingt-un maçons qui établirent la maçonnerie en Europe.
Après la mort de Jacques Molay, des Templiers Écossais, devenus apostats à l'instigation du roi Robert-Bruce, se rangèrent sous les bannières d'un nouvel ordre institué par ce prince, et dans lequel les réceptions furent basées sur celles de l’Ordre du Temple. C'est là qu’il faut chercher l'origine de la Maçonnerie écossaise, et même celle des autres rits maçonniques. Les Templiers écossais furent excommuniés, en 1324, par Harminius. 
Cette date concorde avec celle qui est donnée par le F. Chereau, de la séparation des Maçons d’Édimbourg d'avec ceux de Memphis, opérée en 1322, c'est-à-dire deux ans auparavant.
Les derniers restèrent fidèles aux antiques traditions ; les autres fondèrent un nouveau rit, sous le nom d'Hérédon de Kilwinning ou d’Écosse.
Voilà donc, dès la fin du 14e siècle, deux rits existants : le Rit de Memphis ou d'Orient, et le Rit Écossais. L'un et l'autre continuèrent à se faire des partisans dans toutes les parties de l'Europe.

Retour au sommaire du Rameau d'or d'Eleusis :

Retour au sommaire du Chansonnier :