L'excommunication
Cliquez ici pour entendre le début de cette chanson, dans l'interprétation de Bernard Muracciole (qui a lui-même composé l'air) à son livre-CD-DVD Airs et Hymnes maçonniques
Notre source pour cette page n'est autre ... qu'une perle de la littérature anti-maçonnique, le cocasse ouvrage (1867) Les Francs-Maçons et les sociétés secrètes d'Alexandre de Saint-Albin (source d'une autre page de ce site). A sa p. 436, il donne en effet, en en mentionnant l'auteur, le frère Pierre Lachambeaudie, cette chanson comme un odieux exemple du fait que la Franc-Maçonnerie, s'exaltant dans son orgueil et son impiété, se glorifie de la condamnation nouvelle qui la frappe et chante sur le mode infernal la malédiction que vient de prononcer sur elle le Père universel des hommes.
Le texte est repris (mais sans nom d'auteur) en 1886 par Léo Taxil à la p. 306 des Soeurs maçonnes.
Quelques années plus tard, un thème très similaire allait être traité en Belgique au dernier couplet d'une chanson de Karl Grün.
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La Rose du Parfait Silence, fondée en 1813 à Paris (elle n'est pas à confondre avec la Loge mancelle du même nom), a fait preuve d'une esprit très progressiste et elle fut en 1866 une des premières adhérentes à la Ligue de l’Enseignement. Ange Prumier en fut membre. Elle initia en 1861 Eliphas Lévi, qui, estimant que ses théories fumeuses n'y étaient pas prises suffisamment au sérieux, n'y fit pas long feu. ci-contre à droite : bijou de la Loge ; à gauche : médaille de son chapitre. |
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Les Francs-maçons excommuniés
A LEURS DAMES.
Ah ! je me sens pousser des cornes !
En vérité, je vous le dis,
A sa douceur mettant des bornes,
Le Saint-Père nous a maudits.
Mes Sœurs, fuyez, fuyez, fuyez,
Nous sommes excommuniés.
On nous expulse de l'Eglise :
De nos erreurs voilà les fruits.
Que Loyola (1) nous exorcise,
Ou pour toujours nous sommes cuits.
Mes Sœurs, priez, priez, priez ;
Nous sommes excommuniés.
La vérité, sainte victime,
Craindrait-elle encore Escobard (2)
Serpent, souviens-toi de la lime (3);
Pape, ta foudre est un pétard.
Mes Sœurs, riez, riez, riez :
Nous sommes excommuniés.
Que voulons-nous ? Voir sur la terre
La liberté, l'égalité ;
Voir régner, au lieu de la guerre,
La paix et la fraternité.
Mes Sœurs, criez, criez, criez :
Vivent les excommuniés !
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(1) Quand il s'agit de s'en prendre au cléricalisme, la cible préférée des maçons, qu'ils soient français ou belges, est toujours la Compagnie des jésuites, comme le montre dans cette chanson la mention du fondateur Loyola et, plus loin, d'Escobar. ci-contre : dans la ligne de Bode (un des Illuminés de Bavière), Nicolas de Bonneville ambitionna de fédérer les Loges en vue d’en faire l’outil des Lumières radicales pour la promotion des idées les plus extrêmes et contre ... les jésuites, que, dans un livre assez délirant (les Jésuites chassés de la Franc-maçonnerie et leur poignard brisé par les maçons), il accuse de vouloir prendre le contrôle de la maçonnerie. Dans quelques pages (208-211) de son Cours philosophique et interprétatif des initiations anciennes et modernes, Ragon surenchérit encore sur Bonneville, d'une manière tout aussi délirante. Dans son mémoire sur la franc-maçonnerie qu'on peut lire à la fin (pp. 47-70) du livre sixième du Tome 3 des Mémoires biographiques littéraires et politiques de Mirabeau écrits par lui-même, par son père, son oncle et son fils adoptif, Mirabeau (qui lui-même, comme on peut le voir ici, s'était laissé séduire par les thèses de Bonneville) avait écrit :
(2) Antonio de Escobar y Mendoza (1589-1669 ; portrait ci-contre) était un jésuite espagnol, écrivain moraliste et prédicateur de renom. Au Larousse, c'est un nom commun : escobar, n. m. vx., péjor. Personnage hypocrite qui use d'arguments de casuiste pour parvenir à ses fins. Le Dictionnaire de L'Académie française donne les définitions suivantes pour une escobarderie : dans la 6e édition (1832-5), Subterfuge, faux-fuyant, mensonge adroit, et, dans la 8e (1932-5), Subterfuge, action ou parole équivoque, simulation ou dissimulation adroite destinée à tromper sans mentir précisément. Dans un discours commentant le conflit entre les institutions écossaises et le Grand Orient, Louis Rétif de La Bretonne accuse en 1841 ce dernier de faire de l'escobarderie de ce que vous appelez l'unité fraternelle. |
(3) sans doute une allusion au thème de La Fontaine, illustré sur une autre page de ce site.
Réactions
Les réactions à cette excommunication ont été diverses : des maçons croyants s'en sont sentis profondément blessés (voir par exemple une autre chanson de ce site, nettement moins virulente), cependant que d'autres, plus libérés, ont, comme notre auteur, préféré en rire.
Boubée, lui, se contenta de dire : Regardons si cette Eglise dont on nous chasse est celle des apôtres primitifs.
On lira aussi avec amusement le poème adressé en 1865 aux francs-maçons excommuniés par le Frère R. D., de l'Orient de Laval, qui commence par les vers suivants : Frères, votre âme étant du démon possédée, |
Et, pour l'anecdote, notons qu'en 1866 (source : Chevalier) la Loge parisienne Saint-Pierre des Vrais Amis supprima de ses planches de convocation l'image de Saint Pierre, puisque la propagation de l'image d'un apôtre reniant son maître nous a toujours paru peu en rapport avec nos serments (un bruit - probablement sans fondement, mais auquel les débuts très libéraux du pontificat de Pie IX avaient donné quelque crédibilité - courait alors dans les Loges, selon lequel ce pape avait été lui-même membre de la maçonnerie).
En 1865, Pie IX, auteur l'année précédente du fameux Syllabus condamnant les monstrueuses erreurs modernes (telles que socialisme, communisme, laïcisme, naturalisme et libéralisme), et se sentant menacé par les efforts de la maçonnerie italienne pour mettre fin à son pouvoir temporel, avait rallumé la guerre déclarée au XVIIIe siècle par ses prédécesseurs contre les francs-maçons en condamnant dans une allocution leurs sociétés, qu'il allait qualifier en 1873 de synagogue de Satan (qualificatif repris par Mgr Meurin - encore un jésuite - comme titre de son livre en 1893 : ce titre significatif peut être considéré comme un signe avant-coureur de la dénonciation du mythique complot judéo-maçonnique). Pour illustrer son propos, Saint-Albin recopie d'ailleurs dans son livre (pp. 502-5) ladite allocution. Nous en reproduisons ici quelques extraits particulièrement significatifs ; on remarquera en particulier la charge contre le principe - pourtant bien évangélique (Rendez à César ...) - de la séparation de l'Eglise et de l'Etat. ALLOCUTION
prononcée EN CONSISTOIRE SECRET
LE 25 SEPTEMBRE 1865
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Au siècle précédent, les excommunications fulminées contre les maçons avaient été accueillies en France avec la même ironie mais plus d'indifférence, puisque, n'ayant pas été soumises à l'approbation du Parlement de Paris, elles y étaient juridiquement inopérantes.