Zur aufgehenden Morgenröthe

 

La Loge de Francfort-sur-le-Main Zur aufgehenden Morgenröthe [ou Morgenröte] présente la caractéristique d'avoir été accessible aux Juifs, qui y furent dès lors fort nombreux.

Cette caractéristique est à l'époque très rare en Allemagne (au XVIIIe, la situation en France n'était guère meilleure). Comme l'écrit Pierre-Yves Beaurepaire dans l'Encyclopédie de la Franc-maçonnerie (par divers auteurs sous la direction d'Eric Saunier, Pochothèque, 2000), la manière dont les loges maçonniques abordent la question de l'accès au temple des candidats juifs à l'initiation témoigne de la part d'ombre des Lumières européennes, et de la perméabilité de la sphère maçonnique aux préjugés et aus grands débats qui agitent la société profane.

La Loge fut fondée en 1807 sous les auspices du Grand Orient de France, sous le nom de l'Aurore naissante.

Elle a compté parmi ses membres les 3 compositeurs Ganz, Hiller et Rosenhain, comme on peut le voir ci-dessous, ainsi que, plus tard, Julius Sachs.

Levesque écrit en 1821 (p. 148) dans son ouvrage Aperçu général et historique des principales sectes maçonniques :

Il y a encore, à Francfort-sur-le-Mein, une Loge appelée l'Aurore naissante, où les Maçons trouvent toujours bon accueil et secours ; et les membres ne sont pas chamarrés de cordons ni de bijoux magnifiques ; ils n'ont pas les titres de Souverains Grands-Inspecteurs, de Grands-Régularisateurs, de Supérieurs voilés, etc. ; mais ils savent remplir leurs devoir : aussi l'estime générale, la reconnaissance et le respect des Profanes sont leur plus douce récompense. Cette Loge a été plusieurs années sous le Vénéralat du très-cher Frère Molitor, docteur en philosophie, dont les talens et les vertus l'illustrèrent. 

On peut trouver ici l'ouvrage Festgaben dargebracht von den Brüdern der Loge zur aufgehenden Morgenröthe im Orient zu Frankfurt a. M. zur Feier ihres 25jährigen Jubiläums publié en 1833 par la Loge à l'occasion de son 25e anniversaire.

Cet ouvrage se termine par :

  • 2 textes sans partition
  1. (p. 121) Poetische Zeichnung von Bruder S. Stiebel, med. Dr., Altmeister. In Musik gesetzt von Bruder A. Ganz, Kapellmeister
  2. (p. 125) Hymne, von Bruder Heinr. Schwarzschild, med. Dr. In Musik gesetzt von Bruder J. Rosenhain 
  • 3 partitions
  1. (p. 129) Maurerischer Gesang, gedichtet von Bruder S. Stiebel, med. Dr., componirt für vier Männerstimmen von Bruder Ganz, Kapellmeister
  2. (p. 135) Drei maurerische Gesänge, gedichtet von Bruder H. Schwarzschild, med. Dr. Componirt für einen Männerchor von Bruder Ferd. Hiller 
  3. (p. 149) Hymne. Gedicht von Bruder H. Schwarzschild, med. Dr. Componirt für vier Männerstimmen von Bruder J. Rosenhain 

L'antisémitisme maçonnique en Allemagne

Dans son article L’exclusion des Juifs du temple de la fraternité maçonnique au siècle des Lumières, Pierre-Yves Beaurepaire estime qu'au XVIIIe l'attitude de rejet des Juifs semble bien avoir été la règle générale dans tous les pays, à laquelle quelques cas (surtout en Angleterre et aux Pays-Bas) font plutôt figure d'exception. Il  mentionne par exemple qu'à Marseille (ville pourtant très commerçante et ouverte sur la Méditerranée), la loge de la Parfaite Sincérité stipule dans l’article 12 de ses Statuts et Règlement que « tous profanes qui auraient le malheur d’être juifs, nègres, ou mahométans ne doivent point être proposés ».

