Les Santés maçonniques

Cliquez ici (midi) ou ici (mp3) pour entendre l'air, séquencé par Alain la Cagouille

Cette chanson, signée par lui-même, figure aux pp. 163-5 du recueil d'Orcel.

Il s'agit d'une nouvelle forme du traditionnel Cantique des Santés, conformément à des usages bien établis, avec les sept Santés traditionnelles (alors que cependant, en 1839, le Grand Orient en était revenu à cinq Santés).

Le chansonnier d'Orcel date de la fin du second Empire, moment où, en majorité, les maçons français avaient abandonné, malgré sa relative libéralisation, tout enthousiasme pour ce régime. 

Et le texte du premier couplet donne bien l'impression que la première Santé, au chef de l'Etat (qui n'est même ni nommé, ni désigné par son titre d'Empereur : c’est la fonction de chef de l'Etat, plutôt que la personne ou le titre, qu'il convient d'honorer), n'est tirée que parce qu’il n’y a pas moyen d’échapper à cette incontournable obligation (d’ailleurs, la police impériale veille, et s'abstenir de la respecter pourrait aboutir à s’attirer de gros ennuis avec le Grand Orient) et qu'il faut bien se plier à l'immémorial usage antique.

D’ailleurs, n’est-ce pas une espèce de pied de nez que d’avoir écrit ce texte sur un air de Béranger dont le titre est J’ai pris goût à la République ?

La priorité donnée, sur la personne, à la fonction ou même aux Institutions en général, sinon au pays lui-même, s'exprime par exemple dans L'Arche Sainte ou le Guide du franc-maçon (Lyon 1851), où l'on peut lire (p. 206) :

La première [Santé] est celle du chef de l'Etat. Cette dénomination a été diversement interprétée par les hommes politiques, suivant leur opinion. Le Frère Berville, grand-maître-adjoint de l'ordre, l'a portée, le jour de la Saint-Jean d'hiver 1850 : A l'Assemblée Nationale, premier pouvoir de la nation. Des loges portent cette santé : A la Nation elle-même, etc.

En 1849, sous l'influence de l'esprit démocratique qui avait inspiré la révolution de 1848 et provoqué la création de la Grande Loge Nationale, avaient été tenus des propos encore plus déterminés. On lit par exemple au recueil du Tome 12 (année 1849) de la Revue maçonnique éditée à Lyon, dans un article (pp. 14-16) intitulé Des toasts en banquets maçonniques :

Les statuts de l'ordre ont depuis longtemps consacré un usage contraire aux principes et aux mœurs maçonniques ; ils ont ordonné aux loges de porter dans leurs banquets un toast au chef du pouvoir. En vertu de cette loi, les maçons ont été obligés de faire tour à tour des vœux pour Napoléon-le-Grand, Louis XVIII, Charles X, Louis-Philippe, le gouvernement provisoire, et c'est maintenant le tour de Louis-Napoléon. Encenser tour à tour des hommes que la roue de la fortune a portés au faite du pouvoir et que demain elle emportera en exil ; faire des vœux pour leur prospérité et leur gloire, sauf à renouveler dans quelques jours ces souhaits en faveur de ceux qui les auront remplacés, n'est-ce pas jouer un rôle indigne de la maçonnerie ? Parce qu'un pouvoir la tolère, doit-elle être obligée de lui rendre des actions de grâces ?

Un honorable et intelligent adepte, le Frère Pernot, de Besançon,a fait récemment sentir la criante anomalie des toasts politiques en maçonnerie. Au banquet de la fête de sa loge, en janvier dernier, après avoir fait, suivant l'usage, charger les armes pour la première santé d'obligation, il s'est exprimé en ces termes:
« … comme nous n'avons pas pour habitude d'être courtisans et flatteurs, ne serait-il pas convenable de porter une santé qui, je pense, ne trouvera pas de contradicteurs parmi vous? Cette santé serait celle de la France, c'est-à-dire de tous les citoyens, à quelque condition qu'ils appartinssent. » …

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