Le Maçon à l'Ouvrage

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Ces pages sont les pp. 337 et 338 de La Lire Maçonne

Cette chanson est reprise, avec le même texte, le même titre et la même référence d'air, dans le chansonnier de Holtrop (pages 362-3) ainsi que, la même année, dans la Muse maçonne (p. 200).

Nous ne l'avons pas encore trouvée dans d'autres chansonniers du XVIIIe, ce qui semble indiquer que son aire de dispersion n'a, à l'époque, pas dépassé les Pays-Bas.

L'air est réutilisé par une chanson qui apparaît dans l'édition de 1787.

LE MAÇON à L'OUVRAGE

 

Sur le Vaudeville du Maréchal Ferrant.

 

J'entends frapper à l'Orient,
L'Echo repond à l'Occident ;
Le Vénérable nous appelle,
Sur les ténèbres de ces lieux,
Je vois briller l'éclat des Cieux.
Que notre ardeur se renouvelle :

 

 Tot tot tot, travaillons,
Tot tot tot, bon courage,
Il faut avoir coeur à l'Ouvrage.

 

 

 

 

L'Amitié presente à nos coeurs
Des fers sans poids, des noeuds de fleurs ;
L'allegresse nous environne, 
Livrons-nous aux Sages desirs,
Nos coeurs ont besoin des plaisirs,
Et quand l'innocence les donne
Tot tot tot, &c. bis.

Dans cette Loge où l'équité,
Triomphe avec la charité,
Quel heureux destin nous rassemble !
Unissons nos coeurs & nos voix,
Pour célébrer nos douces loix ;
Avec transport chantons ensemble
Tot tot tot, &c. bis. 

Une récupération au XIXe

Le premier et le troisième couplets seront - moyennant une légère modification du refrain - réutilisés (p. 163) dans le Rameau d'or d'Eleusis publié par Marconis de Nègre en 1861, qui attribue (abusivement donc) ce texte au Frère Demion par une note de bas de page.

Il le présente comme un chant pour la Glorification du Travail, qu'il insère dans la cérémonie du 2e Grade (à laquelle il consacre ses pp. 139-170), dans une phase (pp. 162 ss.) consacrée à cette glorification, phase au cours de laquelle le nouvel initié est successivement conduit auprès :

lesquels lui font chacun un petit discours rimé, avant que des voix mélodieuses chantent ces vers (reproduits ci-dessous) et que de pompeux sermons moraux soient prononcés successivement par l'Orateur et le Premier Surveillant.


   

Sauf erreur de notre part, c'est seulement au XIXe siècle, au moment où il devient à la mode, en maçonnerie, de multiplier les discours moralisants et de parler des symboles plutôt que de laisser parler les symboles, qu'apparaissent en France les verbeux développements des rituels du 2e grade sur des thèmes (figurés par des cartouches) tels que les 5 sens, les arts libéraux (NB : au début du siècle, ces 2 sujets faisaient encore partie de l'instruction du 1er degré), les ordres d'architecture, les sciences, les deux sphères (terrestre et céleste), les bienfaiteurs de l'humanité et in fine, à l'occasion du 5e voyage, la glorification du travail.

Ces innovations rituéliques qui se multiplient au cours du XIXe manifestent en général un ésotérisme de pacotille, sur fond de religiosité de substitution.

Le très verbeux rituel proposé par Marconis est un exemple paradigmatique d'un tel blabla moralisateur, logomachique et encyclopédique, dont l'extrait ci-dessous, celui relatif aux cinq sens, est aussi digne de Monsieur Prud'homme que de Monsieur Homais :

D. Pourquoi cinq la composent-ils [la Loge] ?

R. Parce que l'homme est doué de cinq sens, dont trois sont essentiellement nécessaires aux Maçons, savoir : la vue, pour voir le signe ; l'ouïe, pour entendre la parole ; le toucher, pour apprécier l'attouchement ; au propre, ils représentent les cinq lumières de la Loge.

