A la Loge le Travail

Ce cantique est le 2e des 7 chantés lors de la Saint-Jean d'été, le 16 juin 1842, de la Loge bruxelloise le Travail au cours de laquelle elle inaugura son nouveau Temple.

Defrenne - accompagné ici par Artot qui avait composé la musique - rend hommage à la Loge (en rappelant, avec émotion, les souvenirs que lui a laissés sa cérémonie d'installation, à laquelle il avait présidé en 1840), tout en plaidant selon son habitude contre le cléricalisme, mais aussi ici en faveur de l'instruction publique.

L'instruction publique

Notre source pour cet encadré est le très intéressant article de Roger Desmed, A propos du mémoire de la Loge des Amis philanthropes sur l'enseignement primaire obligatoire et laïque (1859-1860), paru en 1975 dans la Revue belge de philologie et d'histoire (Tome 53 fasc. 2). 

La question de l'opportunité du caractère obligatoire de l'instruction publique ne préoccupa guère le personnel politique belge jusqu'en 1858.

Dans un premier temps, elle fut d'ailleurs loin de faire l'unanimité dans les milieux maçonniques.

Verhaegen notamment, avec l'aile droite, doctrinaire, du parti libéral, y était farouchement hostile (en 1859 encore, il estimait qu'il conduirait tout droit au communisme et au socialisme), alors que l'aile gauche, radicale, menée par De Fré - membre comme lui des Amis Philanthropes - en était partisane.

L'article précité rappelle que c'est en 1842 précisément qu'avait été votée la première loi organique de l'enseignement primaire (loi Nothomb), résultant d'un compromis conclu entre libéraux et catholiques, mais fort critiqué par l'opinion libérale maçonnique (en 1872 encore, A. Couvreur (1827-1894), dans un discours prononcé lors de son installation comme Grand Maître, dénonçait cette législation qui a livré nos écoles à un clergé ennemi de la liberté, ennemi des lumières).

En 1859, fut déposée au Parlement une proposition  de modifier la loi de 1842 en y inscrivant le principe de l'instruction obligatoire et en abolissant l'intervention du ministre des cultes à titre d'autorité dans les écoles publiques. Cela lança le débat, et le Grand Orient consulta les Loges. C'est seulement alors qu'un consensus se dégagea en faveur de l'obligation.

Mais il fallut attendre 1883 pour qu'un projet de loi rendant l'instruction obligatoire de 6 à 12 ans soit déposé, par le ministre de l'Instruction publique Van Humbeeck (1829-1890 ; il avait été Vénérable des Vrais Amis de l'Union et du Progrès Réunis et Grand Maître du Grand Orient). Il ne fut jamais voté, et tomba même dans les oubliettes après la victoire du parti catholique sur le parti libéral en 1884. C'est en 1914 seulement que l'obligation scolaire devint légale.

L'appel de Defrenne, dès 1842, pour que l'instruction à chacun devienne abordable - et pour que le peuple ainsi éclairé se débarrasse du joug clérical - prend dans ce cadre tout son sens.

Les membres de la Loge devaient partager son opinion, puisque trois mois plus tard, comme on peut le lire (note 6) dans l'article précité :

La revue parisienne Le Globe franc-maçon — Archives des initiations anciennes et modernes publie dans son t. 4, 1842, p. 375, le texte d'une résolution adoptee à l'unanimité par les FF. de la L. «Le Travail» (aujourd'hui en non-activité) de Bruxelles, au cours de la tenue du 17 septembre 1842. Pour pallier le danger que représente la nouvelle loi organique, et pour «résister à tout empiétement de caste et à toute tentative d'oppression, quelque masque qu'elle prenne, surtout de celle qui tend à dominer à l'avenir l'instruction primitive de la jeunesse peu fortunée et à propager une éducation exclusive», il est prévu «d'admettre à l'initiation maçonnique, sans rétribution de réception et sans cotisation mensuelle, tout profane, instituteur primaire, belge ou domicilié en Belgique», qui accepterait de donner l'instruction primaire gratuite à quatre enfants qui lui seraient confiés par la Loge, et à tout autre enfant, présenté par la Loge, au tarif prévu par la loi, tout en étant soumis à la surveillance de la Loge.

        

SECOND CANTIQUE.

paroles du Frère DEFRENNE, président de la commission installatrice de la Loge - chanté par lui.

musique du Frère ARTOT, accompagné par lui sur le piano.

 

Depuis vingt mois créés maçons,
Vous avez fait des pas immenses ;
Soumis à de sages leçons
Vous dépassez nos espérances.
En ne tolérant rien d'impur
En loge, au Travail consacrée,
Votre Atelier naissant est sûr
De perpétuer sa durée.

 

Chargés par nos chefs de venir,
D'après la règle coutumière,
Nous eûmes hâte d'accourir
Vous communiquer la lumière.
J'ai du plaisir à constater
Un mandat aussi plein de charmes,
Et quand je vins vous visiter,
Votre accueil fit couler mes larmes.

 

Le bijou qui me fut donné,
Au début de votre carrière,
Justement affectionné
Pare aujourd'hui ma boutonnière.
Les gants de ruche enjolivés
Que m'offrit votre vénérable,
Frères, je les ai conservés,
Comme un gage inappréciable.

 

Pour que notre institution 
A tout autre soit préférable ;
Que par vos soins l'instruction
A chacun devienne abordable.
Protecteurs nés du genre humain
Ouvrons l'esprit au prolétaire ;
A l'aveugle tendons la main,
Et désabusons le vulgaire.

 

Le peuple, s'il est éclairé,
Saura s'affranchir en Belgique,
Du joug hideux, invétéré, 
D'un ambitieux fanatique,
Qui s'il écoutait la raison,
Honteux d'une folle entreprise,
Comprendrait qu'il est de saison,
De ne songer qu'à son église.

 

Rien ici n'est aventuré,
Grâces à des travaux prospères ;
Qui de nous n'a pas admiré 
L'heureux choix de vos dignitaires ?
Des surveillants, de l'orateur,
Le talent est incontestable ;
Et votre illustre fondateur, 
N'est-il pas assez vénérable ?

 

Des Maçonniques sommités
La présence nous encourage ;
A leurs brillantes qualités
Empressons-nous de rendre hommage ;
A l'unisson pour leur santé, 
Qu'on fasse mousser le champagne !
Buvons à leur prospérité ;
Que le bonheur les accompagne !

 

Frères, pour ces maigres couplets,
D'un vieillard excusez l'audace ;
Epargnez-lui d'aigres sifflets, 
Le jour de votre dédicace ;
D'un nouveau Temple inauguré,
Alors que l'on chôme la fête,
J'ose me tenir assuré
De voir accueillir ma requête.

Retour au sommaire de la Saint-Jean d'été 1842 du Travail :

Retour au sommaire des chansons de Defrenne :