Couplets du Frère Doudelet
Ces
figurent au catalogue de la Bayerische Staatsbibliothek.
En voici le texte :
Couplets faits & chanté́s par le F. Doudelet, à l'Assembĺee-générale des Maçons, du 29 Mai 1787.
Air : Du Vaudeville du Droit du Seigneur.
L'Union se trouve en ces lieux
Et l'Ami vrai s'y montre,
Voilà ce qui nous rend joyeux,
C'est l'heureuse rencontre ;
Nos voix, nos coeurs, doivent se réunir,
Mes freres, mes freres, mes freres,
Chantons le bonheur, le plaisir
Des compagnons sincères.
Nous sommes ici tous unis,
Nous n'avons point d'entraves,
Les Grands qu'ici l'on voit admis
N'y trouvent point d'esclaves ;
Par l'amitié , & non par la grandeur,
Mes freres, &c.
Ils ont des droits à notre coeur,
Leurs vertus nous sont cheres.
La paix fait le bien d'un
Maçon,
Il l'aime avec constance,
Puisse ainsi l'Aigle & le Lion
Etre d'intelligence ;
Amis, parents, doivent le souhaiter,
Mes freres, &c.
Ce sont les voeux qu'on voit former,
Des Enfans & des Peres.
Nous devons célébrer aussi,
Des amis le modele :
Un Vénérable bien chéri,
Pour nous plein d'un vrai zèle ;
Faisons grand feu, oui, le plus grand des feux,
Mes frères, &c.
Pour celui qui nous rend heureux,
Vuidons bouteilles & verres.
Ce feuillet de 2 pages ne comporte pas la moindre indication ni de lieu ni de provenance : quelle peut donc être cette Assemblée Générale des Maçons tenue le 29 mai 1787 et au cours de laquelle furent chantés ces couplets du Frère Doudelet ?
Nous avons eu la chance de trouver la réponse à cette question.
Il s'agit de l'assemblée qui réunit à Bruxelles, au jour mentionné, les trois Loges ayant survécu dans les Pays-Bas autrichiens à l'édit de Joseph II qui avait réorganisé la maçonnerie : l'Heureuse Rencontre, L'Union et Les Vrais Amis de l'Union.
Dans le chansonnier maçonnique, les mots en italiques sont ceux sur lesquels il est insisté, et ils indiquent souvent des noms de Loge ; ici, outre les mots Maçon, Aigle et Lion, on trouve en italiques les mots :
l'Union
l'Ami vrai
l'heureuse rencontre
qui évoquent bien les trois Loges concernées.
L'auteur-interprète, Doudelet, est sans doute le Doudelet, artiste qui figure au tableau 1786 de l'Heureuse Rencontre. C'est probablement aussi le Doudelet mentionné à de nombreuses reprises entre 1772 et 1792, et notamment en 1786, comme membre de l'orchestre de la Monnaie sous la direction de Vitzthumb.
Le droit du seigneur est une comédie (1784) de Desfontaines (1733-1825), que Martini mit en musique en 1787. Elle fut précisément inscrite au répertoire de la Monnaie cette année-là.
On ne trouve pas d'air de ce nom dans la Clé du Caveau.
Dans La Franc-maçonnerie belge au XVIIIe siècle (Bruxelles, 1911), Paul Duchaine donne de nombreux détails sur cette réunion et son contexte, qu'on peut résumer comme suit :
en 1785, la maçonnerie avait atteint, avec 23 Loges, un haut degré de prospérité dans les Pays-Bas autrichiens, sous l'impulsion du marquis de Gages et de sa Grande Loge provinciale des Pays-Bas autrichiens ;
le 11 décembre de cette année, un rescrit de l'empereur Joseph II (traduit en Edit le 17) réglemente la maçonnerie dans tous ses Etats en vue de la tenir sous contrôle : les seules Loges admises seront dans les grandes villes, et en nombre limité, leurs listes de membres devant être communiquées aux autorités. C'est le cas à Vienne ; dans les Pays-Bas autrichiens 3 Loges seulement sont autorisées, toutes à Bruxelles. Gages tente, sans succès, d'obtenir un adoucissement de ces mesures ; écoeuré, il interrompra bientôt toute activité maçonnique. Des 5 Loges bruxelloises, seules subsistent les 3 désignées plus haut, la Constance et l'Union fraternelle disparaissant avec toutes les autres. La Grande Loge provinciale disparaît et cède la place à un Comité Central des représentants des trois ateliers bruxellois, dont un autrichien, le baron de Seckendorf, s'impose le 3 juillet 1786 comme le président en tant que commissaire de la Grande Loge Nationale de Vienne.
Les maçons - et, de tout temps, les maçons belges en particulier - ont en horreur le dirigisme, et plus encore s'il est d'importation ; s'ils se plièrent - même s'il y eut certainement des réunions clandestines, notamment, selon Duchaine, à Tournai, à Luxembourg, à Anvers et à Namur - à la loi, leur ardeur au travail en prit un coup sérieux, et leurs réunions se firent rares. Les membres des Loges supprimées sont invités, s'ils le désirent, à se réinscrire dans une des 3 Loges autorisées, mais ils ne se bousculent pas au portillon. L'effectif total se résume à 130 membres. En outre, le Grand Orient d'Autriche exigeant de servir d'intermédiaire avec tout tiers, tout contact est perdu avec le mouvement maçonnique international.
dans l'espoir de secouer quelque peu la léthargie générale et d'asseoir son autorité, Seckendorf fait convoquer, avec insistance, pour le 29 mai 1787, au Concert Noble, tous les membres pour une assemblée générale (dont, détail significatif, il fait préciser que la durée ne pourra excéder une heure !). 119 (107 selon Cordier) seront présents et entendront un long discours apologétique de Seckendorf, applaudi avec plus de résignation que d'enthousiasme. Comme pour bien montrer la subordination à l'Autriche, le produit du tronc des pauvres est attribué à l'épouse ... d'un Frère de Vienne. Le seul élément significatif à relever est la décision (au demeurant excellente) que, l'égalité étant le fondement de la maçonnerie aucun Frère ne se prévaudra en Loge d'aucun titre profane qui puisse le distinguer, ou par son état, ou par sa naissance. Il faut peut-être voir là une critique indirecte contre le marquis de Gages, coutumier de ce genre de faiblesse. Celui-ci est décédé le 20 janvier 1787 et, chose d'autant plus frappante qu'elle est contraire à tous les usages maçonniques, pas le moindre hommage ne lui est rendu au cours de l'assemblée du 29 mai, comme si l'on avait voulu effacer tout souvenir des temps heureux de sa Grande Loge provinciale.
Il ressort du document exhumé sur cette page que les organisateurs de cette réunion tentèrent d'en rompre la morosité en commandant une chanson pour le Banquet qui la suivit.
Son texte, assez conventionnel, vise manifestement à se montrer maçonniquement correct selon les vues de Seckendorf. D'où sans doute le plaidoyer (cfr au couplet 3 les mots mis en évidence par des italiques) pour la bonne intelligence que, dans l'intérêt de la paix, la maçonnerie devrait favoriser entre l'Aigle (symbolisant l'empire autrichien) et le Lion (symbolisant les Pays-Bas - le lion figure d'ailleurs encore de nos jours dans les armoiries des provinces belges et de la Belgique elle-même).
Option significative, au moment où le mécontentement grandit, dans les Pays-Bas autrichiens, contre l'autorité impériale que représente notamment Seckendorf ...