Les Francs-Maçons

 

Cette chanson du Frère Gérard fils est une des nombreuses qui ont été présentées lors du Banquet qui a suivi la Fête Solsticiale de la Loge bruxelloise de L'Espérance, le 7 juin 1824, sous la présidence de son Vénérable titulaire le Prince d'Orange.

On parlait beaucoup à cette époque des activités, en France et en Italie, de la Charbonnerie, des poursuites dirigées contre elle dans divers pays et de ses liens, réels ou supposés, avec la Maçonnerie, occasion pour les robes noires de s'élever contre celle-ci. On en parlait aussi en Belgique - ce n'est sans doute pas un hasard que l'avocat général de Marchangy ait publié à Louvain (aux éditions de la Société catholique) son réquisitoire contre les quatre sergents de la Rochelle.

Bonne raison sans doute, aux yeux du Frère Gérard, pour rappeler que les maçons belges, contrairement à certains de leurs Frères français, étaient de bons et fidèles royalistes et serviteurs du Trône, plutôt que des ennemis des couronnes cherchant à renverser les trônes, accusation à l'époque très courante contre la maçonnerie.

N'était-ce d'ailleurs pas (cfr. couplet 3) l'héritier de ce Trône, le Prince d'Orange lui-même, qui avait naguère délivré le pays d'un joug tyrannique, celui de Napoléon (et qui de surcroît était ensuite devenu maçon) ?

Le message fut bien reçu, puisque le prince remercia en soulignant que :

Si les Maçons des autres pays se conduisaient comme vous, Francs-Maçons Belges, que je m'honore de compter parmi mes Frères, jamais ils ne seraient en butte aux soupçons, à la défiance, ni à l’indignation des souverains.

       

          

Les Francs-Maçons

1.

Plats sermons, plats réquisitoires,
Tour-à-tour nous ont foudroyés :
Plats pieds, de robe et d’humeur noires,
Tour-à-tour se sont fourvoyés.
Contre nous laissons-les combattre !
N'ont-ils pas d’ailleurs leurs raisons ?
Des gens qui veulent tout abattre
Doivent-ils souffrir les Maçons ?

2.

Que veut notre ordre détestable ?
Quels sont nos articles de foi ?
Égalité devant la table,
Égalité devant la loi.
Pitié pour les pauvres chaumières,
Respect pour les nobles maisons ;
Pour toutes deux force lumières,
Voilà le voeu des Francs-Maçons.

3.

On dit qu'ennemis des couronnes,
Des rois nous percerons le flanc,
Que nous renverserons les trônes
Avec des poignards de fer-blanc.
Et pourtant d’un joug tyrannique,
Au premier appel du clairon,
J’ai vu le trône et la Belgique
Délivrés par un Franc-Maçon.

4.

Oui, ce héros dont la vaillance,
Au prix de son sang généreux,
De notre jeune indépendance
Cimenta l’édifice heureux ;
De notre allégresse loyale
Il daigne adopter l’unisson,
Et tenir dans sa main royale
L'humble équerre du Franc-Maçon.

5.

Pardon, mes bons prêcheurs de France,
Des vers que je chante aujourd’hui.
Pardon ! mais ce saint là, je pense,
Vaut bien qu’on prêche un peu pour lui.
Désormais ma bouche est muette ;
Boileau, je suivrai ta leçon ;
Je voulais devenir poète ;
Redevenons plutôt Maçon.

Par le Frère Gerard fils.

source : pp. 418-9 du Tome V (années 1821-24) des Annales chronologiques, littéraires et historiques de la maçonnerie des Pays-Bas à dater du 1er janvier 1814 par Auguste de WARGNY (accessible via la digithèque des bibliothèques de l’Université Libre de Bruxelles).

Les quatre sergents de la Rochelle

Ci-contre : exécution à Paris en place de Grève, le 21 septembre 1822, des quatre sergents de la Rochelle, carbonari ; trois d'entre eux étaient également membres de la Loge parisienne Les Amis de la Vérité (image empruntée à une page du site le Paris pittoresque).

On peut lire ceci (p. 93) dans le n° 2 (avril 1832) de la Revue de la franc-maçonnerie :

21 septembre. — La loge des Amis de la Vérité, qui avait résolu de célébrer publiquement l'anniversaire de l'exécution à mort des frères Bories, Pommier, Goubin et Raoux, tous quatre membres de cette loge, accusés de conspiration contre le gouvernement des Bourbons, exécution qui eut lieu le 21 septembre 1822, s'est réunie au local ordinaire de ses séances, rue de Grenelle Saint-Honoré. A deux heures et demie, le cortège s'est mis en mouvement et s'est dirigé vers la place de Grève. Quatre commissaires, décorés d'un brassard tricolore, portaient chacun une bannière ornée de feuillages de chêne, et sur laquelle on lisait les noms de Bories, Pommier, Goubin et Raoux. Le plus grand ordre et le plus profond recueillement ont accueilli la marche du cortège, qui, de 300 frères, en sortant de la rue de Grenelle, s'éleva à 500 dans la cour du Louvre, et s'accrut successivement jusqu'à 2.000, en arrivant sur la place de Grève, où il était attendu par une foule considérable et silencieuse. Partout où il a passé, les postes de la garde nationale et de la ligne lui ont rendu les honneurs militaires, et tout le monde s'est découvert avec un religieux respect. A quatre heures précises, heure fatale à laquelle commença le supplice de ces malheureuses victimes, un roulement de tambour s'est fait entendre, et l'un des membres de la loge, le frère Buchez, a prononcé un discours analogue à la circonstance. Après la cérémonie, le cortège est revenu au local de la loge, où une pétition à la Chambre des députés, pour l'abolition de la peine de mort, a été votée par acclamation et couverte en un instant de signatures.

 

ci-contre : le nom d'une Loge du Grand Orient de France rappelle la mémoire des quatre sergents de la Rochelle. On voit qu'elle travaille au Rite de Memphis-Misraïm : il est intéressant de savoir que, sous la Restauration, les Rites égyptiens se sont trouvés, aux yeux du Grand Orient (re)devenu royaliste, suspects de sympathies pour le carbonarisme et le bonapartisme dont ils regroupaient les fidèles, ce qui leur valut des interdictions.

En témoigne cet extrait du Tome V (pp. 263-5) des Annales chronologiques, littéraires et historiques de la maçonnerie des Pays-Bas de Wargny, en date de fin septembre 1822 :



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