Fair Venus calls

 Cliquez ici pour entendre le fichier de la partition ci-dessous du Masonick Minstrel, séquencé par Christophe D.

Dans la Note de l'éditeur figurant à la fin d'une reproduction de l'édition américaine par Benjamin Franklin des Constitutions d'Anderson de 1723, il est mentionné que celui-ci composa vers 1741 une chanson intitulée Fair Venus Calls qui continuait au XIXe à être chantée dans les réunions maçonniques.

Quoique - à part peut-être la référence à Salomon - cette chanson joyeusement épicurienne ne soit pas spécifiquement maçonnique, nous avons trouvé intéressant de la publier ici car elle nous en apprend un peu plus sur ce grand maçon que fut Benjamin Franklin ... et sur l'ambiance festive que pouvaient connaître à l'époque les loges américaines.

Franklin lui-même la reproduit, avec ses commentaires, dans une lettre à l'Abbé de la Roche qui figure (p. 220) dans The works of Benjamin Franklin :
 

A MONSIEUR L'ABBE DE LA ROCHE, A AUTEUIL.

J'ai parcouru, mon cher ami, le petit livre de poésies de M. Helvetius, dont vous m'avez fait cadeau. Le poème sur le Bonheur (*) m'a donné beaucoup de plaisir, et m'a fait ressouvenir d'une petite chanson à boire, que j'ai faite il y a quarante ans sur le même sujet, et qui avoit à-peu-près le même plan, et plusieurs des mêmes pensées, mais bien densement exprimées. La voici.
 

Singer.

Fair Venus calls; her voice obey,
In beauty's arms spend night and day.
The joys of love all joys excel,
And loving 's certainly doing well.

Chorus.

Oh! no!
Not so!
For honest souls know,
Friends and a bottle still bear the bell.

Singer.

Then let us get money, like bees lay up honey;
We 'll build us new hives, and store each cell.
The sight of our treasure shall yield us great pleasure;
We'll count it, and chink it, and jingle it well.

Chorus.

Oh! no!
Not so!
For honest souls know,
Friends and a bottle still bear the bell.

Singer.

If this does not fit ye, let 's govern the city,
In power is pleasure no tongue can tell;
By crowds though you 're teased, your pride shall be pleased,
And this can make Lucifer happy in hell!

Chorus.

Oh! no!
Not so!
For honest souls know,
Friends and a bottle still bear the bell.

Singer.

Then toss off your glasses, and scorn the dull asses,
Who, missing the kernel, still gnaw the shell;
What's love, rule, or riches ? Wise Solomon teaches,
They're vanity, vanity, vanity still.

Chorus.

That's true;
He knew;
He'd tried them all through;
Friends and a bottle still bore the bell.

Chanteur : 

La belle Vénus appelle ; obéissez à sa voix
dans les bras des beautés passez la nuit et le jour
les joies de l’amour dépassent toutes les joies
et aimer est certainement bien faire.

Chœur : 

Oh ! non ! 
Ce n’est pas vrai !
Car les âmes honnêtes savent
que les amis et la bouteille passent avant tout.

Chanteur : 

Alors trouvons de l’argent, telles des abeilles accumulons le miel
nous bâtirons de nouvelles ruches, et emplirons chaque cellule
la vue de notre trésor nous procurera grand plaisir ;
nous le compterons et le ferons sonner et tinter.

Chœur : 

Oh ! non ! 
Ce n’est pas vrai !
Car les âmes honnêtes savent
que les amis et la bouteille passent avant tout.

Chanteur : 

Si cela ne te convient pas, gouvernons la ville
en le pouvoir est un plaisir indicible
bien que la foule vous taquine votre orgueil sera satisfait
et ce peut rendre Lucifer heureux en enfer !

Chœur : 

Oh ! non ! 
Ce n’est pas vrai !
Car les âmes honnêtes savent
que les amis et la bouteille passent avant tout.

Chanteur : 

Alors jetez vos verres et méprisez les mornes pédants
qui manquant le noyau rongent encore la coque
qu’est-ce que l’amour, le pouvoir ou la richesse ? Le sage Salomon enseigne
vanité des vanités tout est vanité.
(*)

Chœur : 

C'est vrai ;
il savait ;
Il avait tout essayé
les amis et la bouteille passent avant tout.

