Le Roi veut qu'on s'amuse, chanson de Célicourt (Lyon 1846)
Ce feuillet est le premier des deux qui constituent le document figurant sous la cote YE-54647 au catalogue de la BNF.
Il contient le texte d'une chanson intitulée Le Roi veut qu'on s'amuse et signée du Frère Célicourt (une autre main a ajouté : et Barqui) : elle porte le cachet de la Bibliothèque Royale et un cachet 1846, qui signale sans doute le moment de l'entrée à la bibliothèque et donc sans doute celui de l'édition.
Il semble vraisemblable que, comme la précédente, elle soit éditée par le procédé d'autographie.
L'air Il n'y a pas de mention d'air. On notera cependant la quasi-identité du refrain avec ce couplet tiré (acte II, scène X, p. 16) de la comédie (1833) Le camarade de lit : Gai ! mes amis, qu'on
s'amuse ! Dans cette pièce, ce couplet est d'ailleurs suivi de ceux-ci (presque identiques aux deux premiers de Célicourt, ce qui ne laisse aucun doute sur leur inspiration) : On permet de tout dire, Vos fêt's, loin d'êtr' troublées, Ces 3 couplets se chantent sur l'air Oui, l'or est une chimère (tiré de Robert le Diable). Robert le Diable est un opéra en cinq actes de Meyerbeer sur un livret d'Eugène Scribe et Germain Delavigne, créé le 21 novembre 1831. Il a été joué à Lyon pour la première fois en 1834. L'air mentionné est à la scène 7 du premier acte, qu'on trouve, sous le titre Sicilienne, à partir de la p. 144 (ou 156/920) de cette partition, avec le texte : L’or est une chimère,
En voici une partition simplifiée :
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Le thème le Roi veut qu'on s'amuse serait-il inspiré par le titre de la pièce de Victor Hugo, le Roi s'amuse, particulièrement célèbre par la censure brutale dont elle avait fait l'objet en 1832 ? Ou répond-elle à un voeu émis par Louis-Philippe lui-même ? Mais sans doute ne s'agit-il, plus simplement, que d'une référence au texte ici pastiché.
Refrain Gai, le Roi veut qu'on s'amuse, On permet de tout dire, Nos fêt's, loin d'êtr' troublées, Pas plus
qu'à l'ordinaire De
politique, histoire, La liberté
chérie Pour monter
son salaire, |
Le
Banquier, l'homme riche, Un
Député fidèle, Il est
des hommes sages, Notre
France abaissée, Prodiguant
les caresses, Enfin,
s'il faut tout dire, Conservons
mes chers Frères, |
Même si rien ne le donne à penser a priori, il s'agit bien d'une chanson destinée au milieu maçonnique, puisque la signature comporte la triponctuation maçonnique et que ce sont les chers Frères qui sont interpellés au dernier couplet.
La chanson reflète bien le mécontentement croissant dans la population à la fin du règne de Louis-Philippe, dont elle dénonce la surveillance, la censure, la corruption et la soumission au clergé. Elle décrit en détail les maux de ce régime, avec des allusions transparentes à la Charte (celle de 1814 avait été amendée en vue de renforcer le caractère parlementaire du régime), à la Chambre des pairs (théâtre de nombreux procès, notamment de journalistes), à la confusion entre affaires publiques et intérêts privés, à la multiplication des affaires, ...
