Le pape et les francs-maçons

 

Nous avons trouvé cette impertinente chanson aux pp. 159-162 du recueil Loisirs lyriques de Robert-Dutertre, publié en 1866.

Le texte est bien dans la ligne d'autres de la même époque, consécutifs à la condamnation papale de 1865 qui avait provoqué des réactions diverses, allant de l'indignation à - comme c'est le cas ici - la moquerie. Le ton rappelle quelque peu celui d'une chanson belge des mêmes années. 

Le style des injures prêtées au pape annonce celui des incroyables imaginations - auxquelles un autre pape, Léon XIII, se ridiculisera en leur prêtant une foi aveugle - de Léo Taxil.

Dutertre

François-Marie Robert-Dutertre (1815-1898), grand libre-penseur et anticlérical, était aussi maçon. Dans leur Histoire de la franc-maçonnerie en France, Ricker et Faucher mentionnent (p. 320) que : 

... en juillet [1868], un incident éclate dans la Mayenne à l'occasion des obsèques civiles du Frère Godeheult. Le Frère Robert Dutertre, prenant la parole au cimetière, profite de l'occasion pour répondre publiquement aux attaques de l'évêque Wicart contre la Franc-Maçonnerie. Et il fait imprimer son allocution, sous le titre La Mort d'un homme de bien. L'évêque réplique en faisant lire un mandement dans toutes les églises du département, mais l'incident ne déborde pas le cadre du département, le Grand Orient refusant de diffuser aux Loges des autres régions la brochure du Frère Robert Dutertre ...

et ils signalent aussi (p. 328) que ... dans la Mayenne, le 15 janvier 1871, l'évêque Wicart, qui ne désarme pas, met en cause le Frère Robert Dutertre dans une lettre pastorale ...

Après avoir édité en 1864 un opuscule contenant 3 chansons (dont deux seront recopiées en 1865 dans le recueil du Mans), il publie en 1866 le recueil Loisirs lyriques, poésies, romances, chants, chansons et chansonnettes dont est tirée la présente chanson, et qui contient aussi (pp. 124-7) le chant Les libres penseurs, dont le refrain donne le ton :

Libres penseurs, apôtres des lumières,
Sur le chemin de l’avenir
Marchons ! marchons ! déployons nos bannières,
Et le vieux monde va finir.

Robert-le-Diable est un opéra de Meyerbeer (1831) qui connut un succès triomphal. A la scène 2 du 3e acte, on entend une Valse infernale provenant de l’entrée des caveaux de l'enfer : le choeur chante

Noirs démons, fantômes,
Oublions les cieux ;
Des sombres royaumes
Célébrons les jeux.

Le choix de cet air (dont on trouvera également une utilisation ici dans le même esprit) n'est évidemment pas dû au hasard ...

En voici une interprétation historique et une plus récente (2000) :

       

   
 

    
 


 

 

LE PAPE ET LES FRANCS-MAÇONS

 

(BALLADE)

 

Air : De la valse de Robert-le-Diable.

 

Pour rôtir vos âmes,
Affreux francs-maçons,
Je vous livre aux flammes
D’éternels tisons.

 

Le globe fourmille
Des hideux enfants
De votre famille,
Partout triomphants.

 

Vos forfaits sans nombre,
Vos plaisirs sans frein,
Se passent dans l’ombre
D’un noir souterrain.

 

Et là, dans cet antre, 
Rond comme une tour, 
Le diable est au centre, 
Et vous tout autour.

 

Assis sur les cornes 
De ce diable en feu, 
Sans fin et sans bornes 
Vous offensez Dieu.

 

Vos lèvres, rougies 
D’un fol élixir, 
Au sein des orgies 
Cherchent le plaisir.

 

Comme à des satrapes, 
A vos joyeux cris, 
En ouvrant des trappes, 
Viennent des houris.

 

La ronde infernale 
S’élance et bondit, 
C’est la bacchanale 
Du vieux temps maudit.

 

Dans la sarabande, 
Princes, généraux, 
Dansent dans la bande 
Comme des pierrots.

 

Ainsi, quand je prie 
Dans le Vatican, 
La maçonnerie 
Danse le cancan.

 

Oui, je me consume 
En de vains efforts, 
Et, je le présume, 
Ils sont les plus forts.

 

Mais il reste une arme 
Dans mon arsenal, 
Pour mettre au vacarme 
Un terme final.

 

Amorçons la poudre, 
Tirons dans le tas, 
Tant pis si la foudre 
Touche aux potentats.

 

Il dit et s’empresse, 
Tire sans retard, 
Mais le dieu se blesse 
Avec son pétard.

 

Et toujours la troupe
Des joyeux maçons,
La nuit monte en croupe
  Sur ses noirs démons.

Une réédition en 1875

La Muse républicaine a été un recueil, de poèmes et chansons principalement, qui a paru annuellement dans les années initiales de la Troisième République.

On trouve sur Gallica les éditions de 1875, 1877, 1878, 1879 et 1880-1.

Comme le nom le donne à penser, il était progressiste, ce qui explique sa sympathie pour la maçonnerie, sympathie qi'il affiche en se présentant, dans ses publicités, comme revue de poèmes, satires, chansons patriotiques et franc-maçonniques. Son directeur, Amaury-Louis Boué de Villiers (1834-1883 ?), accompagne d'ailleurs parfois sa signature de la triponctuation maçonnique.

On trouve par exemple, en tête de l'édition 1877, un discours présenté le 7 juin 1876 par Boué à sa Loge ébroïcienne la Sincérité de l'Eure. Y figure aussi (p. 219-20) une fable intitulée LA ROUTINE, LE PROGRÈS ET LA RAISON (le titre indique la couleur ! le poème se termine d'ailleurs par une flèche contre Rome et les jésuites), dédicacée à Boué par Auguste Hazard, Rose-Croix (RC avec triponctuation).

Dans le recueil 1875, aux pp. 179-181, on retrouve (sous la signature Robert Dutertre et avec seulement quelques changements dans la ponctuation) le texte ci-dessus, mais sans indication d'air (alors même que la table des matières le range dans les chants et chansons), et plus explicitement sous-titré Ballade maçonnique au lieu de Ballade.

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