C'est un chanteur, mon cher Abbé, qui exhorte ses compagnons de chercher le bonheur dans l'amour, dans les richesses, et dans le pouvoir. Ils répliquent, chantant ensemble, que le bonheur ne se trouve pas en aucunes de ces choses, et qu'on ne le trouve que dans les amis et le vin. A cette position, le chanteur enfin consent. La phrase "bear the bell," signifie en François remporter le prix.

(*) Vanitas vanitatum, dixit Ecclesiastes : vanitas vanitatum, & omnia vanitas. Vanité des vanités, a dit l’Ecclésiaste : vanité des vanités, & tout est vanité. (Bossuet, Oraison funèbre de Henriette-Anne d'Angleterre). La phrase est effectivement tirée du livre de l’Ecclésiaste, dont certains considèrent Salomon comme l'auteur.

(*) Voir ici ce poème d'Helvetius et ici un intéressant commentaire de Jean-Claude Bourdin. 

Une citation (début du chant deuxième) permet de voir pourquoi Franklin s'y est retrouvé :

Si l'amour, ses plaisirs, le pouvoir, la grandeur,
N'ouvrent point aux mortels le temple du bonheur,
Faudra-t-il le chercher au sein de la richesse
On ne l'y trouve point, répliqua la Sagesse. 

Mais la convergence s'arrête là, car pour Helvétius, ce ne sont pas, comme pour Franklin dans sa chanson, les amis et le vin qui sont la clé du bonheur, mais bien l'étude des arts et des lettres, le progrès des connaissances, et la poursuite du bonheur de tous.

ci-contre : selon la tradition, ce tablier ayant appartenu à Helvetius aurait été offert par sa veuve à Voltaire lors de son initiation.

Avec tous nos remerciements à Georges Lamoine qui a bien voulu préparer la traduction française.

Franklin ne donne pas d'information sur l'air, mais nous avons trouvé une partition à la p. 40 du Masonick Minstrel de 1816 (qui donne, sans en signaler l'auteur, un texte quelque peu modifié) : 

Franklin : un joyeux épicurien

Vous m'avez souvent égayé, mon très-cher ami, par vos excellentes chansons à boire ; en échange, je désire vous édifier par quelques réflexions chrétiennes, morales, et philosophiques, sur le même sujet.

In vino veritas, dit le sage. La vérité est dans le vin. Avant Noé donc, les hommes n'ayant que de l'eau à boire, ne pouvaient trouver la vérité. Ainsi ils s'égarèrent, ils devinrent abominablement méchants, et ils furent justement exterminés par l'eau qu'ils aimaient à boire.

Ce bonhomme Noé ayant vu que par cette mauvaise boisson tous ses contemporains avaient péri, le prit en aversion  ; et Dieu, pour le désaltérer, créa la vigne, et lui révéla l'art d'en faire du vin. Par l'aide de cette liqueur il découvrit maintes et maintes vérités : et depuis son temps, le mot " deviner" a été en usage ; signifiant originairement découvrir par le moyen du vin ... liqueur qui a reçu ce nom pour marquer qu'elle n'était pas une invention humaine, mais divine ... Aussi depuis ce temps, toutes les choses excellentes, même les Déités, ont été appelées divines ou divinités. 

On parle de la conversion de l'eau en vin, à la noce de Cana, comme d'un miracle. Mais cette conversion est faite tous les jours par la bonté de Dieu, sous nos yeux. Voilà l'eau qui tombe des cieux sur nos vignobles, et alors elle entre dans les racines des vignes pour être changée en vin. Preuve constante que Dieu nous aime, et qu'il aime à nous voir heureux. Le miracle particulier a été fait seulement pour hâter l'opération dans une circonstance de besoin soudain, qui le demandait. 

C'est dans une lettre à l'abbé Morellet, vers 1779, que Franklin a développé ces considérations fort peu orthodoxes.

Il avait d'ailleurs déjà développé en 1745 une telle idée concernant Noé, dans une chanson sans doute elle aussi souvent chantée (sur l'air connu Derry down) dans les loges américaines, The Antediluvians Were All Very Sober :

The Antediluvians were all very sober
For they had no Wine, and they brew'd no October;
All wicked, bad Livers, on Mischief still thinking,
For there can't be good Living where there is not good Drinking.
Derry down ...

'Twas honest old Noah first planted the Vine,
And mended his Morals by drinking its Wine;
He justly the drinking of Water decried;
For he knew that all Mankind, by drinking it, died.
Derry down ...

From this Piece of History plainly we find
That Water's good neither for Body or Mind;
That Virtue and Safety in Wine-bibbing's found
While all that drink Water deserve to be drowned.
Derry down ...

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