Que savons-nous de l'auteur, Célicourt ? On relève à Lyon, pendant la première moitié du XIXe siècle, deux maçons de ce nom, entre lesquels, puisque beaucoup des textes qui les mentionnent n'indiquent pas de prénom, il est très difficile de distinguer : Alexis Philippot, dit Célicourt, et Philippe Célicourt, dit Philippot-Célicourt. Un article aux pp. 2-3 du n° du 27 mai 1838 de la revue l'Entracte lyonnais nous fait un portrait très flatteur d'un Célicourt, dont il ne précise pas le prénom : né en 1783 de parents comédiens, il entra en 2000 dans des troupes ambulantes, et s'installa à Perpignan de 1811 à 1817 puis partit en Belgique d'où il revint en 1821 pour s'installer, cette fois définivement, à Lyon. C'est manifestement du même que parle cette notice de la BNF qui est cependant plus précise en l'identifiant à Alexis :
Un article aux pp. 7-8 du n° 18 (2011) de la revue l'Esprit canut mentionne que :
On lit dans l'Histoire anecdotique du théâtre de Saint-Étienne de 1764 à 1853 par Barthélemy Braud qu'en mai 1830 M. Philippot Célicourt, directeur privilégié du 12e arrondissement théâtral, amène une troupe théâtrale à Saint-Etienne (p. 58 ; voir également le titre de cette page), troupe qu'il réorganise en octobre (p. 62) et qu'en 1839 (p. 91) il reprend ce poste (il est alors désigné comme Célicourt fils), cependant qu'en 1849 (p. 128) M. Célicourt, le doyen des comiques lyonnais, bénéficie à Saint-Etienne d'engagements bien rémunérés, cette fois en tant qu'acteur. Le fichier Bossu consacre trois fiches à l'un ou l''autre de ces personnages :
Mais dans cette même fiche, Bossu se demande si l'on peut identifier ce dernier à Philippe Célicourt, né à Amiens vers 1772, directeur de la société des artistes à Berne, membre d'une loge St-Jean de Jérusalem dans un Orient non précisé, et fondateur en 1802 dans cette ville de la loge militaire des Amis de la Gloire à l'Orient des Chasseurs, hussards et légion helvétique à Berne. Il faut noter qu'à la même époque et dans le même pays on trouve un Philipot Célicourt qui avec son épouse dirige une troupe théâtrale à Lausanne (voir ici, p. 56) et un citoyen Philippot-Célicourt, directeur du spectacle de Berne, qui en 1802 (voir ici le n° 173 du Bulletin d'information de la ville de Fribourg, mars 2001, p. 11) se produit à Fribourg. Il s'agit certainement de la même personne que celle désignée par Bossu. Mais s'agit-il ici des M. et Mme Célicourt désignés par la BNF comme les parents d'Alexis ?
Les Éphémérides des loges maçonniques de Lyon pour leur part nous apprennent :
Il s'agit de l'ouvrage déjà mentionné par Bossu. Cet ouvrage est disponible ici. Son examen apporte des informations précieuses. Edité sous le nom de Philippot-Célicourt, il commence par une dédicace, signée Philippe Célicourt, à son Très Cher Frère Alexis Célicourt, auquel il voue une grande reconnaissance (tu fus dans tous les temps mon appui tutélaire). On notera que cet ouvrage contient une chanson maçonnique.
Célicourt (Alexis sauf erreur) a publié en 1847 Poésies diverses - Mélanges, facéties, macédoines ou tout ce que l'on voudra, dédié au bon public lyonnais par son reconnaissant serviteur Célicourt, artiste du théâtre des Célestins depuis 26 ans, et qui a été réédité en 2016. On notera enfin qu'en 1867-1869 Philippot-Célicourt, ancien artiste, était bénéficiaire d'indemnités et secours concernant surtout le monde des lettres et du spectacle. Ce fait nous est confirmé par le Dictionnaire des comédiens français de Lyonnet (T. 1, p. 298) qui écrit (à propos d'Alexis) que Il mourut à quatre-vingts ans ; la Société des artistes lui servait une pension de 186 fr. depuis 1854 et de 300 fr. depuis 1856. Lyonnet, citant Armand Victorin, ajoute Le vieux Célicourt, alors doyen des artistes lyonnais, vétéran de la rampe, qui tint, pendant plus de 30 ans, aux Célestins,l'emploi des grimes, pour la plus grande joie de nos pères, presque aveugle, et âgé de 78 ans, y (ndlr : au café le Messager des Dieux) chantait également Bonhomme ! cette bonne vieille chanson de G. Nadaud. Il ne nous a pas été possible de déterminer lequel des deux est l'auteur de la chanson de cette page. |