On sait que la maçonnerie allemande, dans sa grande majorité, a très longtemps refusé les Juifs.

En 1843, dans son Histoire pittoresque de la franc-maçonnerie et des sociétés secrètes anciennes et modernes, Bègue-Clavel traite longuement (pp. 277-9) de cette question : 

Un des titres qui recommandent particulièrement la société maçonnique à l'estime de tous, est cette tolérance religieuse dont, la première, elle a donné le précepte et l'exemple. Cependant, par une exception regrettable, les loges de l'Allemagne ont constamment refusé d'admettre les juifs à l'initiation. Si quelque jour elles se départent enfin de cette injuste exclusion, elles devront en rendre grâce aux conquêtes de Napoléon et à l'invasion des idées françaises. En effet, dans les premières années de ce siècle, il s'était formé à Francfort-sur-le-Mein, en dépit du préjugé national, et, en quelque sorte, sous la protection de nos armes, une loge mi-partie de juifs et de chrétiens, qui prit le titre de l'Aurore naissante, et obtint des constitutions du Grand-Orient de France. L'installation en fut faite par des commissaires appartenant à un atelier de Mayence, les Amis-Réunis, qui dépendait de la même autorité. Par suite des évènements politiques, la loge de Francfort dut se retirer de la correspondance du Grand-Orient : les frères qui la composaient se partagèrent en deux fractions, l'une de chrétiens, l'autre de juifs. La première fraction forma une nouvelle loge, appelée Charles à la lumière naissante, qui reçut une patente constitutionnelle du landgrave Charles de Kurhessen, grand-maître du rite rectifié, régime qu'avait aussi adopté la loge des Amis-Réunis, de Mayence. Les membres israélites de l'Aurore naissante conservèrent le matériel et le titre de la loge, et demandèrent, en 1813, à la Mère-Loge Royale-York à l'amitié, de Berlin, la confirmation de leurs pouvoirs. Malgré les vives réclamations de plusieurs vénérables, particulièrement du frère Feelix, la Mère-Loge répondit par un refus. Ainsi repoussée de ses frères, l'Aurore naissante se tourna vers la Grande-Loge d'Angleterre, qui ne fit aucune difficulté de la reconstituer. Les loges les Amis-Réunis, Charles à la lumière naissante et l'Aurore naissante continuèrent de communiquer comme auparavant ; mais justement à cause des rapports que les deux premières entretenaient avec la troisième, la Grande-Loge éclectique de Francfort ne les reconnut point et interdit aux ateliers de son régime de correspondre avec elles.

En 1832, une nouvelle loge de juifs et de chrétiens s'établit à Francfort, sous le titre de l'Aigle francfortois. Ëconduite par la Grande-Loge éclectique, elle s'adressa au Grand-Orient de France, qui lui délivra des constitutions et envoya un de ses membres, le frère Ramel, pour l'installer. Elle n'a pu cependant jusqu'ici parvenir à se faire admettre que dans les trois loges que nous avons déjà citées ; les autres ateliers de l'Allemagne, obéissant aux injonctions des autorités dont ils dépendent, lui ferment impitoyablement leurs portes.

