CANTATE POUR LA LOGE DES NEUF SOEURS

 

Nous avons trouvé le texte de cette cantate (ici attribuée à Evariste Parny) à la page 529 du Tome 2 de l'ouvrage de Prosper Poitevin, Petits poètes français depuis Malherbe jusqu'à nos jours (Paris, Firmin Didot, 1841), qui consacre une centaine de pages à cet auteur.


     

             

Cantate

pour la Loge des Neuf Soeurs

 

Loin de nous dormaient les tempêtes ; 
Dans ce temple à d'heureuses fêtes
Les Muses invitaient leurs disciples épars
Ici naissait entre eux une amitié touchante.
Ils s'unissaient pour plaire ; et la beauté présente
Les animait de ses regards.

Qu'oses-tu, profane ignorance ?
Que veut ton aveugle imprudence ?
Des Muses respecte l'autel  :
Là fume un encens légitime.
Arrête : tu serais victime
De ton triomphe criminel.

Mais sur la démence et l'ivresse
Que peut la voix de la sagesse ?
Telles parfois, dans la saison
Qui rend l'abondance à nos plaines,
Du Nord les subites haleines
Brûlent la naissante moisson.

Vous ne gronderez plus, tempêtes passagères.
Ainsi que le repos, les arts sont nécessaires.
Qu'ils renaissent toujours chéris,
La France à leurs bienfaits est encore sensible ;
Et nos fidèles mains, de leur temple paisible
Relèvent les nobles débris.

Amants des arts et de la lyre
L'Orient reprend sa clarté ;
Venez tous, et de la Beauté
Méritons encor le sourire.

Ici se plaisent confondus, 
Les talents, la douce indulgence,
Les dignités et la puissance,
Et les grâces et les vertus.

Amants des arts et de la lyre
L'Orient reprend sa clarté ;
Venez tous ; et de la Beauté
Méritons encor le sourire.

Le texte donne à penser que cette Cantate fut composée après la reconstitution (en 1806) des Neuf Soeurs, dont les activités avaient - comme celles de la plupart des Loges - été arrêtées à la Révolution.

Le même texte se trouve (pp. 122-3) dans le Tome V des Annales maçonniques, tome accessible sur Google-Books, où il est accompagné de la mention paroles du Frère de P. (de Parny ? de Piis ?), musique du Frère Rose, l'un et l'autre membres de la Loge des Neuf-Soeurs, et où il suit une série de documents (le Tracé et les odes lauréates) relatifs à la Solennité de la Loge des Neuf-Soeurs, pour la distribution des palmes aux auteurs dont les odes ont obtenu les suffrages, présidée par le Souverain Grand Maître le Prince Cambacérès.

Il s'agit donc de la Cantate mentionnée par Amiable comme ayant été chantée dans ce cadre le 20 (en fait, il s'agit du 2) janvier 1808, sur une musique de Roze.

Nous n'avons malheureusement pas trouvé trace de la partition.

Deux autres pages de ce site portent sur le sujet de la restauration des Neuf Soeurs après la Révolution : des Couplets de Servières et des Stances de Moulon de la Chesnaye.

Deux Parny ont été recensés par Le Bihan (dans son ouvrage Francs-maçons parisiens du Grand Orient de France) comme membres des Neuf Soeurs :

  • FORGES DE SANTENE, chevalier puis vicomte de Parny, Evariste Désiré, 1753 (à l'île Bourbon) - 1814 (Paris), Gendarme de la Garde de 1767 à 1779, Capitaine dans les dragons de la Reine en 1779, Poète et académicien en 1803; figure aux Tableaux en 1778-1779
  • FORGES DES SALINES, écuyer, dit le vicomte de Parny ou le comte de Parny-Dessalines, Jean-Baptiste Paul, 1750-1787, Ecuyer de main de la reine Marie-Antoinette; figure aux Tableaux en 1776-1779

Le second, qui est le frère aîné du premier, fut en 1776 un des 9 fondateurs de la Loge.

Evariste Parny
 

Evariste Parny (ci-contre, image du site de l'Académie française) fut membre des Neuf Soeurs tant avant qu'après la Révolution.

C'est sur ses textes que Ravel écrivit en 1926 ses Chansons madécasses.

