La leçon maçonnique

Cliquez ici pour entendre (mp3) la partition de la Clé du Caveau pour Ce mouchoir, belle Raimonde

 

Cette saynète figure aux pp. 42-3 de la Collection de cantiques de la Paix Immortelle pour nous rappeler que la saine gaieté qui doit présider aux banquets maçonniques ne peut dépasser certaines limites et qu'il faut éviter de glisser vers toute forme d'indécence ou de gauloiserie.

Elle serait sans doute de peu d'intérêt si nous n'avions pas découvert que son usage était à l'époque traditionnellement répandu en tant que leçon de décence (et d'obéissance !) intervenant systématiquement dans le cadre de la formation des nouveaux Apprentis.

A quelque distance dans le temps - sans doute plus de 15 ans - et dans l'espace -  pas moins de 80 kilomètres -, nous l'avons en effet retrouvée (mais sans son dernier couplet) dans le chapitre Un banquet maçonnique à Dreux en 1826 du (très antimaçonnique) ouvrage (1964) de Charles Maillier Les loges maçonniques drouaises du XVIIIe au XXe siècle, introduite, dans le récit de ce banquet, par le commentaire suivant :

C'est alors [ndlr : après la troisième santé] que le Frère Bouvyer, vénérable d'honneur, fit observer que deux apprentis étant à ce banquet pour la première fois depuis leur initiation il y aurait lieu de chanter pour eux : la leçon maçonnique.

Le texte du couplet contesté (le premier) remonterait au XVIIe siècle selon cette page. On le trouve d'ailleurs par exemple ici en 1806, ici (dans la Lyre gaillarde) en 1783 et ici (chez Collé) en 1765, ce qui donne à penser qu'il devait à l'époque être considéré comme une sorte de paradigme de la chanson gaillarde - ou paillarde.

LA LEÇON MAÇONNIQUE.

 

Un Frère obtient la parole, et chante sur l’air : Et vogue la galère.

Ma maîtresse est volage ;
Mon rival est heureux :
S'il a son pucelage,
C'est qu'elle en avait deux.
Et vogue la galère,
Tant qu'elle, tant qu'elle, 
Et vogue la galère, 
Tant qu'elle pourra voguer.

 

A la fin du couplet un Frère demande la parole au Vénérable, et après l’avoir obtenue, il chante sur l'air : Ce mouchoir, belle Raimonde.

Ecoutez moi, Vénérable ;
N’est-il pas d’un mauvais ton
De chanter à notre table
Une indécente chanson ?
Manquer ainsi de prudence 
C'est manquer à la raison ;
Il nous faut de la décence
Pour être chez nous Maçon.

 

Ici le Vénérable adresse le couplet suivant au premier chanteur, sur l'air de Raimonde.

Si l’on vous rappelle à l’ordre,
C’est que vous le méritez :
Causer ainsi du désordre !
A nos Frères vous manquez.
Je vous engage à vous taire
Si vous ne changez de ton
Obéissez-moi mon Frère
C’est la vertu d’un Maçon.

 

Le premier chanteur prend la parole, et dit sur l’air de Raimonde.

Votre leçon, Vénérable,
Se grave au fond de mon cœur ;
Je désire être excusable,
Je reconnais mon erreur.
De ma trop grande imprudence
Je demande le pardon :
L’humilité, l’espérance,
Rassurent un bon Maçon.

Prévenir les dérapages

Nous nous permettons la gaîté
Soumise aux lois de la décence.

(Comte de Gouy, Orateur, lors de l'inauguration de la Candeur en 1775)

De la simple nature
Un Maçon suit la voix ;
L'Amitié la plus pure
Le soumet à ses loix.
Une aimable décence
Préside à ses loisirs;
Et jamais la licence
N'infecte ses plaisirs.

(Qualités du maçon, in la Lire maçonne)

La décence orne nos banquets,
Le bon ordre n'y fut jamais 
Troublé par une orgie.

(Le secret des francs-maçons, in l'Univers maçonnique)

Le souci de prévenir toute possibilité de dérapage transformant le banquet maçonnique en ribote profane se manifeste régulièrement à l'époque.

Un exemple (déjà cité ici) est l'article 19-XVIII du règlement de la Paix Immortelle, qui prévoit que Les chansons profanes sont interdites et que avant que des chansons soient chantées, elles seront communiquées au Frère Orateur, qui en fera part à voix basse au Vénérable, lequel accordera la parole pour les chanter ou les refuser.

Dans l'article 111 des Statuts particuliers de la Loge Isis-Montyon en 1839, on lit aussi que Le Maître des banquets et ses adjoints ... veillent ... à ce que personne ne sorte des bornes de la décence et de la tempérance ; ils ramènent par des avis fraternels ceux qui commenceraient à s'en écarter, ou à engager une querelle. S'il y avait persistance, ils avertiraient le Surveillant sur la colonne duquel l'abus aurait lieu. Si celui-ci ne pouvait le faire cesser, il en référerait au Vénérable, qui, suivant le cas, et sans que le débat pût être prolongé, ferait au délinquant une réprimande plus ou moins sévère, et pourrait même au besoin, lui faire couvrir le Temple ...

 

Ces bons principes ne semblent cependant pas avoir été toujours respectés, comme en témoigne cette vertueuse indignation de l'auteur (anonyme) d'un Discours sur la flatterie maçonnique et ses dangers publié en 1835 par l'Univers maçonnique :

La sévérité de notre discipline veut qu'on s'abstienne partout, et singulièrement dans nos Temples, de ce qui peut alarmer la décence et blesser la pureté des moeurs. Dans les premières instructions que nous donnons aux apprentis, nous leur enseignons que la blancheur du tablier est le symbole de notre candeur. Toutes nos formidables épreuves tendent à leur créer, pour ainsi dire, une nouvelle âme, et à leur annoncer la majesté du culte qu'ils viennent embrasser. Quelle doit être la surprise des nouveaux initiés, lorsqu’ils passent ensuite aux travaux du banquet, et qu'ils y voient régner une tolérance que rejettent même les sociétés profanes, où la bienséance n’est pas un vain mot vide de sens  ? Le sacré simulacre de la vertu réprime-t-il toujours parmi nous le désir de mettre au jour les saillies inconsidérées de l'esprit  ? Ignorons-nous qu'il est des Loges où, sous prétexte d’égayer le festin, l'on se permet les équivoques les plus licencieuses  ? Avec quelle coupable avidité n'entend-on pas ces poètes indiscrets qui, par leurs cantiques, souvent libres, et quelquefois obscènes, travestissent en viles orgies les banquets du sage, portent dans nos oreilles les souillures qui sont dans leurs coeurs, et viennent imprimer sur le front de la modestie la rougeur du scandale ?

Voir ici sur l'air Ce mouchoir, belle Raimonde.

Voir ici sur l'air Et vogue la galère

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