À l'instar de La Société Industrielle de
Mulhouse, la Société Philharmonique de Reims constitue un bon exemple du rayonnement maçonnique au XIXe siècle. Fondée en septembre 1833 par les frères de
La Sincérité, sa création est l'aboutissement d'une évolution de la
loge en faveur d'un engagement caritatif et social.
Les frères de La Sincérité ont tout de suite pressenti que leur action philanthropique devait trouver des appuis dans la société civile pour assurer sa pérennité. Dès les origines, le règlement de la Société Philharmonique (1833) prévoit une gestion partagée entre les frères et des responsables politiques locaux. Les 8 membres du premier conseil d'administration sont répartis entre 5 francs-maçons dont le vénérable Antoine Cuérard (vice-président), et 3 profanes, dont le président Charles Poisson, sous-préfet.
Les produits des concerts organisés sont destinés à l'instruction des enfants nécessiteux. Là encore les responsabilités de la loge et de la Société sont réparties
: le quota d'enfants est fixé par la loge, mais les candidats sont également désignés par les deux organismes. Si la loge gère les fonds recueillis, elle doit rendre compte de ses dépenses au conseil d'administration de la Société. En outre elle met à disposition sa salle des fêtes, appréciée pour son acoustique.
Parmi les musiciens de l'orchestre de la Philharmonique, on trouve des frères de la loge, des amateurs et quelques professionnels du théâtre. Le premier chef d'orchestre est le chef de musique de la
Garde Nationale, Joseph Bessières. Son adjoint, Pierre-Hippolyte Hormille (initié en
1836) est chef d'orchestre du théâtre, et l'organiste de la cathédrale, Masson, tient les parties de
piano ou d'harmonium.
À raison de trois ou quatre concerts par an, la Philharmonique propose des programmes variés correspondant au goût des bourgeois de l'époque, se produit au théâtre, au Prado ou en plein air.
Après une période d'essor, la Société connaît des difficultés qui mettent en péril son devenir. On déplore beaucoup d'absences aux répétitions et à la disparition des premiers animateurs s'ajoutent la concurrence croissante des sociétés d'amateurs et, surtout, des déboires financiers dus, entre autres, aux cachets versés à des artistes invités.
La loge doit donc réviser les statuts de la Philharmonique et en 1844, le nouveau règlement témoigne d'un changement d'orientation. Le but initial (venir en aide aux enfants pauvres) est placé au second plan, derrière un objectif essentiellement artistique. Il faut entretenir le goût de la musique et participer à l'entretien du conservatoire. La composition du nouveau conseil d' administration confirme le retrait de
La Sincérité : sous-préfets, maire de Reims, notabilités locales non initiées se partagent les fonctions de direction. Parmi les administrateurs, seul un membre
est, avec certitude, maçon : Arnold Aronsshon.
Prenant ses distances avec l'association qu'elle a créée, la loge assurera sa survie. Le coup d'État du 2 décembre 1851 oblige la Philharmonique à suspendre ses activités. Elle les reprend à partir de 1858 mais la guerre de 1870 la contraint à se mettre en sommeil.
Malgré des liens qui se distendent, l'épisode le plus prestigieux de son histoire reste lié à
La Sincérité : Franz Liszt offre en effet un concert, le 3 décembre 1845, dans la salle des fêtes de la loge, et l'orchestre de la Philharmonique exécute en guise d'introduction, l'ouverture du
Cheval de bronze d'Auber, puis propose un intermède avec l'ouverture
d'Oberon de Weber. Liszt exécute à cette occasion sept pièces (Weber, Bellini, Rossini...) dont deux de sa composition. Le concert ne connut pas le succès escompté, mais il est indéniable que la présence même de
Liszt aux côtés des frères fut un succès interne pour les francs-maçons mélomanes et philanthropes.