Dans son ouvrage Une loge maçonnique d'avant 1789, la loge des Neuf Soeurs, Louis Amiable le décrit comme suit:

Evariste-Désiré Deforges, chevalier puis vicomte de Parny, est encore un des « poètes agréables » mentionnés à la page 8 du mémoire de La Dixmerie. Il avait déjà publié, en 1777, un Voyage en Bourgogne, en prose et en vers, et une Épître aux insurgents de Boston, spirituelle et philosophique boutade; puis, en 1778, un recueil de Poésies érotiques, qu'il corrigea ensuite en l'augmentant d'un quatrième livre, et qui lui valut le surnom de « Tibulle français. » Il était entré fort jeune au service militaire. En 1785, il accompagna à Pondichéry, en qualité d'aide-de-camp, M. de Souillac, gouverneur général des possessions françaises dans les Indes. Rentré en France en 1786, il déposa son épée de capitaine pour se livrer entièrement à la poésie. Il fit dès lors paraître de nouveaux recueils intitulés les Tableaux, la Journée champêtre, les Fleurs, et une foule de poésies fugitives. Ayant perdu sa fortune au commencement de la Révolution, il occupa successivement plusieurs emplois administratifs. Vers la fin du Directoire, en 1799, il fit paraître son principal ouvrage la Guerre des dieux, poème en dix chants, qui, au dire de Besuchet, a rendu son nom universel. Après la réorganisation de l'Institut, en 1803, il fut admis dans la troisième classe qui devint ensuite la nouvelle Académie française : à sa réception présida un autre adepte des Neuf Sœurs, Garat. En 1808 il publia son dernier poème, les Rose-Croix, dans lequel, en dépit du titre, on aurait tort de voir une œuvre maçonnique, car il est tout simplement héroïque et galant. En 1815, son successeur à l'Académie reçut, par ordre supérieur, défense de faire l'éloge de l'auteur de la Guerre des dieux; et, sous Charles X, ce poème, un peu trop libre, fut condamné rétrospectivement par arrêt du 27 février 1827.

On lira avec intérêt l'article de Jacques Lemaire, Parny et la Franc-maçonnerie, aux pp. 43-57 du Volume II des Etudes sur le XVIIIe siècle (Editions de l'Université de Bruxelles, 1975), édité par Roland Mortier et Hervé Hasquin, et consultable via la Digithèque de l'ULB. 

Béranger a composé, sur une musique de B. Wilhem, une romance en hommage à Parny :

PARNY

Je disais au fils d'Épicure :
" réveillez par vos joyeux chants
Parny, qui sait de la nature
célébrer les plus doux penchants. "
mais les chants que la joie inspire
font place aux regrets superflus :
Parny n’est plus !
Il vient d’expirer sur sa lyre :
Parny n’est plus !

Je disais aux grâces émues :
" il vous doit sa célébrité.
Montrez-vous à lui demi-nues ;
qu'il peigne encor la volupté. "
mais chacune d'elles soupire
auprès des plaisirs éperdus.
Parny n’est plus !
Il vient d’expirer sur sa lyre :
Parny n’est plus !

Je disais aux dieux du bel âge :
" amours, rendez à ses vieux ans
les fleurs qu’aux pieds d’une volage
il prodigua dans son printemps. "
mais en pleurant je les vois lire
des vers qu' ils ont cent fois relus.
Parny n’est plus !
Il vient d’expirer sur sa lyre :
Parny n’est plus !

Je disais aux muses plaintives :
" oubliez vos malheurs récents ; *
pour charmer l’écho de nos rives,
il vous suffit de ses accents. "
mais du poétique délire
elles brisent les attributs.
Parny n’est plus !
Il vient d’expirer sur sa lyre :
Parny n’est plus !

Il n’est plus ! Ah ! Puisse l’envie
s’interdire un dernier effort ! **
Immortel il quitte la vie ;
pour lui tous les dieux sont d’accord.
Que la haine, prête à maudire,
pardonne aux aimables vertus.
Parny n’est plus !
Il vient d’expirer sur sa lyre :
Parny n’est plus !

* Allusion à la mort de Lebrun, de Delille, de Bernardin de Saint-Pierre ,de Grétry , etc.

** Autre allusion aux insultes faites à la mémoire de l'auteur de la Guerre des Dieux.

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