Cantique du Frère Condorcet

  Cliquez ici (midi) ou ici (MP3) pour entendre l'air Mon père était pot

 

 

Nos espérances sur l'état à venir de l'espèce humaine peuvent se réduire à ces trois points importants : la destruction de l'inégalité entre les nations ; les progrès de l'égalité dans un même peuple ; enfin, le perfectionnement réel de l'homme.

(extrait de l'ESQUISSE D'UN TABLEAU HISTORIQUE DES PROGRÈS DE L'ESPRIT HUMAIN)

 

L'auteur (supposé) de ces lignes, Jean-Antoine-Nicolas Caritat, marquis de Condorcet (1743-1794), était-il franc-maçon ?

Il n'en existe en tout cas aucune preuve documentaire, et les historiens sérieux s'accordent en général pour répondre non à cette question.

On sait que sa réception à la Loge des Neuf Soeurs avait été prévue pour le 1er décembre 1778, en même temps que celle de Diderot et d'Alembert. Mais aucun des trois ne se présenta, et l'on a dit que Condorcet craignait à ce moment d'ainsi compromettre sa future élection à l'Académie Française.

Barruel - qui voyait des maçons partout - semble avoir été le premier, en 1797, à lui attribuer la qualité (qui à ses yeux était d'ailleurs loin d'en être une !) de maçon. Le wishful thinking de nombreux maçons, souvent trop prompts - comme en témoignent de nombreux exemples - à assimiler, sans preuve, à la Confrérie des personnes proches de leurs idéaux, a sans doute contribué à perpétuer ce qui n'est probablement qu'une légende ...

A supposer d'ailleurs que Condorcet ait été maçon et ait - forcément avant la Révolution - rédigé ce texte, comment expliquer qu'il n'ait pas circulé à l'époque, alors que les gazetins étaient particulièrement à l'affût de ce genre de nouveautés ?
 

S'il fait preuve de respect envers les fins de la Franc-maçonnerie et des maçons, le texte ci-contre, datant de 1784, ne témoigne d'ailleurs pas de sa part d'une énorme considération pour l'institution elle-même et ses cérémonies burlesques.

En tant que secrétaire perpétuel de l'Académie royale des sciences, c'est Condorcet qui rédigeait traditionnellement les éloges des membres décédés dans l'année, lesquels paraissaient annuellement aux volumes de l'Histoire de l'Académie royale des sciences. La citation est extraite de l'Éloge de M. Comte de Milly (lui-même maçon), publié dans le volume pour 1784 et consultable sur le site de la BNF. 

Nous versons cependant au dossier le Cantique suivant, que nous avons trouvé (pp. 65-7) dans la Collection de Cantiques de la Loge La Paix Immortelle. Quand ce recueil a été publié, Condorcet était mort depuis plud de 15 ans, Barruel avait publié depuis plus de 10, et on ne peut donc exclure que cette attribution soit fantaisiste. 

Au même moment, on trouve d'ailleurs le même texte, sous le titre (plus prudent) Cantique attribué au Frère Condorcet, dans la Lyre maçonnique de 1809. Celle-ci propose également, comme air alternatif, Allons, dépouillons nos pommiers.

Sous le même titre, on le trouvait déjà aux pp. 121-4 du Tome I (1807) des Annales Maçonniques de Caillot (ce tome est accessible sur Google-livres). Mais ici, c'est encore un autre air qui est proposé : Buvons à tirelarigo (la Clé du Caveau considère cependant comme identiques les airs Buvons à tirelarigo, Voulez-vous savoir les on-dit et Mon père était pot).

On la trouve également aux pp. 105-8 du Nouveau Code récréatif des Francs-Maçons, sous le titre Eloge de la maçonnerie, avec l'air - comme ici - Mon père était pot et comme nom d'auteur feu Condorcet.

On le retrouvera en 1830 - mais amputé de son premier couplet, et avec aussi la référence d'air Allons, dépouillons nos pommiers - dans la Lyre des francs-maçons.
 

cantique

du Frère Condorcet

 

AIR : Mon père était pot.

JE regrette peu le destin 
De notre premier père ; 
Les plaisirs qu'offraient son jardin 
Ne me tenteraient guère. 
Aussi dans les bois 
Il maudit cent fois 
Son ennuyeuse vie ; 
Amis, sous les cieux, 
Rien ne rend heureux 
Que la Maçonnerie. 

Fortune, tu peux m'oublier, 
Que me font tes largesses ?
Je préfère mon tablier 
A toutes les richesses ;
Garde tes faveurs ; 
Souvent tes grandeurs 
Empoisonnent la vie; 
Amis, sous les cieux, 
Rien ne rend heureux 
Que la Maçonnerie.

Thalès découvrit les agens 
De la nature entière ;
Mais enfin ses yeux pénétrans 
N'ont point vu la lumière. 
Ce fameux savant 
Serait bien plus grand 
S'il eût par son génie, 
Laissant là les cieux, 
Trouvé l'art heureux 
De la Maçonnerie.

Platon afflige son lecteur 
Avec sa république ; 
Pourquoi nous tracer le bonheur 
Sur un plan chimérique ? 
J'aurais répété, 
Si j'avais été 
Dans son académie :
Amis, sous les cieux,
Rien ne rend heureux 
Que la Maçonnerie.

Archimède, sur un bureau,
L'œil fixe, le teint blême, 
Use follement son cerveau 
Pour résoudre un problème.
 Vain calculateur,
 Fit-il le bonheur 
De sa triste patrie ?
Rend-il l'homme heureux ? 
L'est-on sous les cieux, 
Sans la Maçonnerie.

César a fait régner ses lois 
Sur tout cet hémisphère ;
Le bruit de ses vaillans exploits 
Remplit encor la terre. 
Vantons ses travaux ; 
Mais à ce héros 
Ne portons point envie. 
Amis, sous les cieux, 
Rien ne rend heureux 
Que la Maçonnerie.

Mahomet, de ton Paradis 
Tu fais en vain l'éloge ; 
On y voit de belles houris 
Mais on n'y tient point loge. 
Tu n'as pas tout fait 
Pour rendre parfait 
Le sort de l'autre vie ;
II n'est point d'heureux, 
Même dans les cieux, 
Sans la Maçonnerie. 

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