D. Croyez-vous qu'il soit possible de former et perfectionner ses sens par les seuls moyens que nous donne la nature.

R. Oui ; chacun de nos sens est susceptible du plus haut degré de perfection, et en cherchant les moyens de perfectionner les sens, nous trouvons les moyens de perfectionner l'homme ; en voici la preuve :

L'organe du tact ou du toucher est le principe de la sensibilité physique, résultat de l'organisation de l'homme ; ce sens se perfectionne par l'usage que l'homme en fait, par l'attention sur la nature des impressions qu'il reçoit des êtres sensibles.

Le sens du goût se perfectionne par l'usage des aliments les plus simples, et par l'habitude de les prendre et de les trouver bons, tels que la nature nous les présente.

Le sens de l'odorat peut acquérir dans l'homme toute la perfection de celui de certains animaux qui, en cela, sont nos maîtres, ainsi que les sauvages ; l'homme qui vivrait comme eux, dans l'état le plus près de la nature, aurait l'odorat le plus parfait.

Le sens de l'ouïe se perfectionne par l'attention de l'oreille à distinguer l'harmonie des sons naturels ou artificiels. Pythagore, l'un des initiés de Memphis, croyait entendre l'harmonie des éléments ; et les sons mélodieux de la lyre d'Orphée, attendrissant les tigres et civilisant les hommes, l'observation de la nature et l'art divin de la musique, peuvent seuls opérer ce perfectionnement.

Le sens de la vue se perfectionne comme tous les autres sens, par le bon usage que l'homme en fait : fixer ses regards sur le ciel, sur cette immense voûte où la nature étale avec le plus de profusion sa magnificence ; nulle part elle ne dévoile des effets plus magnifiques et des beautés plus imposantes ; faire usage de la vue pour reconnaître la véritable beauté et la reconnaître, c'est avoir la vue parfaite.

Un rituel REAA de 1829 était encore plus prolixe, puisqu'il consacrait pas moins de 4 pages à un court (!) examen de ces cinq facultés précieuses. En voici, à titre d'échantillon, le chapitre intitulé l'odorat et le goût :

Inépuisable dans sa prévoyante bonté, le Grand Architecte a voulu donner à la créature un attrait irrésistible pour les actes nécessaires à sa conservation. Il a formé le goût pour exciter l’appétit et l’odorat pour faire le choix des aliments, dont l’être animé a besoin pour entretenir la vie; et comme ces deux sens agissent, dans ce cas, toujours ensemble, il en a rendu les organes presque inséparables. L’odorat, plus exquis que son compagnon, procure aussi des sensations indépendantes du goût. Les houppes nerveuses de cet organe savourent les parfums que répandent autour d’elles les fleurs, qui ont déjà réjoui la vue; les jouissances que procure l’odorat sont si délicates, que l’homme n’a rien trouvé de plus agréable à offrir à la Divinité que l”odeur des parfums.

Le goût, qui paraît exclusivement destiné à diriger le choix des aliments, bien que moins délicat, n’en est pas moins précieux, puisqu’il tend à la conservation de la vie ; car, sans le goût, sans les appétits qu’il excite, les aliments seraient sans saveur, l’action de manger serait sans agrément et deviendrait une tâche pénible, qui pourrait être négligée pour une inaction funeste qui, bientôt, désorganiserait l’être.

Ainsi, le Grand Architecte a daigné attacher à toutes les fonctions de nos sens un plaisir, une jouissance, une volupté, afin qu’aucun être ne puisse manquer à sa destination.

S'il est moins long en ce qui concerne les 5 sens, le rituel proposé par Ragon en 1860 n'échappe pas non plus au ridicule, par exemple dans l'affirmation que le mot Loge vient du mot sanscrit loga, qui signifie le monde, ou dans les deux pages qu'il croit bon de consacrer à un cours sur l'électricité, qui est l'unique cause de l'attraction et de la gravitation, qui fait monter la sève dans les arbres et circuler le sang dans nos veines et qui a, sous le souffle de Dieu, produit les mondes.

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