Marseillaises compagnonniques
Cliquez ici pour entendre l'air (si par hasard vous ne le connaissez pas !)
La Marseillaise, qui a donné lieu à tant de pastiches maçonniques, ne pouvait évidemment manquer d'inspirer également les Compagnons.
Nous avons identifié quatre de ces Marseillaises compagnonniques.
1. Dans l'élan de la Révolution, 1848 fut l'année de la réconciliation historique des sociétés compagnonniques (entre lesquelles les dissensions étaient féroces et pouvaient se traduire par des rixes mortelles) : le 20 mars eut lieu à Paris une grande manifestation de réconciliation, et le lendemain plus de dix mille Compagnons de tous corps défilèrent en chantant la Marseillaise des compagnons de tous les devoirs réunis écrite par Dénat (dit La Franchise-de-Castelnaudary), l'organisateur de ce défilé.
Il arrive que les grands événements historiques éveillent un sentiment d'union nationale poussant à la cohésion et au dépassement - provisoire ou même parfois définitif - de différends hérités du passé. C'est ainsi que la réconciliation à partir de 1809, en Angleterre, des Ancients et des Moderns, ayant abouti à la fondation en 1813 de la GLUA, fut sans doute favorisée et accélérée par la nécessité de la solidarité nationale contre Napoléon et le blocus continental. Il faut rappeler de même qu'après la guerre 1940-45, un projet d'unification entre le Grand Orient et la Grande Loge de France, soutenu semble-t-il par la majorité de leurs membres, fut développé et n'échoua (selon Corneloup - qui est ici juge et partie) que suite au veto du Suprême Conseil chapeautant la Grande Loge. Selon Cynthia M. Truant dans son article Rites, compagnonnages et politique en 1848 (paru dans la revue en ligne Socio-anthropologie, 4-1998) :
Les Obédiences maçonniques ont-elles suivi ce bon exemple ? On sait que, même si elles n'étaient pas aussi sanglantes, leurs dissensions étaient également profondes. Quelques Frères prirent donc une initiative dans ce sens. Comme l'écrit Rebold dans son Histoire des trois Grandes Loges de francs-maçons en France :
Un manifeste (p. 508) fut donc publié pour faire appel à la prompte création d'un nouveau pouvoir, qui, sous le titre de Grande Loge nationale de France, consacrerait les vrais et éternels principes de la maçonnerie. En voici quelques extraits :
Le manifeste détaillait ensuite 10 principes qui devaient servir de base à cette organisation nouvelle, parmi lesquels nous relevons :
Il se terminait pas ce vibrant appel :
On sait ce qu'il advint de ce séduisant projet : mal géré par ses promoteurs (comme le reconnaît lui-même - pp. 569 à 572 - Rebold, qui était l'un d'entre eux), il fut consciencieusement torpillé par le Grand Orient (lequel avait - cfr. p. 214 - concurremment tenté d'organiser une assemblée nationale maçonnique de la France tout entière, sans distinction de rites ou d'obédiences) et le Suprême Conseil qui, pour une fois d'accord, arrivèrent à le faire interdire par le pouvoir politique. Il vaut la peine de lire, sur cette question, le péremptoire avis, aux pp. 175-490 de ses Études historiques et philosophiques sur la franc-maçonnerie ancienne et moderne (1854), de Boubée, particulièrement vexé que les innovateurs ne se soient pas occupés du rite égyptien, et qui qualifie leur projet d'Utopie (aurait-il oublié que la maçonnerie elle-même est une utopie ?) |
Voici le texte de cette Marseillaise des compagnons de tous les devoirs réunis, qu'on trouve ici dans les Chansons compagnonniques du Citoyen Dénat ; il exprime fort bien cette volonté d'union :
Allons enfants des coteries,
Réunissons-nous sans retard,
Pour nous plus de catégories,
Marchons sous un même étendard ; (bis)
Enfants, oublions la discorde,
Eteignons son fatal flambeau,
Après l'avoir mise au tombeau,
Que partout en frère on s'aborde.
REFRAIN
Unissons nos devoirs, et de tout coeur signons
La paix, l'amour (bis) entre les Compagnons.
Nous avons franchi la barrière,
Où la sainte Fraternité
Nous montrait de loin sa bannière
Dans les mains de la Liberté. (bis)
Si quelqu'un voulait par faiblesse
Refuser d'être notre ami,
Attendons qu'il soit affermi
Et guidons-le par la sagesse.
On nous vit devant les profanes
Donner le spectacle odieux
De Compagnons armés de cannes
S'entre-tuant en furieux ; (bis)
Désormais à toute la terre,
Des mêmes instruments munis,
On nous verra, frères unis,
Prêcher la paix et non la guerre.
Travaillons tous à la bonne oeuvre
Consacrons-y tous nos pouvoirs ;
Serait-il un plus beau chef-d'oeuvre
Que de réunir nos devoirs. (bis)
Quand sur le noble tour de France,
Deux Compagnons se toperont,
La même gourde ils videront
A l'honneur de notre alliance.
Sublime exemple pour le monde !
Quel noble amour nous enseignons !
Sainte Union, source féconde !
Honneur, honneur aux Compagnons! (bis]
Enfants de tous compagnonages,
Pratiquons la Fraternité,
Crions : Vive l'Égalité !
C'est là le ralliement des sages.