On avait dit que le prince Frédéric-Guillaume-Louis de Prusse, protecteur des maçons de ce royaume, s'était fait récemment l'avocat des Israélites, et avait proposé leur admission dans les loges. Une aussi haute intervention n'eût pas manqué d'exercer une influence décisive sur le sort d'une question si importante ; mais cette nouvelle ne s'est pas confirmée. C'est un malheur. En effet, l'exclusion des juifs ne viole pas seulement tous les préceptes de la maçonnerie ; elle n'est pas seulement un démenti brutal donné à cette tolérance religieuse qui est devenue l'évangile et le besoin des peuples policés : elle traîne encore à sa suite des périls de plus d'un genre pour la stabilité de l'institution maçonnique elle-même : elle fait douter des lumières et des instincts généreux des maçons ; elle jette, dans leurs rangs, des ferments de discorde et de haine. La Grande-Loge d'Angleterre et le Grand-Orient de France n'ont pu constituer des loges à Francfort sans empiéter sur la juridiction de la Grande-Loge de cette ville ; et, bien qu'en agissant ainsi, leurs intentions fussent pures de toute hostilité, et qu'ils eussent uniquement en vue de tendre une main secourable à des maçons que leur croyance religieuse faisait traiter en parias par leurs frères, néanmoins, ils ont, par le fait, blessé des susceptibilités, soulevé des griefs, et la bonne harmonie qui régnait auparavant entre ces diverses autorités en a souffert une fâcheuse atteinte. D'un autre côté, des Israélites appartenant à des loges de New-York, s'étant vu refuser l'entrée des ateliers allemands en raison du culte qu'ils professent, ont soumis leurs justes doléances à la Grande-Loge de cet État, qui a dû adresser à ce sujet d'énergiques représentations à toutes les grandes loges germaniques. Qu'on suppose un instant que satisfaction ne soit pas donnée, il résultera de ce déni de justice des représailles qui élèveront un mur de séparation entre les ateliers de l'Amérique et ceux de l'Allemagne.

Au reste, les maçons juifs de la Prusse, reçus pour la plupart à l'étranger, eurent, en 1836, une sorte de congrès, dans lequel ils rédigèrent une adresse aux trois Mères-Loges de Berlin et une circulaire à toutes les loges allemandes. Ils y adjuraient ces différents corps, au nom des doctrines maçonniques, au nom de la justice et de la raison, de ne pas les repousser de leurs travaux. Ces écrits firent sensation. Beaucoup de maçons s'élevèrent contre l'exclusion dont les juifs sont l'objet. Des autorités maçonniques, entre autres la Grande-Loge provinciale de Mecklembourg-Schwerin, suivirent cet exemple. Depuis, la question des juifs a été agitée à diverses reprises dans les réunions des Grandes-Loges de Dresde et de Francfort, et dans celles de la Mère-Loge Royale-York, de Berlin. Si aucune décision formelle n'a encore été prise, tout fait néanmoins espérer que les vrais principes de la maçonnerie finiront par triompher. Déjà, la Mère-Loge éclectique de Francfort, en attendant que la question des juifs ait reçu une solution définitive, a autorisé les loges de son ressort à insérer, à cet égard, dans leurs règlements particuliers, telle disposition provisoire qu'elles jugeraient convenable. C'est là un grand pas de fait. Il est impossible que, parmi les peuples si avancés de l'Allemagne, chez la plupart desquels la tolérance religieuse est depuis longtemps inscrite dans les lois, l'association maçonnique, élite de la grande société, continue de nourrir d'absurdes et gothiques préjugés, enfreigne volontairement les préceptes de fraternité et de charité universelles qui la régissent et qu'elle pratique envers tous les autres hommes, et devienne ainsi elle-même un obstacle au progrès de la civilisation, qu'elle est appelée à seconder de tous ses efforts.

Cette attitude fut à l'origine de tensions avec les Obédiences étrangères. On trouvera par exemple ici une prise de position en 1845 du Grand Maître de la GLUA. En 1848, c'est le Grand Orient de France qui adressa une protestation officielle à la Maçonnerie allemande en menaçant de rompre leurs relations fraternelles.

Une telle attitude persista par la suite dans la grande majorité des Loges allemandes, qui dans l'entre-deux guerres et jusqu'à leur interdiction par le régime nazi, se distinguèrent par des manifestations d'antisémitisme. On lira avec intérêt à ce sujet le texte d'Alain Bernheim, La franc-maçonnerie allemande au 20e siècle.

Nous recommandons aussi vivement la lecture de l'article de Jean-Philippe Schreiber, Juifs et franc-maçonnerie au XIXe siècle. Un état de la question, paru dans Archives Juives en 2010. Contrairement à Beaurepaire (voir ci-dessus), il estime que dès l'origine l'admission des Juifs en Angleterre et en Hollande a été une pratique normale, même s'il y eut quelques exceptions.

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