Complainte de la Clémente Amitié sur sa démolition
Ce document a été rendu disponible par la BNF, au catalogue de laquelle il figure (notice n° FRBNF35156945) sous la cote FM IMPR-2655 (16).
Il est intitulé :
Complainte sur l'horrible catastrophe de la démolition de la Clémente Amitié, en punition de ses forfaits épouvantables.
Un conflit minable J'aime mes Frères, moi non plus Cette chanson constitue une pièce, particulièrement pittoresque, du dossier du spectaculaire conflit qui, en 1826, opposa la loge de la Clémente Amitié au Grand Orient, et qui se plaçait dans le cadre plus large de la guéguerre perpétuelle entre ce dernier et les écossais du Suprême Conseil. Cette affaire nous semble exemplaire :
C'est la signature, le 22 septembre 1825, d'un pacte d'affiliation entre Emeth (relevant du Suprême Conseil) et la Clémente Amitié (à l'époque membre du Grand Orient) qui mit en route le conflit ayant abouti à la démolition de cette dernière. Le Grand Orient, prenant ombrage (puisqu'il ne considérait pas Emeth comme maçonnique) de ce pacte, émit en effet une circulaire contre les structures écossaises qu'il définissait comme irrégulières et infréquentables, circulaire que la Clémente Amitié critiqua vivement, s'exposant ainsi à la vindicte de son Obédience. Nous donnons ci-dessous quelques détails sur cette affaire, tels que décrits par deux auteurs contemporains de convictions opposées (et aussi partiaux l'un que l'autre) ; ils permettront au lecteur de mieux comprendre le contexte et certains aspects de la chanson.
Bésuchet, féal du Grand Orient, présente cette affaire comme suit dans le volume 1 (p. 132) de son Précis historique :
Pour illustrer ses dires, Bésuchet - qui par contre ne cite pas une ligne des documents incriminés émanant de la Clémente Amitié - publie aussi, dans ses pièces justificatives :
C'est un point de vue opposé que développe Rebold dans son Histoire des trois Grandes Loges de francs-maçons en France (pp. 137 ss.) :
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Dramatis personae
Les punis
Les 6 Frères suspendus du Grand Orient le 19/08/1826 et mentionnés dans la chanson sont Alexandre, Barbier, Chartier, Gosse, Millet et Leblanc.
Leblanc, désigné dans la chanson comme le plus noir, est Leblanc de Marconnay et c'est sans doute lui, bien connu comme trublion, l'initiateur du conflit.
Une fiche Bossu présente Jean-Henry Alexandre, né à Bruxelles le 10 décembre 1797, tailleur, initié à la Clémente Amitié en 1823 ; il était Trésorier au moment de sa suspension .
Antoine Barbier, marchand de draps à Elbeuf, né en 1797, initié dans la loge en 1821, était 2d Surveillant au moment de sa suspension.
Un Chartier était selon Bossu secrétaire de la Loge en 1826.
Guillaume François Gosse, initié dans la loge en 1812, était 1er Surveillant au moment de sa suspension.
Bossu nous apprend aussi que Jean-Baptiste Millet-Saint-Pierre (1797-1872), affilié en 1824, était Vénérable en 1827 ; il l'était aussi au moment de sa suspension mais allait être remplacé par Leblanc en juin 1827.
Les démolisseurs
Grand Netori était à l'époque le nom codé (par anagramme) désignant le Grand Orient. La chanson ne cite que les initiales (B, C et R) de ses représentants.
Mais la fiche Bossu précitée nous apprend aussi que Millet est l'auteur d'une chanson ridiculisant les Frères Caille et Benou du Grand Orient.
Curieux personnage que le Frère Louis Caille (1764-1848), avocat à la cour royale de Paris, membre au cours de sa longue carrière maçonnique de nombreuses loges (avec beaucoup desquelles il eut des désaccords), membre de l'Ordre du Temple, devenu 33e du Grand Orient en 1820, désigné à la chanson comme C... du poulailler franc-maçon : après avoir persécuté la Clémente Amitié, il se convertit à l'écossisme, publia en 1827 le texte De l'Indépendance des rites maçonniques, ou Réfutation des prétentions du Grand Orient de France sur le rit écossais ancien et accepté, participa en tant que Vénérable de la loge (écossaise, fondée en 1818) des Amis Constants de la Vraie Lumière aux fêtes d'Ordre écossaises de la Saint-Jean d'hiver 1827 et a, selon cette fiche Bossu, donné sa démission de tous les emplois, titres et dignité dont il était pourvu au Grand Orient de France, ce qui lui valut en 1829 d'entrer comme 33e au Suprême Conseil.
Jean-Baptiste Benou (1764-1831) était lui aussi avocat à la cour royale et 33e du Grand Orient, depuis 1815. Il avait été commissaire-priseur à Paris en 1800 selon une fiche Bossu, ce qui explique ces vers de la chanson : Ayons donc pour rapporteur un Commissaire-priseur.
Moret, vénérable des Sept Ecossais réunis, 33e du Grand Orient en 1827, est encore un avocat à la cour royale.
R... est en fait Jean-Marie Richard (1757-1840) ; celui-ci fait l'objet de nombreuses fiches Bossu qui nous apprennent notamment que, 33e, officier du Grand Orient depuis 1814, il avait été en 1816 77e du rite de Misraïm, en 1812 Vénérable de la Clémente Amitié (il l'a été à plusieurs reprises entre 1808 et 1818), ce qui explique que la chanson le traite de traître à la fois à Misraïm et à cette loge : c'est lui en effet qui le 19 août 1826 avait été envoyé par le Grand Orient pour tenter de reprendre le contrôle de la loge, ce que celle-ci avait refusé par un vote de 32 voix contre 2, maintenant en fonction les six suspendus, ce qui ne pouvait qu'entraîner la rupture définitive et le changement d'Obédience. En tant que Grand Orateur, il est cosignataire de l'arrêté de démolition du 5 septembre 1826.
Puisqu'elle mentionne sa participation aux événements du 19 août, la chanson est postérieure à cette date, mais elle est aussi antérieure au 29 décembre, date à laquelle son existence est mentionnée dans un rapport de police. Elle peut donc avec certitude être datée des 4 derniers mois de 1826.
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COMPLAINTE Sur l'horrible catastrophe de la démolition de La Clémente Amitié, en punition de ses forfaits épouvantables.
Air connu. Francs-Maçons, peuple
bonace
C'était une circulaire
Dans un libelle anonyme
B......, dans les deux
lumières,
Elle n'est pas trop clérnente,
Quand un atelier imprime
On nomme des commissaires
Par devant eux se présentent
Ne faisons pas de bêtises,
Dans la chambre symbolique,
Un membre, plein d'éloquence,
» Soyons Turcs quand la
canaille
» Ces rebelles ont pour guides,
On met, pour leur faire niche,
R...... saura bien
défendre
Mais cette Loge coupable
Le Grand Orient publie
Cet appel n'est qu'une ruse,
Moret voudrait les
entendre,
Que le cíel long-temps nous laisse
Croirait-on que les rebelles,
Pères, mères de famiîle, |
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