Les Fri-Maçons
Pierre Clément dit de Genève (1707-1767) est l'auteur en 1737 de la pièce de théâtre Les Fri-Maçons, qu'il ne publie qu'en 1740 (il y aura plusieurs rééditions), anonymement ou sous le pseudonyme de Vincent, avec l'avertissement suivant :
La Piéce qu'on publie aujourd'hui devoit être joüée, par les Comédiens François, au commencement de 1737. Certains contretems ont empêché qu'elle ne reçût cet honneur. La Fri-Maçonnerie étoit extrêmement à la mode à Paris dans ce tems-là. On prie les Lecteurs profanes de se transporter dans ces circonstances, & de ne pas décider temérairement sur un Ouvrage, dont le fond est au-dessus de leur portée.
(NB : on comprendra que les contretemps mentionnés sont liés à l'activité du Cardinal de Fleury, qui avait tenté d'empêcher le développement de la maçonnerie).
En même temps que Les soupers de Daphné d'Anne-Gabriel Meusnier de Querlon, cette pièce a fait l'objet en 2000 d'une édition critique par Jacques Lemaire (Paris, H. Champion éd., collection L'âge des Lumières).
Le même Jacques Lemaire l'évoque comme suit à la p. 12 de son article Les premières formes de l'antimaçonnisme en France : les ouvrages de révélation (1738-1751) paru dans l'ouvrage collectif Les courants antimaçonniques hier et aujourd'hui disponible à la digithèque des bibliothèques de l’Université Libre de Bruxelles :
Pour la période qui nous occupe, un seul écrit évoque la réalité maçonnique sans que ce sujet ne fonde le thème général de réflexion du volume. Il s'agit de la pièce intitulée Les Fri-Maçons. hyperdrame (1746), qui met en scène une jeune femme, Lucile, curieuse de connaître le secret des francs-maçons. Comme son soupirant, Clitandre, doit être reçu dans l'Ordre, la jeune femme promet de lui donner sa main s'il consent à lui révéler les mystères de la franc-maçonnerie. Mais cet engagement est bientôt connu de Mondor, grand maître de la Loge, qui refuse d'agréger Clitandre. Les deux hommes se battent en duel.
L'intrigue rebondit alors sur les valets : Clitandre apprend que son serviteur, L'Eveillé, est un initié et tente d'obtenir la révélation du secret pour une somme de cent louis. Peine perdue ... De son côté, Marianne, servante de Lucile, tâche de faire parler L'Eveillé, qui se moque d'elle. Puis elle tente de recevoir l'initiation sous un déguisement d'homme, mais son travestissement est découvert. Finalement, avec un sens aigu de la psychologie, Lucile suscite l'intérêt de Mondor pour sa personne en affirmant qu'elle possède, elle aussi, un secret inviolable.
Le moteur dramatique de cette oeuvrette concerne donc le secret maçonnique, que la condamnation pontificale de 1738 avait si bien souligné. Toutefois, l'auteur du texte, un certain Clément de Genève selon le bibliographe Wolfstieg, livre au passage une interprétation du secret maçonnique qui n'est pas dénuée de bon sens : " Votre but n'est autre chose que de vous amuser de la curiosité du public. Tout votre secret est qu'il n'y en a aucun, et votre serment est de ne pas dire qu'il n'y ait point de secret " (p. 43).
Le dénouement de cette comédie toute à la faveur des francs-maçons : Marianne décide d'épouser Mondor, car il est le seul homme de son entourage à manifester un amour sincère pour elle, une réelle modestie de sentiments, de la générosité pour son rival et de la fermeté pour la préservation de son secret !
Ancien pasteur ayant abandonné cet état par amour du théâtre, Clément est identifié par Pierre Chevallier, dans son ouvrage Les ducs sous l’acacia, ou les premiers pas de la franc-maçonnerie française 1725-1743, (Libr. Vrin Paris 1964), comme probablement membre d'une des premières Loges parisiennes, Le Louis d'Argent (cfr. p. 64).
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Il y eut plus d'une édition (mentionnée comme publiée à Londres) dans les années 1740 (ci-dessus, couverture de l'édition 1741, qui est disponible ici, et de l'édition 1746 ; n'ayant pas eu l'occasion de consulter cette dernière, nous ignorons si elle diffère de la précédente).
Mais une version retouchée (sans doute sans intervention de Clément, à ce moment décédé) et anonyme fut donnée à La Haye en 1774, ce qui donna lieu à une nouvelle édition (intitulée, non plus Les Fri-Maçons mais bien Les Franc-Maçons comme il était devenu d'usage à ce moment) la même année dans cette ville ; cette édition est.disponible ici.
A première vue, les modifications intervenues à cette nouvelle version de la pièce sont les suivantes :
à la scène XV, le dialogue entre Clitandre et l'Eveillé est considérablement modifié, et notamment l'Eveillé donne (voir l'encadré ci-dessous) un véritable cours de symbolisme maçonnique
à la scène XIX, 4 répliques du dialogue entre Lucile et Mondor ont disparu
à la scène XXVII, tout le début (dialogue entre Léandre et le Grand Maître) est amputé.
La maçonnerie vue par un Frère Servant Voici le texte de la description que donne l'Eveillé de la maçonnerie à à la scène XV (p. 40) de l'édition de La Haye :
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Comme il est d'usage à l'époque, la pièce est suivie d'un divertissement chanté.
Mais ce divertissement est totalement différent dans les deux éditions que nous connaissons, ce qui nous a amené à y consacrer deux pages distinctes : Londres, La Haye.
Signalons aussi que cette pièce a inspiré à l'abbé Aunillon un vaudeville, dont les vers sont taillés sur le même modèle que trois derniers couplets de la version londonienne.