Zur wahren Eintracht et les Loges viennoises à la fin du XVIIIe siècle

 

La Loge Zur wahren Eintracht (A la vraie Concorde) fut, à l'image des Neuf Soeurs à Paris, une prestigieuse académie de l'esprit.

Constituée en 1781 comme Loge-soeur de Zur gekrönten Hoffnung (l'Espérance Couronnée, fondée en 1770 sous le nom de Zur Hoffnung ; elle compta parmi ses membres Wranitsky), elle vit, sous la présidence d'Ignaz von Born, qui y attira de nombreuses sommités, ses effectifs passer de 15 à 197 membres en 4 ans.

Elle publiait un périodique, Physikalische Arbeiten der Einträchrigen Freunde in Wien.

Chaque mois un de ses membres y présentait un travail sur une question maçonnique (ce qui n'était aucunement dans les usages à l'époque), travail publié ensuite dans le Journal für Freymaurer tiré à mille exemplaires (le recueil du 2e trimestre 1784 est consultable ici et celui du 2e trimestre 1785 ici). On y trouve des lieder, dont un est consultable ici et un autre ici.

Fin 1785, un édit de Joseph II limite le nombre de Loges et les Loges viennoises sont amenées à se regrouper. Zur wahren Eintracht devient, après fusion, Zur Wahreit (la Vérité) qui reste présidée par Born jusqu'en septembre 1786. Zur gekrönten Hoffnung fusionne avec notamment Zur Wohlthätigkeit (la Bienfaisance), qui est la Loge de Mozart, pour devenir Zur neugekrönten Hoffnung (l'Espérance nouvellement Couronnée), dont le Vénérable est Gebler.

Après la Révolution française, le pouvoir impérial se méfie tant des tenants de l'Aufklärung que de la Franc-maçonnerie, qui en 1795 sera finalement interdite  par François II et le restera en Autriche jusqu'en 1918.


 

sceau de Zur neugekrönten Hoffnung 

sceau de Zur Wohlthätigkeit

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les sceaux des Loges viennoises Zur wahren Eintracht, Zu den drey Adlern et Zum Palmbaum au frontispice du Journal für Freymaurer

Ignaz von Born

Ce n'est évidemment qu'un hasard si ce cristal de bornite peut évoquer une pierre cubique à pointe ...

Eminent géologue et minéralogiste (la bornite, un minerai de cuivre, porte son nom), directeur au Musée Impérial de Vienne, fellow depuis 1774 de la Royal Society, Ignaz von Born (1742-1791), le dédicataire du K. 471 de Mozart, est une des grandes figures de la maçonnerie viennoise. 

Il fit partie des Illuminés de Bavière qui contribuèrent à répandre dans les pays de langue allemande l'esprit des Lumières (Aufklärung), les idées de rationalité, d'égalité et de liberté de conscience et la lutte contre le fanatisme, l'intolérance et les préjugés.

En 1784, il fut un des créateurs, et le Grand Secrétaire, de la Grande Loge Nationale d'Autriche.

Tous les commentateurs considèrent traditionnellement que le personnage de Sarastro dans la Flûte Enchantée  est dessiné en hommage à Born, lequel serait peut-être aussi intervenu dans la conception du livret (il avait écrit, pour le Journal für Freymaurer, un essai sur les Mystères des Egyptiens).

A signaler une note discordante dans cette unanimité : dans son article (accessible sur le site de la revue L'éducation musicale) La Flûte enchantée ou le conflit des interprétations, Jules Speller formule l'hypothèse que, si Mozart et Schikaneder ont effectivement pris Born comme modèle du personnage de Sarastro, ce n'est aucunement pour lui faire honneur, mais au contraire pour manifester leur antipathie à son style, autocratique et misogyne, de maçonnerie et de leadership ...

Born était un adversaire déclaré des dérives ésotériques fort à la mode dans la maçonnerie de l'époque. C'est d'ailleurs le retour en force des tendances occultistes à Vienne, après la mise à l'index à Munich des Illuminés de Bavière, qui a entraîné son éloignement volontaire de la Franc-maçonnerie en 1786. 

Au moment des persécutions bavaroises contre les Illuminés de Bavière, il avait, par une lettre cinglante où il prenait la défense des victimes, démissionné de l'Académie des Sciences de Munich qui avait approuvé ces persécutions, traitant son président de président du tribunal inquisitorial contre les francs-maçons et écrivant notamment :

... je tiens tous les procès faits aux hérétiques pour des jugements de cannibales sans entrailles ... je suis un ennemi déclaré des moines ignorants, les regarde comme la peste de la raison humaine et estime qu'on ne devrait jamais leur confier exclusivement l'éducation de la jeunesse ... pour moi jésuitisme et fanatisme ont le même sens que méchanceté et ignorance, superstition et sottise. (source : le Mozart de Jean et Brigitte Massin, Fayard, 1990)

Comme les philosophes et encyclopédistes français, les Illuminés de Bavière étaient pour le moins anticléricaux, et même, pour une partie d'entre eux, antireligieux. Ancien jésuite, Born partageait ces idées et avait, comme on vient de le voir, une dent particulièrement acérée contre les moines : en 1783, il avait publié, sous le pseudonyme de Joannes Physiophilus, une satire mordante, Specimen monachologiae, methodo Linneana tabulis tribus aeneis illustratum, immédiatement traduit en plusieurs langues et notamment en anglais et en français sous le titre Essai sur l'histoire naturelle de quelques espèces de moines décrits à la manière de Linné. Cette oeuvre mise à l'index classe les moines en genre et en espèces d'après la méthode de Linné pour l'histoire naturelle. Il y décrit le moine comme un genre intermédiaire entre le singe et l'homme.

On lira avec intérêt les quelques pages (62-66) consacrées à Born par Pierre-Yves Beaurepaire dans son article La République universelle des francs-maçons à la rencontre de la République des lettres : les visiteurs francs-maçons de Jean-François Séguier

Le 27 avril 1787, Born avait déposé, dans l'album de Mozart, un texte (en latin) qu'on trouvera ci-dessous avec sa traduction française (reprise du beau livre de Guy Wagner, Frère Mozart) : 

Dulcis Apollo! qui tuas artes, tua munera Mozarto nostro dedisti, ut poscenti chorda sonos reddat, quos vult manus et mens, acutos, graves, citos, tardos, canoros, querulos, magnos, parvos, sine ulla offensione concinentes; fac ut cum grata lyrae suae musica faustorum quoque dieri numeri consonent, et gratae sortis harmonia. 

Doux Apollon ! qui as donné tes arts, tes dons à notre Mozart, de telle sorte que la corde mue par lui rend les sons que le coeur et la main souhaitent, des sons hauts et bas, rapides et lents, joyeux et graves, longs et brefs, qui tous résonnent ensemble sans contradiction aucune, fais qu'avec la musique agréable de sa lyre concordent aussi le nombre de ses jours heureux et l'harmonie d'un destin bienveillant.

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