2. Le même recueil donne aussi le texte (d'Albe Bernard dit Albigeois le Bien-Aimé) de cette Marseillaise de l'Union Ouvrière (qu'on trouve également ici), datant également de 1848
Unissons-nous, citoyens frères,
Car notre sort est malheureux ;
Approchez, classes ouvrières,
Avec un coeur franc, généreux (bis)
Car l'étendard humanitaire
Doit être arboré désormais
Et sur lui jurons à jamais
Une amitié ferme et sincère.
REFRAIN
A l'oeuvre, mes amis, formons cette union
Et propageons dans l'Univers
L'Association.
Nos bras ne sont-ils pas, mes frères,
Dignes d'avoir un meilleur sort ?
Tant de malheureux prolétaires
Dans le travail trouvent la mort. (bis)
Nous créons tout par l'industrie,
A la sueur de notre front,
Aussi pour venger cet affront,
La voix de la liberté crie : (Refrain)
Sous le joug de la tyrannie,
Des monstres nous avilissaient.
Liberté, liberté chérie,
Tes enfants flétris gémissaient, (bis)
Quand par ton cri de délivrance,
Ta voix de stentor réveilla
L'ouvrier dont l'arme scintilla
Aux yeux des despotes de France.
Ouvriers, héros des barricades,
Notre chef, c'est la liberté !
Appuyons-nous, mais sans bravades,
Sur l'équitable égalité, (bis)
De la trinitaire devise,
La Fraternité tend les bras :
Livrons-nous y jusqu'au trépas,
Tel l'ont dit le Christ et Moïse.
Au gouvernement provisoire,
Admirons ces réformateurs ;
Point d'idées sur eux illusoires ;
Ces équitables novateurs, (bis)
De l'ouvrier, de l'indigence,
Ils sont l'indispensable appui ;
Que notre sang coule aujourd'hui
S'il le faut pour eux et la France.
A leur exemple soyons frères,
Rompons toute rivalité ;
Que sur nos diverses bannières
Soit écrit le mot unité. (bis)
Que tout talent, toute industrie,
Devoir, attribut, fondation,
Soit confondu dans l'union
Faite en l'honneur de la Patrie.
Que le travail soit notre égide,
Notre devoir, l'humanité ;
Que la sagesse à l'oeil rigide
Surveille partout l'équité ; (bis)
Que le niveau sans arrogance
Soit notre puissant étendard,
Livrons-nous chacun à notre art
Et faisons-les fleurir en France.
3. Julie Hyvert mentionne dans son ouvrage sur la chanson compagnonnique une Marseillaise compagnonnique (vers 1897) du Compagnon Henry la Réjouissance le Bourguignon, dont voici le premier couplet :
Compagnons, sur le Tour de France
Enseignons la fraternité !
Le travail, les arts, la science,
La concorde et la charité. (bis)
Aux aspirants, sages et fidèles,
Du Savoir montrons les splendeurs,
Et sur la route du bonheur
Excitons leur courage et leur zèle.
4. Sur l'air de la Marseillaise et sous le titre chanson progressive compagnonnique, on trouve à l'ouvrage (1876) Progrès compagnonniques de A. Gaboriau fils, dit l'Espérance de Saintonge (pp. 108-9) la chanson ci-dessous.
Le premier vers fait sans doute allusion à la grande réconciliation de 1848 mentionnée plus haut.
Compagnons, ennemis naguère,
Un heureux jour est arrivé,
On n'entend dans la France entière
Que le cri de l'égalité. (bis.)
Sans avoir prôné nos mystères,
Sans avoir trahi nos serments,
Nous voyons arriver le temps
Qu'avaient préparé nos lumières.
A l'oeuvre, mes amis, plus de dissensions ;
Marchons, marchons, que le progrès soit chez les compagnons.
Quoi nous aurons encore en France
Nos semblables comme ennemis,
Quand dans nos temples l'ignorance
Disparaît, nous sommes unis. (bis.)
Plus de méchants, plus de parjures,
Répandons toujours nos bienfaits,
Les jaloux ne pourront jamais
Combattre nos vertus les plus pures.
A l'oeuvre ...
Puissance du compagnonnage,
Lève-toi, nous sommes vainqueurs.
Nous ne demandons en partage
Que l'estime des travailleurs. (bis.)
Que tout malheureux sans ressource,
Vienne chez nous ; l'humanité
Nous oblige à la charité,
De suite nous ouvrons notre bourse.
A l'oeuvre ...
Pour être admis dans nos mystères
Il faut rejeter les abus.
Vous trouverez chez nous des frères
Pratiquant toutes les vertus. (bis.)
Plus de jaloux et que l'abîme
Disparaisse de nos travaux,
Soyons toujours les libéraux,
Car d'être despote c'est un crime.
A l'oeuvre ...
Voyez nos fêtes fraternelles,
L'accord y règne en souverain ;
Et quand le devoir nous appelle
Nous secourons notre prochain. (bis.)
Comme aujourd'hui à cette table,
Le compagnon, le verre en main,
Sera toujours le bout-en-train,
Comme il est aussi charitable.
A l'oeuvre ...
Compagnonnage et toi patrie,
Voyez en nous vos Défenseurs,
Chez nous l'égalité chérie
Existe pour tous travailleurs. (bis.)
Sur la surface de la France,
Les compagnons sont répandus
Pour y détruire les abus :
Ce que veut votre ami l'Espérance.
A l'oeuvre, mes amis, plus de dissensions,
Marchons, marchons, que le progrès soit chez les compagnons.